Chapitre 47

Chapitre XLVII

Cassiopée



Le feu grésillait doucement dans la cheminée. J'étais blottie sous un plaid, fatiguée, les genoux repliés contre mon corps. Dans le fauteuil en face de moi, mon grand-père était assis, une tasse fumante entre les mains. J'avais les yeux clos. Je sentais son regard posé sur moi.

- Je suis content que tu aies pu venir cette année, ma chérie.

- Moi aussi.

J'ai ouvert les yeux, et j'ai remonté la couverture plus haut sur mes épaules. Mon grand-père a avalé deux gorgées de sa tisane en souriant doucement.

- Parle-moi de toi.

Sous le plaid, j'ai tripoté son cadeau d'anniversaire, un fin bracelet en argent. Et j'ai senti un frisson de gratitude le long de mon échine. La personne la plus extraordinaire du monde se tenait en face de moi, et je prenais à nouveau conscience de combien je tenais à lui.

- Tu vas mieux ? a-t-il demandé de sa voix bourrue et réconfortante.

- Oui. Beaucoup mieux. Depuis que je l'ai rencontré.

- L'Ange ?

- Oui.

Il a souri.

- Comment s'appelle-t-il ?

Je me suis redressée. La table basse, entre le canapé et le fauteuil, avait encore un plateau de petits gâteaux que mes cousins avaient faits. J'en ai pris un, nappé de chocolat.

- Erwan.

- Et alors ?

- Alors c'est incroyable.

- Je n'en doute pas. L'amour est toujours une aventure fascinante, bonne ou mauvaise.

J'ai hoché la tête.

- Ton sourire m'avait manqué, Cassiopée.

- Toi aussi tu m'as manqué, papi.

- Monte dormir. Demain matin, c'est les cadeaux !

Il m'a fait un clin d'œil plus chaleureux encore que le feu de la cheminée, et j'ai souri encore. Je me suis levée, je l'ai embrassé sur la joue, et je suis montée dans ma chambre.

Même si mon grand-père était la personne à qui je tenais le plus au monde, je m'étais très bien entendue avec ma grand-mère, plus jeune. Quand elle est morte, toute la famille a mué. Nous nous sommes tous beaucoup éloignés. Moi, je m'en foutais, parce que je n'avais jamais spécialement tenu à mes cousins et cousines. C'est la période que j'ai passée à prendre le plus de billets de train possible pour Lille, pour rejoindre mon grand-père accablé de chagrin. J'avais été la seule à essayer de le soutenir. Ça l'a touché. Nous sommes devenus inséparables, formant ainsi un véritable cocon qui nous tissait un voile derrière une réalité que nous aimions tromper.

J'ai ouvert la porte de ma petite chambre, l'ancien bureau de mon grand-père, là où tous les murs étaient recouverts d'étagères croulantes de journaux et de livres. Et puis il y avait mon lit défoncé, celui dans lequel je dormais depuis que j'étais gosse. Cette chambre avait toujours été la mienne.

Je me suis assise sur mon lit en saisissant mon téléphone, et je me suis étalée sur le matelas dur en me connectant machinalement sur les réseaux sociaux. J'ai essayé d'appeler Erwan. J'espérais désespérément que ça allait marcher. J'avais besoin de sa voix. Le repas de Noël tout à l'heure m'avait totalement pompé l'air.

Les tonalités ont retenti dans mon oreille alors que je prenais enfin conscience que j'étais encore en tenue de soirée. Je me suis levée en coinçant le téléphone contre mon oreille, au moment où Erwan décrochait.

- Ton nom sur l'écran m'a sauvé la vie. L'inconvénient, c'est que ma mère l'a vue.

- Bonsoir, Erwan, ai-je rétorqué en souriant automatiquement. Je te dérange ?

- Pas du tout. Ma mère et les deux gosses voulaient jouer aux cartes. Je cherchais une excuse pour décliner quand tu as appelé. Alors je t'en prie, raconte-moi ta vie. Pendant que je trouve quoi dire à ma mère quand elle me bombardera de questions sur qui tu es.

- Tu peux toujours lui dire que je ne suis qu'une amie. Je comprendrais.

