Chapitre 40
Chapitre XL
Cassiopée
- Alors tu l'emmènes à Disneyland pour vos trois mois ? Waouw, c'est trop mignon !
Gloria a éclaté de rire en battant des mains, donnant ainsi une image parfaitement ridicule. Presque aussi ridicule que sa précédente phrase.
En face d'elle, Tess, qui sortait effectivement avec Markus depuis deux mois, a souri, des étoiles dans les yeux.
Et moi, j'ai éternué.
J'ai essayé de trouver du réconfort auprès du chaud regard de Matt, en face de moi, mais j'ai vite abandonné. Il était aussi expressif qu'un poulpe mort.
Je me retrouvais donc bien seule pour les TPE.
- Tu vois, je me dis souvent que nous, on ne sera pas comme... Perle et Roméo. Markus, il me respecte, et il m'aime, et moi aussi je l'aime, et je me dis que l'amour, c'est génial.
Diiiingue. Ma voix, traînante même dans ma tête, m'a fait sourire. C'était tellement facile de se moquer de Tess que je pouvais presque avoir honte.
- Tu as raison ma belle. Et je suis très heureuse pour toi, a approuvé Gloria avec un hochement de tête professionnel.
J'ai levé les yeux au ciel.
- Sinon, on exclue le demi-dieu de la thématique, oui, ou non ? les ai-je coupées avec le plus de calme possible.
Grave erreur.
- En parlant de demi-dieu, a roucoulé Tess, ça y est ? C'est officiel ?
C'est le moment que Dean a choisi pour passer à côté de notre table en posant une main sur mon épaule. Main qu'il a aussitôt retirée en entendant la phrase de Tess.
- Qu'est-ce qui est officiel ?
Je me suis éclaircie la gorge, sous l'œil gourmand de Tess et Gloria. Évidemment, il n'avait pas fallu longtemps pour que, dès mon arrivée dans ce lycée, toute la classe s'emploie à nous mettre dans le même panier, Dean et moi. « Le ship ultime », disait Gloria en levant les yeux au ciel avec délices alors que je tentais désespérément d'avancer les TPE au mois de septembre. « Plus beaux que Larry », renchérissait Tess alors que j'essayais de me convaincre qu'elle ne venait pas de me comparer à un des One Direction.
J'ai tourné la tête vers Matt, priant pour du soutien, mais il était carrément en train de dormir sur la table.
Je regrettais pour la première fois de l'année d'avoir pris la filière littéraire. Parce qu'à la vue de ma classe, j'en venais à regretter les maths.
- Je sors avec Erwan.
- Stark ?
- Stark, ai-je confirmé en haussant un sourcil.
Huit heures du matin, un début de semaine : ne me demandez pas d'être aimable.
Le visage de Dean s'est fermé. Ses yeux se sont assombris, et il a déclaré calmement :
- Ah. Très heureux pour toi.
Gloria a pouffé.
- Merci, ai-je rétorqué en retournant machinalement la feuille devant moi.
Ah, le demi-dieu. Un thème si riche.
Tess a regardé Dean s'éloigner d'un pas furibond pour s'asseoir violemment sur sa chaise.
- Waouw !
- Ça va, Tess.
Mon regard noir l'a calmée. Elle a perdu son sourire, et a baissé les yeux. J'ai toussoté, pour éclaircir ma gorge endolorie par les vestiges de ce stupide rhume, et j'ai déclaré avec toute ma bonne volonté :
- Bien, donc. Anti-héros ou demi-dieu ?
Manque de chance, Dean m'a coincée dans un couloir désert, entre midi et deux, à l'endroit où je me réfugiais souvent pour écouter de la musique seule avec mes pensées.
Je ne savais pas ce qui m'avait pris de lui faire part de cet endroit.
Dean, il était franchement mignon, voire même plutôt beau. Bon, il ne valait carrément pas Erwan. Mais il pouvait être vraiment attirant. Au début, son sourire m'a aidée à m'intégrer dans une classe où tout le monde se connaissait plus ou moins. Nous avions beaucoup parlé, mais au fond, il ne savait rien d'autre de moi que mes bouquins préférés et mes notes en français.
Et pourtant, je n'avais jamais ressenti la plus petite ambiguïté au niveau de mes sentiments. Quant à notre baiser, c'était comme s'il n'avait jamais existé.
Du moins pour moi.
Parce que lui, apparemment, c'était une autre histoire.
- Je voulais te parler.
- Je me doute, oui.
