Chapitre 42
Chapitre XLII
Erwan
J+3
- Je vais ouvrir les volets.
- Non, laisse-les fermés !
- Erwan, ta chambre pue.
Je reniflais, frigorifié. Je me suis laissé tomber sur mon lit, pendant que Gabriel, qui semblait presque aussi mal en point que moi, ouvrait la fenêtre. Je me suis assis contre le mur, près des oreillers, et j'ai frotté mes yeux fatigués. Gabriel a ouvert la fenêtre, et un insupportable vent frais a fouetté ma chambre.
Il est resté devant ma fenêtre dans un silence inconfortable. Mortifiant.
- Je vais appeler ton père, OK ?
- Gabriel...
- Et puis je vais aussi aller chercher le courrier.
J'ai hoché la tête. Il cherchait à tout prix un prétexte pour s'occuper, et c'était compréhensible. Et pourtant, je n'arrivais pas à avoir envie de le garder à mes côtés. Je voulais être seul. Réfléchir. Remettre mes écouteurs. Fermer les yeux.
Gabriel s'est raclé la gorge, et il est sorti de ma chambre. Je me suis levé pour aller fermer la fenêtre, et j'ai baissé les stores à nouveau.
J'étais enfin seul. Seul dans le noir.
Une métaphore de ma vie. Un véritable cliché.
Et pourtant, je ne m'étais jamais senti aussi vide.
Je n'avais pas grand chose à faire des conséquences possibles à ma petite révolte dans la cour. Aussi ai-je recalé ce sujet dans un coin de ma tête. Je me suis demandé si Gabriel voulait être seul, lui aussi, qu'il restait uniquement par peur de me laisser sans personne chez moi. Le connaissant, c'était sans doute le cas.
Les minutes ont passé, lentes et douloureuses, mues par un rythme affligeant qui n'avait plus aucune emprise sur moi. J'ai allumé ma lampe de chevet. Je me suis allongé dans mes draps défaits.
- Erwan ?
Gabriel s'est raclé la gorge. Il avait les yeux terriblement rouges, et il était plus pâle que jamais.
- Ton père arrive. Il était parti faire les courses, je crois. Et je crois que tu as un colie de la part de la mère de Cassiopée. Avec une lettre. Tu veux que je te le mette quelque part ?
J'ai indiqué le fond de la chambre d'un mouvement lent de la tête. Pour l'instant le carton n'était pas ma priorité. Il contenait sans doute diverses affaires que j'avais pu laisser chez elle, ou que Mme Bonham estimait que Cassiopée aurait aimé me voir récupérer.
Gabriel n'a plus rien dit. Il s'est assis sur la chaise de mon bureau, et nous sommes restés tous les deux immobiles, dans un silence de mort. Trop fiers pour parler, pour pleurer, pour dire quelque chose, n'importe quoi, même si ça faisait trois jours que j'avais renoncé à toute fierté. Savoir que l'autre était là, ça faisait du bien. J'ai respiré plus facilement pendant quelques minutes.
Mon père est rentré à la maison. Gabriel est parti. Il m'a dit qu'il reviendrait le soir, qu'il devait s'occuper de ses sœurs et du bébé. Je n'ai rien dit. Il n'avait pas besoin de se justifier.
Quand il a quitté la pièce, je me suis déplacé jusqu'au colis. Je ne l'ai pas ouvert. Mais j'ai pris l'enveloppe, et il m'a fallu plusieurs secondes pour parvenir à déchiffrer la lettre qu'elle contenait.
C'était effectivement de la main de Selena Bonham.
Erwan,
J'essaye de te joindre sur ton portable depuis hier soir, mais j'imagine que tu l'as éteint, puisque je tombe directement sur ta messagerie. Alors me voilà par la poste, où j'espère que tu trouveras la lettre. C'est important.
Cassiopée sera enterrée jeudi. Tristan comptait sur toi pour dire quelque chose.
Dans ce carton, tu trouveras quelques objets qui lui rappelaient ta présence, et qui lui étaient chers. J'ai pensé que tu aurais aimé les avoir.
Si tu as oublié quelques effets personnels chez nous, la porte est ouverte.
Si tu as besoin de parler, ou de faire quoi que ce soit, tu peux aussi venir.
Je peux t'avouer ici qu'il m'a été très difficile de remonter dans sa chambre. C'était comme braver l'interdit, ou violer un tombeau. Les deux, sans doute. J'imagine que, toi et moi, nous avons franchi un nouveau pas. Nous pouvons dire que nous sommes suffisamment proches pour que je te parle comme à un neveu, non ?
Je ne t'écris pas seulement pour te dire quand sera enterrée ma fille.
Je voulais aussi te remercier.
C'est assez personnel, et sans doute un peu tôt pour en venir aux adieux éprouvants. Mais c'était important pour moi que tu saches. Parce que je sais que, pour toi aussi, l'avenir est douloureux.
Je ne t'en veux absolument pas, de quelque manière que ce soit. C'est à moi que j'en veux. Je ne serai jamais assez courageuse pour te l'avouer en face, et d'ailleurs, je n'arriverai probablement pas à dire quoi que ce soit quand nous nous verrons la prochaine fois. Comme Cassiopée, j'ai toujours eu plus de facilité pour m'exprimer par écrit. C'est ici que je t'avouerai, donc, que je pense sincèrement que c'est en grande partie ma faute tout ce qui est arrivé. Et je ne me le pardonnerai jamais. Là où je balayais sentiments et espoirs de Cassiopée, tu gommais mes erreurs et tu l'aidais à inventer un avenir nouveau.
Je pense parler en son nom pour te dire que tu n'as pas à te sentir responsable de sa disparition. Cassiopée a été plus heureuse avec toi qu'avec n'importe qui. Elle me l'a dit, et pas plus tard que jeudi soir. Elle vivait avec toi un amour que moi-même je n'ai jamais connu. Et j'aurai tout donné pour continuer de la voir sourire, même quand tu n'étais plus dans les parages.
Je m'égare. Je n'ai pas parlé depuis samedi, à la morgue. Je suppose que j'ai besoin de parler à quelqu'un qui connaissait Cassiopée d'une manière différente, mais qui l'aimait tout autant.
Je ne sais pas si nous nous verrons de sitôt. Mais je tenais vraiment à ce que tu saches.
Merci pour tout ce que tu as fait pour mon enfant, Erwan.
Au revoir,
Selena Bonham.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top