- Très drôle. Comme si j'allais me retenir d'afficher partout – et spécialement à l'autre bout de l'Europe – que je sors avec la plus belle fille du continent.

J'ai ri. Il a retenu son souffle au bout du fil.

- Tu me manques, Erwan.

- Toi aussi, mon amour.

Mon amour. Rien que ça. Le rose m'est monté aux joues, comme une idiote, et j'ai réalisé que j'en avais oublié de me déshabiller. Je me suis tortillée pour trouver la fermeture Éclair dans mon dos. J'adorais les robes, mais rien ne battrait jamais un bon vieux pantalon de jogging.

- Tu fais quoi ? a demandé sa voix soudain curieuse.

- Rien de spécial, ai-je menti en poussant ma robe du bout du pied pour me tourner vers ma valise ouverte par terre.

Il a éclaté d'un rire franc, absolument adorable. Il avait l'air heureux. Quelques mois auparavant, je n'aurais jamais cru qu'Erwan était le genre de type à rire à une simple phrase qui sous-entendait deux trois vêtements en moins. Et si c'était moi qui arrivais à le faire rire ainsi, j'en étais la plus heureuse.

J'ai enfilé mon pyjama avant de m'écrouler sur mon lit dans un confort inédit.

- Alors, tes cousins ?

- Ignobles, ai-je répondu en soupirant. Et je te passe la gamine qui n'arrête pas de pleurer.

- Celle de l'âge de Cléo et Nausicaa ?

- Si seulement elle était aussi calme.

- Et ta mère ?

- Elle va bien, je crois. Elle a dû répéter douze fois pendant le repas qu'elle pensait que la filière scientifique avait des débouchés incroyables, et mes deux cousines étudiantes en médecine en ont profité pour étaler leur science.

- La littérature, il n'y a que ça de vrai.

- C'est leur problème s'ils n'apprécient pas la beauté humaine, la vraie.

Nous avons continué de parler de tout et de rien pendant que je me démaquillais. Fatiguée, je me suis finalement glissée sous la couverture.

- C'est quoi ton rêve, Erwan ? A quoi ça rime pour toi, tout ça ?

- Tout ça quoi ?

- Ta vie.

- J'en sais rien.

Il a attendu un peu. Le tissu de l'oreiller grattait un peu sous mon oreille.

- Advienne que pourra.

J'ai médité ses paroles un instant.

- Et toi ?

- Je veux partir. Le plus loin possible. Avec toi de préférence. Voyager. Ne jamais m'arrêter.

J'ai failli lui dire que son sourire me faisait déjà voyager, et puis ma fierté m'a mis une gifle.

- C'est comment, la Suède ?

- Froid.

- Toujours aussi cynique. Tu visites un des plus beaux pays du monde, et tu ne trouves que la météo à relever.

- Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? On ira un jour, si tu veux. Pas chez ma mère. Mais où tu veux. On verra ton aurore boréale.

- Tu t'en souviens...

- Bien sûr que je m'en souviens. Partante ?

- Ce serait incroyable.

- Ce sera incroyable, Cassiopée.

Je me suis retournée dans le lit, face au mur maintenant, à me représenter son visage baigné d'obscurité et de sourires.

- Combien de kilomètres nous séparent, déjà ?

- Un paquet, si tu veux mon avis. Deux ou trois montagnes, beaucoup trop de frontières, et je suis pratiquement sûr que tu peux rajouter des flocons de neige à cette équation. Comme quoi, l'amour peut résister à beaucoup.

J'ai fermé les yeux. Ses mots ont résonné un moment sous le plafond bas de la chambre.

- Passe le bonjour à ton grand-père de ma part.

- C'est drôle, je crois que tu as le sien aussi.

- Ah ?

- J'aimerais que tu le rencontres.

- Un jour, peut-être.

- J'espère.

- Promis.

- Je vais devoir raccrocher, Erwan, il est presque une heure du matin et je n'ai pas envie de réveiller la petite. Tu me manques. Ça m'a fait plaisir de t'entendre.

- Pas de soucis. Bonne nuit princesse.

J'ai éteint la lumière.

« Et dernière les montagnes, les frontières et les flocons de neige... je crois qu'il y a l'espoir. » – Erwan

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