Je n'avais pas vu Erwan de la journée. J'étais d'une humeur de chien. L'hôpital, ma mère, le lycée et Erwan s'embrouillaient dans mon esprit. Pour faire le tri, je comptais écouter calmement de la bonne musique en somnolant dans la cage d'escalier, mais cet idiot m'en empêchait.
- Je t'écoute, ai-je entamé avec patience.
- C'est quoi cette blague avec Stark ?
« Merde, je savais que j'aurai dû te demander ta bénédiction avant de me mettre à sortir avec lui » ai-je ironisé intérieurement.
- Ce n'est pas tout à fait une blague.
Il avait l'air furieux. Je me suis forcée à rester immobile et calme alors que j'avais douloureusement conscience d'être dans un couloir seule avec lui, et que ce n'était pas forcément une bonne stratégie.
- Fais pas l'innocente. Il y a deux semaines vous refusiez de vous parler.
- Les temps changent.
- Tu m'as embrassé, merde !
J'ai évité de revenir sur le fait que non, ça avait été plutôt l'inverse.
- Et comme je te l'ai dit et répété il n'y aura jamais rien de plus entre nous.
- Mais bon sang, ça ne t'a rien fait ? C'était quoi, c'était rien ?
Il avait l'air plus touché que prévu. J'ai ouvert la bouche, impuissante. Je ne savais pas vraiment quoi dire pour désamorcer la situation.
- J'aime Erwan.
- Mens pas. Tu ne ressens rien du tout pour lui.
Une veine palpitait à sa tempe. Il se penchait dangereusement vers moi, mais je m'étais déjà fait avoir une fois. Plus jamais je ne me retrouverai contre un mur en face de lui. J'ai reculé d'autant qu'il avançait.
- Je ne me rappelle pas t'avoir demandé ton avis, aussi arrêté qu'il soit, ai-je dit soudain plus froidement. Alors fous-moi la paix.
Il a frappé le mur. Je me suis redressée avec toute la fierté que j'avais pour compenser la masse de muscles de Dean, et les biceps saillants de ses bras alors qu'il donnait l'impression de pouvoir défoncer le mur.
- Tu finiras par me laisser une chance, a-t-il grondé.
J'ai souri poliment.
Ses narines ont frémi. J'ai vu une violence encore plus inattendue dans ses yeux. J'ai alors jugé que c'était le bon moment pour partir. Je l'ai dépassé en silence, à la recherche d'un nouveau couloir.
Je me suis retrouvée dans la cage d'escaliers où Erwan et moi nous retrouvions parfois. J'ai mis mes écouteurs et je me suis appuyée contre le mur, espérant secrètement qu'il viendrait.
Puis, j'ai réfléchi.
L'hôpital ne m'avait pas aidée. J'avais pu le croire, mais à présent, je me trouvais devant une constatation assez nuancée.
En réalité, il avait commencé un travail pour le laisser inachevé.
Cet institut avait érigé une façade parfaite. De glace. Sans un défaut. Une armure indestructible. Mais à aucun moment je n'avais eu l'impression de me sentir mieux à l'intérieur.
J'étais plus sociale. J'avais plus d'amis. « D'amis ». De potes. De connaissances. Peu importait le terme, il signifiait la même chose à mes yeux. J'aimais le fait qu'Erwan avait voulu enlever le masque au lieu d'apprendre à le connaître. J'ai soupiré.
Heureusement.
Heureusement que je l'avais rencontré.
Mon cœur s'est soulevé. J'avais été terriblement stupide. Moi qui voulais donner une chance à tout pour apprendre de tout et partout, j'avais renié l'amour avant d'en mesurer les conséquences. J'avais failli passer à côté.
Et vu le sourire d'Erwan, ça aurait été franchement dommage.
J'ai ouvert les yeux, et j'ai sursauté. Deux yeux verts étaient solidement ancrés dans les miens, à dix centimètres de mon visage.
- Tu m'as fait peur, ai-je dit en enlevant mes écouteurs.
Il a souri. Il m'a embrassée. Je me suis embrasée. Je me suis raccrochée à lui pour l'attirer contre moi. J'avais passé une nuit affreuse et une matinée qui n'avait pas valu beaucoup mieux. Le voir ici était comme me réveiller à nouveau, ou respirer un air plus frais, plus revigorant.
Il a souri, un peu timidement, en s'écartant légèrement.
- Tu as passé une bonne nuit ?
- Je n'ai pas beaucoup dormi. Mais ça va, oui.
