Chapitre 8
Chapitre VIII
Erwan
Ma montre indiquait presque cinq heures du matin quand je suis rentré chez moi. J'avais essayé de passer un maximum de temps dehors avant de rentrer. Personne ne m'attendait à la maison. Mon père rentrait trop tard et partait trop tôt pour me voir, ou ne rentrait pas du tout, et ma mère était partie des années plus tôt. Alors ma maison, c'était plus un dortoir qu'un refuge. Je n'avais pas de sœur, pas de frère, pas de parent pour m'ouvrir la porte en souriant pour me demander comment s'était passée ma journée. Je n'avais rien.
Alors je passais le plus de temps possible dehors, ou avec des amis. Le silence était mon meilleur ami, mon pire ennemi. Je le recherchais comme je le fuyais à tout prix. Cette nuit-là, son poids était écrasant.
Je suis monté dans ma chambre, je me suis glissé dans mon lit, mes écouteurs vissés dans mes oreilles pour tromper ma solitude. J'ai pensé à Cassiopée. J'ai pensé à Tarah. J'ai pensé à ma pizza du lendemain. Et, sans même m'en rendre compte, je me suis endormi.
Comme chacun sait, le premier mois de cours est statistiquement celui où la motivation et le travail atteignent un pic de productivité assez exceptionnel. Je n'échappais pas à la règle de celui qui abandonne les révisions au mois d'octobre.
J'ai décidé de commencer ce samedi matin avec une bonne résolution, et je me suis mis à bosser. J'ai sorti consciencieusement mes feuilles cartonnées pour entamer des fiches de révision, et j'ai étalé ma panoplie de stylos en face de moi. J'avais même photographié les cours de Cameron pour pouvoir compléter mes notes.
J'ai tenu deux minutes.
Ensuite je me suis retrouvé sur les réseaux sociaux. La curiosité me criait de chercher Cassiopée dans la barre de recherche. Je me demandais quelle d'elle elle choisissait d'afficher au monde.
Sur sa photo, elle avait bouclé des cheveux roux éclatant et la lumière leur donnait un effet cuivré plus prononcé que d'habitude. Un gros collier serpentant autour de son cou, des dizaines de fils d'argent croisés d'une pierre bleue opaline, et des anneaux blancs pendaient à ses oreilles. Yeux violet foncé, bouche rouge sombre. Le portrait dégageait une fausseté encore plus arrogante que Cassiopée elle-même.
Elle n'était pas comme ça. Et j'avais envie de commenter cette photo, de dire que je l'avais vue pleurer, triste et démunie, masque de sourires inerte dans sa main tremblante. Cette fille n'avait rien à voir avec Cassiopée.
La raison pour laquelle je ne pourrai jamais faire confiance aux gens comme Cassiopée était juste là. On ne sait jamais vraiment qui ils sont, quel est leur vrai visage. Finalement, peut-être que j'étais aussi de ces gens-là. Ou peut être que j'étais dans un genre encore différent. De ceux qui n'affichent plus rien.
Je suis resté un moment à regarder la photo de Cassiopée, puis je l'ai ajoutée. On ne deviendrait pas amis, jamais. Mais après tout, les gens qui s'ajoutaient sur les réseaux sociaux n'étaient jamais vraiment amis.
Je suis retourné sur l'accueil de mon profil, et j'ai fait défiler machinalement les images et les vidéos que mes contacts publiaient. Je suis tombé sur une photo se Tarah et Harry, très heureux d'afficher leur nouvelle relation. Ils se bouffaient les lèvres. Tarah encadraient de ses mains le visage de Dersh, et ses cheveux blonds masquaient partiellement leurs visages. Cette photo était à l'image de Tarah. Artificielle. Pas un défaut. Couleurs parfaites, éclairage parfait, qui lui donnaient des cheveux si clairs qu'ils paraissaient blancs. Cadrage impeccable. J'ai eu une image du couple posant des heures devant l'objectif pour prendre deux cents photos, et j'ai ri jaune. Au-dessus de la photo, Tarah avait mis entre guillemets une citation provenant d'une chanson mielleuse qu'elle adorait écouter.
J'ai quitté la page, juste après avoir vu que Cassiopée avait accepté ma demande d'ajout.
