12| Ellis et les amitiés compliquées

ELLIS

— Je crois que je sors avec une meuf.

J'écarquille les yeux tout en continuant mes tractions, engourdi par la nouvelle.

— Comment ça « tu crois » ?

Avant de me répondre, Léandre jette un œil autour de lui pour vérifier que nous ne sommes pas écoutés. Lucilla et Cams sont allés ensemble sur les tapis de course tandis que moi, j'ai fait l'erreur d'accompagner Léandre dans le coin relativement très masculin de la salle de sport. Depuis que je suis arrivé, je suis entouré de types tellement baraqués que j'ai la même impression désagréable que quand on entre dans les mauvais chiottes.

Ou alors ce genre de choses n'arrivent qu'à moi ?

— J'ai revu Manon, la fille que j'avais chopé à l'anniversaire d'Élisa.

— Alizée, corrigé-je.

— Ouais, elle.

Il marque une pause, puis poursuit :

— Ben j'ai embrassé une fille là-bas, Manon, et je l'ai revue plusieurs fois.

— Revue pour faire quoi ?

Il me lance une grimace qui veut tout dire.

— OKKKKKK, soupiré-je.

— Enfin voilà, tout se passait bien... jusqu'à ce qu'elle me présente comme son copain devant son équipe de handball.

J'étouffe un rire, ce qui manque de me faire m'écrouler sur le sol. Aussi, je décide qu'il est plus sage de lâcher la barre de tractions et prends de grandes inspirations, la sueur gouttant dans mon cou.

— Bon, c'est définitif : tu es en couple avec elle.

— Ouais... sauf que non, rétorque-t-il. On ne s'est jamais mis d'accord sur ça, et je trouve ça carrément dégueulasse qu'elle nous affiche sans m'en parler avant.

J'acquiesce. D'un côté, je le comprends... mais de l'autre, je le déteste. Je crois qu'il ne s'est tout simplement jamais retrouvé dans la situation inverse et qu'il ne conçoit pas que l'autre personne puisse voir les choses autrement.

— Attends, mais si elle fait du hand', c'est que... commencé-je avec les yeux ronds comme des soucoupes.

— Lucilla n'était pas là, me coupe-t-il précipitamment.

Il n'y a qu'une seule équipe de handball dans le coin et forcément, Lucilla connaît cette fille. Et si ce n'est pas parce qu'elles sont dans la même équipe, elles ont des amies en commun donc elles se sont déjà forcément croisées.

Même sans jamais s'être adressé la parole quasiment tout le monde sait qui est qui, par ici.

— Mais tu te doutes bien qu'elle va l'apprendre ! rétorqué-je alors.

Léandre affiche une grimace l'air de dire « tu crois ? », puis se passe les mains sur le visage.

— Raaaah putain, je me suis mis tout seul dans la merde.

— Comme c'est surprenant...

Il me lance un regard noir avant de me demander :

— Qu'est-ce que je devrais faire, tu crois ?

J'hausse les épaules.

— Je ne sais pas, Léandre. Je ne sais pas. Être honnête, possiblement ?

Il s'esclaffe.

— Et casser tout notre groupe d'amis en disant à Lucilla que je suis avec quelqu'un d'autre ? Arrête.

Concerné, je plisse le front en m'asseyant à côté de lui près du rameur. Aussitôt, il lâche la machine et s'essuie les mains sur son short, attendant visiblement ma réponse.

— Tu sais très bien que ça n'arrivera pas ; on est plus forts que ça. La seule que ça va casser, c'est Lucilla.

Léandre fixe un point devant lui, les épaules rentrées.

— Ouais... c'est justement ça le problème.

Un léger silence s'installe, silence pendant lequel j'essaie une fois de plus de comprendre ce qui les lie... mais je n'y arrive toujours pas. La puissance du lien qui les unit est complexe et rare, et elle ne s'est jamais estompée avec les années.

Ces deux-là se sont rencontrés à une compétition sportive ; elle faisait du handball et lui du basket sur des terrains côte à côte. En grand séducteur, Léandre est venu la draguer... et ils ont fini par coucher ensemble chez-lui à la fin de la journée. Simple, rapide, efficace.

Ils sont restés plan-culs pendant un bon moment avant que Lucilla intègre définitivement notre groupe d'amis. Et puis, comme une rose dont on s'approche trop près, Lucilla s'est piquée à Léandre. Il ne voulait pas de relation sérieuse et pourtant, on savait tous qu'il l'aimait. Je n'ai jamais su si c'était pas peur ou tout simplement parce qu'il ne voulait pas prendre le risque de la perdre, mais il n'a pas accepté de concrétiser les choses entre eux.

Après ça, ils ont décidé de tout arrêter ; mais même après plusieurs années, Lucilla arrive encore à pleurer discrètement chaque fois qu'elle le voit s'approcher d'une autre. Pourtant, elle a connu d'autres garçons... mais il est toujours dans les parages, toujours tout près, toujours là à lui rappeler à quel point ils auraient pu construire quelque chose de bien.

Alors voilà : chacun aurait pu tourner la page mais ce n'est visiblement pas le cas. On dirait qu'ils prennent désormais un certain plaisir à se faire mutuellement du mal, ce que je ne comprendrais jamais.

— Elle finira bien par le savoir, dis-je au bout d'un moment.

De l'autre côté de la salle, Lucilla court toujours sur le tapis de course électrique, ses écouteurs plantés dans les oreilles. Je devine d'ici ce qu'elle écoute : un vieil album de Bruno Mars ou un podcast d'investigation criminelle. Ces podcasts-là la font flipper quand elle est seule donc je pense qu'elle doit profiter d'avoir du monde autour pour en écouter un épisode.

— Elle t'a vu l'embrasser à la soirée, ajouté-je ensuite. Elle avait l'air vraiment triste.

À ma droite, Léandre baisse les yeux sur ses genoux.

— Je peux te dire un truc ? murmure-t-il alors.

— Évidemment.

Il relève alors les yeux sur Lucilla et suit des yeux sa queue de cheval blonde qui se balance sur ses épaules, une drôle d'étincelle dans le regard.

— Je sais que je me marierai avec elle, un jour.

J'écarquille les yeux, choqué.

— Hein ?

— Je te le jure, je le sais, répond-t-il, les yeux toujours fixés sur elle. Je sais au fond de moi qu'on finira ensemble. C'est la femme de ma vie.

Abasourdi, je manque de crier quand je m'exclame en gesticulant :

— Alors pourquoi est-ce que tu me poses encore des questions sur d'autres filles ?!

C'est là que doucement, il me répond une phrase que je ne risque pas d'oublier :

— Parce que je veux être sûr que quand je tenterai quelque chose avec Lucilla, j'aurais vécu tout ce que je voulais vivre avant... pour être la meilleure version de moi-même pour elle.

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