Il s'est assis sur les marches à côté de moi. Il avait l'air sincèrement heureux de me voir, et ce bonheur m'a réchauffé le cœur. Je me suis blottie contre lui. Il a refermé ses bras autour de moi. J'ai fermé les yeux.
- Tu ne vas pas bien, a-t-il murmuré contre moi.
J'ai haussé les épaules. Je ne voulais pas y retourner. Je ne voulais pas retourner là-bas, à l'hôpital.
- Tu veux passer chez moi après les cours ?
- Je ne sais pas, Erwan... j'ai du travail.
- Fais-le chez moi. Je n'ai pas envie de te laisser rentrer chez toi dans cet état.
Adorable.
- D'accord. Je passerai chez moi avant, OK ?
J'ai senti qu'il hésitant. Quelque part j'en étais blessée. Il me pensait donc sincèrement capable de faire quoi que ce soit sur le trajet entre nos deux maisons ?
Oui.
Parce que j'en étais capable.
J'ai inspiré un bon coup pour calmer le vent de panique qui me soulevait. Et j'ai ouvert les yeux.
- D'accord, a-t-il dit simplement.
- Erwan...
Je me suis dégagée de ses bras, et il a paru surpris, mais surtout inquiet. Il a instinctivement reculé. Mais trop tard, je devais aller au bout de ma pensée. Il fallait qu'il sache, maintenant qu'il était avec moi. Maintenant que j'avais admis que pour lui je n'éprouvais pas juste de la curiosité.
- Je... je veux que tu saches... s'il m'arrivait quoi que ce soit...
- Cassiopée, respire.
- Non, non, je veux que tu saches que ce n'est pas de ta faute. Ce ne sera jamais de ta faute.
Mon cœur a battu plus vite. Parce qu'il fallait qu'il sache.
Ma mauvaise matinée n'a fait qu'empirer les choses. Mes émotions semblaient démultipliées.
- D'accord ?
- Cassiopée, est-ce que je devrai avoir une raison de m'inquiéter ?
- C'est pas la question, Erwan, c'est pas la question. Je veux juste que... que tu ne te sentes pas responsables de quoi que ce soit.
Et, paniquée, j'ai répété :
- D'accord ?
Il a eu un faible sourire, le genre de sourire contrit et incertain. Ma respiration s'est détendue. Il comprenait. Très égoïstement, il acceptait de me laisser décider.
J'ai souri à mon tour. Alors, il a répondu.
- Non. Pas d'accord.
Il s'est levé.
- On va dans la cour ? Il fait noir, ici.
- Mais dehors, il fait froid.
- J'ai besoin de te parler, Cassiopée, et tu as besoin de prendre l'air. Alors on va sortir. Pas longtemps. Juste assez. OK ?
- OK.
Nous nous sommes déplacés vers l'entrée la plus proche. Il n'y avait pas grand monde dans les couloir, et heureusement, parce que je n'étais d'humeur à parler à personne, sauf à lui. Nous n'avons même pas croisé Gabriel ou Cameron. C'était malhonnête, mais je m'en sentais heureuse. J'avais envie d'avoir un moment seule avec lui.
Nous nous sommes approchés de ce coin d'herbe et d'arbres, là où j'étais venue le chercher le jour de la soirée de Joa, quand il était allongé dans l'herbe, bras croisés derrière la nuque, en souriant insolemment aux nuages qui le narguaient depuis le ciel. J'ai faiblement souri à mon tour à ce souvenir.
Nous avons commencé à marcher le long de la route bordée d'arbres. L'avantage de ce lycée, c'est qu'il avait une grande, très grande cour. Nous avons attendu quelque temps avant de reprendre notre conversation.
- Si tu mourais, tout le monde se sentirait respirable.
- C'est stupide.
- Non. Les gens tiennent à toi.
- Je ne pense pas.
Dans mon souvenir à germé l'image de ma mère dans le noir. Et quelques bribes de mots.
« Je t'aime tellement »
J'ai chassé ces images de ma tête.
- Je ne te demande pas de me croire, mais de m'écouter.
Les mains dans les poches, le menton rentré dans son écharpe, il a shooté dans un petit caillou qui s'est abîmé dans l'herbe dix mètres plus loin.
- Maintenant que je peux essayer de te parler sans risquer de me faire éjecter, je peux te le dire, a-t-il enchaîné. Il est hors de question que je te promette de ne pas me sentir coupable. Parce que ça voudrait dire que je ferai le copain fantôme. Je ne veux pas juste d'embrasser au lycée et t'envoyer « bonne nuit » le soir avec un emoji cœur. Je veux que tu me fasses confiance.