Cet après-midi, Gabriel est passé à la maison, et nous sommes restés des heures dans le grenier que j'avais réaménagé un an auparavant. J'avais réussi à convaincre mon père d'acheter deux énormes canapés qui avaient fini collés l'un à l'autre. J'avais monté notre ancienne télévision, branché mes consoles. J'avais demandé de l'aide à Cameron et à Gabriel, et rapidement, notre planque avait dégagé une forte odeur de pizzas et de pop-corn. Récemment, j'avais fait l'acquisition d'un punching-ball, qui ne servait à personne d'autre qu'à Cameron.
Avec Gabriel, donc, nous avons joué tout l'après-midi, et regardé un film pourri, avec plein d'effets spéciaux, des explosions, deux ou trois monstres, et une héroïne que Gab avait longuement qualifiée de "super bonne". Il se trouvait qu'elle était simplement blonde avec des poumons très développés.
Quand je lui avais dit ça, il avait ri, prétextant que je préférais les rousses. J'avais pointé Tarah du doigt, et il n'avait plus rien répondu, ronchonnant.
Gabriel n'avait jamais aimé Tarah. Nous avons vite changé de sujet pour éviter qu'il la pourrisse une nouvelle fois. Il avait tout au long de notre relation été celui qui râlait dès que je voulait passer du temps avec elle. Après seulement un mois à ses côtés, il avait été le premier à dire qu'il "ne la sentait pas du tout". J'avais arrêté de compter les fois où il m'avait conseillé de casser, et j'avais toujours dit que je m'en foutais. En réalité, il avait toujours eu raison sur un grand nombre de points.
Maintenant qu'il n'y avait plus personne pour ne retenir, il laissait volontiers déferler toute sa haine contre elle, et la prenait souvent pour exemple afin d'illustrer la perte de l'humanité. Alors j'évitais de la ramener sur le tapis.
Sa vie de Dom Juan lui plaisait bien. Il avait eu une mauvaise expérience, un jour, avec une fille qui s'appelait Dana. Leur histoire ne s'était pas bien finie du tout, personne ne savait véritablement comment, parce que personne n'avait jamais eu le courage de le demander à Gabriel. Il avait toujours gardé les détails pour lui. Les très rares fois où il m'en avait parlé, il m'avait raconté l'avoir larguée sur un coup de tête après un enchaînement de tromperies et d'engueulades. Dommage, parce que Dana et lui avaient été ce genre de jeunes qui s'aiment comme s'ils avaient passé des siècles à se connaître.
Depuis, Gabriel allait à droite à gauche, soirée sur soirée, sans chercher à se caser à nouveau, ni à entamer quoi que ce soit de plus de quelques nuits avec une fille.
- Et du coup, avec la rousse ?
- Rien du tout.
Je me suis explosé les pouces sur ma manette pour essayer de le vaincre une nouvelle fois, mais une bombe à explosé sur ma droite. Gabriel m'a fait un clin d'œil narquois alors que je maudissais ce jeu. Il me battait à chaque fois. Il a gagné la partie suivante sans sourciller, ce qui a achevé de me mettre d'une humeur exécrable.
- Rien du tout ? a répété Gab en ôtant mes derniers points de vie le plus naturellement du monde.
Qu'est ce que je pouvais lui dire ? Que je ne connaissais même pas vraiment Cassiopée ? Que je ne savais rien d'elle, rien d'autre que son nom ? C'était assez déroutant d'entendre Gabriel parler d'elle comme si nous étions sur le point de sortir ensemble alors que nous avions eu notre réel premier échange à presque quatre heures du matin sur un banc, cigarettes aux lèvres.
- Non.
Il a haussé un sourcil, avec son regard transperçant, celui qui te donne l'impression qu'il en sait bien plus que toi.
- Il s'est passé quelque chose, ou ?...
- Pourquoi se serait-il passé quelque chose ?
Avais-je une tête à vouloir qu'il se passe quoi que ce soit avec qui que ce soit ? Gabriel était le premier à dire que j'étais blasé de tout, ennuyé. "La faute à Tarah", se plaisait-il à dire quelques mois auparavant.
Au lieu de me répondre, et pour la première fois depuis longtemps, Gabriel à haussé les épaules.
- Rien. Oublie. D'accord, la Rousse n'est rien ni personne dans ton estime.
- Parfaitement.
Et les mots de Cassiopée me sont revenus en tête. "Je n'ai besoin de personne". Je n'étais pas prêt à être ce "personne".
Parce que je n'étais pas dupe. Ce n'était pas que Cassiopée n'avait besoin de personne, mais qu'elle n'avait pas envie d'avoir besoin de qui que ce soit.
- Parfaitement..., ai-je répété.
"Partir" - Cassiopée
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