Chapitre 50


Chapitre L

Erwan



« Invite-la à manger, avait dit mon père en souriant sous ses cernes et ses lèvres gercées. Ça me ferait plaisir de la rencontrer. »

Comme si, depuis la Suède, il se sentait obligé d'être plus proche de moi qu'avant. Ce n'était pas cette envie soudaine de faire partie de ma vie comme un père de base qui me surprenait. Plutôt cet intérêt soudain pour ma petite amie. De manière générale, il n'avait pas grand chose à faire de qui partageait ma vie, et de qui je ramenais à la maison.

- C'est la fille pour qui tu t'es battu ?

- Ouais.

- La belle rousse ?

- Ouais.

- Bon. On commandera des pizzas.

Il avait croisé mon regard sceptique et avait levé les yeux au ciel.

- OK, elle aime le gratin dauphinois ?

Et puis, face à mon air moqueur, il avait lâché un soupir excédé.

- Quoi, tu veux un trois étoiles ?

Du coup, le gratin dauphinois l'avait emporté. Évidemment, Cassiopée avait un peu paniqué. Elle m'avait demandé comment elle était supposée s'habiller, si elle devait amener une bouteille, ou un dessert, avant de s'interroger sur la première impression qu'elle donnerait si elle débarquait avec une bouteille de vin dans la main. Mon père avait insisté pour qu'elle n'apporte rien du tout. Du coup, elle se sentait mal.

A sept heures moins dix, ce soir-là, j'ai donc assisté à la panique de Cassiopée en direct via message pendant que je boutonnais une chemise sélectionnée au hasard.

Et puis elle a sonné à la porte.

- Papa, bouge pas, j'y vais !

Mon père n'a pas bougé du canapé pendant que je descendais quatre à quatre les escaliers pour ouvrir sur une Cassiopée que le froid faisait rosir. J'ai agité la main vers la voiture conduite par son père, dans l'allée, et j'ai fermé la porte derrière elle.

- Bonsoir, ai-je murmuré en l'attirant contre moi avant qu'elle n'ait le temps d'enlever son manteau.

Elle a souri. Elle m'a embrassé avec douceur, langueur. Quand c'est devenu plus intense que prévu, elle a reculé avec un air de voyageuse perdue sur le visage.

- Hum...

- Il est dans le salon.

- Comment je suis ?

J'ai ricané.

- Pourquoi tu paniques, c'est juste mon père.

Elle a levé les yeux au ciel, a pendu ses habits au portemanteau, et a entamé une petite danse pour désigner la robe grise qui soulignait de façon très fourbe tout un tas de courbes tout aussi exceptionnellement fourbes.

- Tu es beaucoup trop belle pour un gratin dauphinois, ai-je conclu avant d'embrasser une dernière fois ses lèvres, touchant du bout des doigts la matière de sa robe.

J'ai fait un pas vers le salon, mais elle m'a attrapé la manche.

- Primo, mets des chemises plus souvent. Ensuite, qu'est-ce que je dois dire ?

- Bonjour ?

- Erwan, tu as parfaitement compris ce que je voulais dire...

- Pense qu'il est plus facile à vivre que ta mère, et que...

J'ai failli dire « la dernière en date, c'était Tarah, alors flippe pas trop », mais j'ai réussi à retenir la phrase au dernier moment.

- ... et que si tu le lances sur son boulot, il sera très content.

- D'accord.

- Stresse pas.

- Attends !

Mais je n'ai pas eu le temps de nous diriger vers le salon, mon père a pénétré dans l'entrée, avec un air épuisé et plus timide que prévu.

J'ai souri, incapable d'ôter ma main d'autour de la taille de Cassiopée, qui a fait deux pas pour se dégager en plaquant un sourire avenant sur son visage.

- Bonsoir... Cassiopée...

Et, alors que sa joue touchait celle de mon père :

- ... Jared...

Et quand enfin ils se séparèrent :

- Très heureux de te rencontrer. Erwan m'a beaucoup parlé de...

- Tu mens, ai-je rétorqué avec une mine moqueuse.

Il a haussé les épaules.

- D'accord. J'ai juste un sens de déduction extraordinaire.

- Et une main experte sur le gratin dauphinois, a souri Cassiopée alors que j'assistais à cet échange comme à un match de tennis de table.

- Je penchais à la base pour des pizzas.

- Une prochaine fois, suis-je intervenu.

- Apéro ? a conclu Jared avec un sourire sincère.



- A bientôt, alors, a dit mon père quand Cassiopée a revêtu son manteau sur le pas de la porte. Tu ne veux pas rester ici cette nuit ?

- J'ai du travail. Mais une prochaine fois, avec plaisir. J'imagine qu'on a une revanche à prendre sur FIFA, vous et moi.

Eh oui, qui l'aurait cru. Moi qui m'empiffrais de chips devant mon père et ma petite amie en train de hurler sur la télévision.

- C'était de la chance, a protesté mon père en croisant les bras sur sa poitrine.

- C'était du talent, a rétorqué Cassiopée avec un sourire avant de se redresser face à nous une fois ses chaussures mises.

- Au revoir, a répété mon père en lui faisant la bise. C'était vraiment un plaisir.

- Également.

Elle m'a jeté un tendre sourire au visage, et j'ai glissé une œillade à mon père, qui n'avait pas l'air d'avoir envie de bouger. Alors j'ai levé les yeux au ciel, ai attrapé le poignet de Cassiopée, et l'ai embrassée sur les lèvres une courte seconde, avant de la laisser filer.

Comme un souffle d'air.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top