Comment pourrai-je lui faire totalement confiance ? Il était capable de briser tout ce qu'il restait de moi d'un seul regard. Il pouvait me reconstruire comme me détruire. Comme Luke.
- Je veux que tu me parles, Cassiopée. Que tu me dises tout et n'importe quoi. Parce que peu importe ce que tu me racontes, j'adore ça. Tu te souviens, quand on a cherché ta constellation dans le ciel pendant vingt minutes quand je te raccompagnais chez toi ?
- On ne l'a toujours pas trouvée.
- Exactement. Et pourtant, j'aurai pu y passer la nuit. Parce que je n'ai pas besoin de grand chose, Cassiopée, juste de toi. Et c'est parce que j'ai besoin de toi que je veux te faire regarder autour de toi. Te faire prendre conscience des choses.
J'ai fermé les yeux.
- On partira un jour, toi et moi ?
- Oui, Cassiopée, c'est promis.
- On va où ?
- Pékin. On a toujours dit qu'on irait à Pékin en premier.
- On marchera sur la Grande Muraille ?
- Bien sûr. Et on verra défiler les millénaires.
J'ai souri. Des étoiles s'étaient allumées dans ses yeux verts.
- On sourira aux montagnes chinoises, ai-je dit en souriant.
- On rira face au vent.
- On embrassera le ciel.
Nous avons échangé une œillade complice. Tellement complice que mon cœur a brutalement accéléré. J'ai accroché son coude pour l'arrêter. Un éclair de surprise a traversé ses yeux, ses yeux d'un vert impossible à décrire. Impossible à lâcher du regard. Tellement verts que les feuilles des arbres en paraissaient bleues, tellement verts qu'on aurait pu en repeindre le ciel, tellement verts qu'on ne voulait jamais s'en détacher, jamais retourner au monde froid et gris qui attend dehors là où personne ne regarde. Si verts que chaque battement de ses cils me lançait au visage une rupture brutale avec son univers de jade et d'émeraude.
- Cassiopée...
Je l'aimais. J'aimais tellement cet homme imperturbable et lointain qui regardait le monde autour de lui comme on regarde avec amertume le soleil se coucher et disparaître derrière les nuages. J'aimais cet homme dont le sourire faisait fondre les neiges et dont les éclats de rire déchiraient le temps. J'aimais ses pommettes hautes et ses joues creusées, sa mâchoire sculptée, ses cheveux de jais, j'aimais chaque centimètre de sa haute silhouette et chaque phrase qu'il laissait échapper comme un souffle de vie d'une voix passionnée.
Qu'y avait-il à détester chez quelqu'un qui redonne le goût à la vie à ceux qui l'ont perdu ?
Et qui avait-il a offrir à quelqu'un qui méritait la Lune ?
- Comment je peux te faire sourire ? ai-je murmuré.
- Pardon ?
Je redonnerai un sourire à son visage. S'il arrivait à me recoller, s'il arrivait à me relever, moi, je ferai mon possible pour l'élever, plus haut que les dieux, pour lui faire goûter le ciel, l'emmener aux confins de l'horizon. C'était une promesse.
Plus jamais il ne pleurera. Plus jamais il ne laissera son regard se promener avec une profonde mélancolie sur le monde qui l'entourait.
Il a souri.
- Embrasse-moi.
Je l'ai embrassé.
Dans le froid, dans la grisaille. On détonnait comme deux taches de couleurs brûlantes sur un paysage en noir et blanc.
Et là, j'ai réalisé quelque chose. Quelque chose de crucial.
Il m'aidait. Il m'aidait déjà tellement. Il avait fait en deux mois ce que personne, sauf Luke, ne s'était risqué à faire dans ma vie.
- ... et ne me lâche plus jamais, a-t-il murmuré contre moi.
- Jamais.
Je l'ai embrassé encore.
Jamais.
- Maman ?
- Oui, Cassy ?
- Tu vois ce cahier ?
- Ne me dis pas que tu vas écrire un journal intime.
- Non, du tout. Mais j'aimerais juste que tu le donnes à Erwan quand tu sentiras le moment venu.
- Ma fille se la joue mystérieuse...
- Promets-moi, Maman.
- C'est promis, Cassy.
« Un violet à faire pâlir le crépuscule » – Erwan
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