Chapitre 39

Chapitre XXXIX

Erwan

J+3



Personne n'aime le lundi.

Enfin, quand je dis personne, je parle d'une immense majorité de la population, enfants, adolescents, adultes. Personne n'aime dire adieu au week-end pour voir se profiler une semaine ignoble devant soi.

Effectivement, je n'avais jamais aimé le lundi, parce que je me faisais royalement chier au lycée.

Mais ce lundi là, celui trois jours après la mort de Cassiopée, je le redoutais comme un prisonnier redoute son exécution.

Je savais que mon père ne me forcerait pas à y aller. En fait, il aurait sans doute préféré que je reste à la maison, dans ma chambre, à bouffer du pain en regardant le plafond. Et pour être honnête, moi aussi.

Mais je savais également que le lycée allait être au courant dans les prochaines heures, que nous aurions une petite minute de silence troublée par des éternuements et des rires étouffés, un discours du doyen, et un coin de lycée plein de fausses fleurs, de bougies dégueulasses,et de mots d'amour ridicules.

Et aussi bizarre que cela puisse paraître, je voulais y assister.

Soyons honnête, je ne voulais voir personne. Parler à personne. Ne rencontrer personne sur mon chemin. Mais il me semblait que c'était important d'être là. Cassiopée aurait détesté cette cérémonie. Mais je devais y être. Et si on me demandait de prononcer quelques mots ? Cela faisait trente-six heures que je n'avais pas ouvert la bouche. Je n'étais pas sûr de pouvoir dire quoi que ce soit.

Mon père a entrouvert la porte de ma chambre, sans dire un mot. Sans doute sa manière à lui de me dire que nous allions partir. Je me suis levé de mon lit. Mes jambes ont flanché. Je me suis senti écrasé sous le poids d'une douleur qui a broyé mes vertèbres et comprimé mes poumons. Je me suis retenu à mon bureau en respirant profondément. Il allait me falloir du courage pour affronter cette journée. Beaucoup de courage.

J'allais aller au lycée volontairement très en avance, pour éviter les regards pesants et les doigts pointés. Une fois les mondanités terminées, les bougies allumées, je n'allais sans doute pas aller en cours. Je rentrerai chez moi. Mon père m'y attendrait peut-être. Il me semblait l'avoir entendu téléphoner à son bureau quelques heures auparavant.

Mon rythme de vie complètement détaillé m'empêchait d'aligner deux pensées cohérentes, peut-être parce qu'en réalité, une seule pensée m'obsédait. Son visage. Son visage ne voulait pas quitter mon esprit. Ce n'était pas son visage des beaux jours, avec un sourire blanc et des yeux pétillants. Mais un visage désincarné par la terreur, les cils larmoyants. Le bruit de ses sanglots éclatait dans mon esprit constamment. J'avais l'impression d'être schizophrène.

A ses sanglots déchirants se mêlaient des hurlements. Elle qui criait mon nom. Des bribes de phrases que ma mémoire faisait affluer à la surface. C'était une cacophonie insupportable. Insoutenable. Elle me fendait un peu plus à chaque seconde.

Alors, depuis des heures, j'écoutais de la musique. Du bon métal assourdissant, à un volume qui aurait dû me rendre sourd. Je me concentrais de toutes mes forces sur ces paroles que je ne comprenais même plus, pour penser à tout sauf aux pleurs de Cassiopée que mon esprit imaginait. J'avais ressorti ce vieux baladeur que j'utilisais au collège pour éviter d'allumer mon portable. Et pour éviter de retomber sur une de nos chansons.

Je ne m'étais ni changé ni douché ces deux derniers jours. Je me suis déshabillé maladroitement, refusant de me regarder dans le miroir. Je savais ce que j'y verrai, ou du moins j'en avais une vague idée. Sans doute la réalité serait-elle plus terrifiante encore. Je ne voulais pas voir mon visage de cadavre maintenant.

Cadavre.

Refusant d'enlever mes écouteurs jusqu'au dernier moment, je me suis retrouvé nu et somnolent dans ma salle de bain, à regarder les échos de Cassiopée qui se douchait les jours où mon père avait été en déplacement. J'ai secoué la tête, ployant une nouvelle fois sous le désespoir.

Je ne voulais pas voir ces souvenirs.

J'ai arraché les écouteurs de mes oreilles.

« Erwan ! »

Sa voix qui semblait déchirer le brouillard, déchirer la nuit.

Déchirante.

Cassiopée souriante et morte.

Déchirée.

La musique s'est déversée dans la salle de bain. Le volume de l'enceinte faisait presque vibrer la plante verte. J'ai fait couler l'eau. Je me suis rapidement lavé, en manquant de m'effondrer au fond de la baignoire à plusieurs reprises. Je n'avais pas le temps de rester immobile dans cette pièce. Ma chambre avait été reconquise. Mes souvenirs ne s'estompaient pas, mais l'obscurité les endormait. Ici, la blancheur qui m'avait d'abord aveuglé avait presque l'effet d'un miroir. Je la voyais partout. Et c'était insupportable. Pour ne pas m'effondrer, je me suis retenu au bord du lavabo, refusant toujours de me regarder dans le miroir. Mes jointures blanchissaient. J'ai remis mes écouteurs, et je me suis habillé en vitesse.

A mesure que les minutes passaient, j'étais de moins en moins sûr de vouloir aller au lycée.

Je suis sorti de la salle de bain. J'essayais de regarder droit devant moi, pas sur les côtés, pour ne pas voir son image.

J'ai saisi mon sac de cours, quasiment vide, devant ma chambre, et je suis descendu aurez-de-chaussée. Mon père m'attendait, clés de voiture en mains.

A la manière dont il m'a dévisagé, je me suis ensuite appliqué à éviter les miroirs comme la peste.

J'ai enfilé mes chaussures, mains dans les poches, un chanteur dont je ne me rappelais plus le nom hurlant des notes enflammées dans mes oreilles.

Mon premier contact avec l'extérieur depuis samedi s'est mieux passé que ce que je pensais. J'ai pu marcher jusqu'à la voiture, m'asseoir et m'attacher sans regarder ni mon père, ni le jardin, sans fondre en larmes, et sans supplier pour regagner mon lit. Au fond de ma poche, quelque chose de dur et de froid a rencontré ma paume. Je l'ai saisi, je l'ai regardé, je l'ai regretté. C'était la petite sculpture en métal qu'elle avait gagnée en grattant le ticket de tombola offert par l'homme au marché. Notre jeu depuis ce jour avait été de se refiler la statue à l'insu de l'autre. Elle avait gagné. Cassiopée gagnait toujours.

Je me suis concentré sur le paquet de chewing-gum devant moi pour éviter de penser à son sourire. J'ai encore augmenté le volume de la musique. Et j'ai fermé les yeux.

Quand la voiture s'est arrêtée, je ne suis pas descendu tout de suite. Le portail du lycée était ouvert, mais ni surveillants ni élèves n'étaient encore là. J'ai regardé mon père. Il me regardait déjà. J'ai lu sur ses lèvres.

- Tu veux que je t'accompagne ?

J'ai secoué la tête. Je n'arrivais plus à parler, de toute façon.

Je suis descendu de la voiture aussitôt après. Je savais que si je patientais plus, j'allais juste laisser mon père me reconduire à la maison.

J'ai franchi le portail et j'ai descendu une volée de marches pour arriver au bâtiment principal du lycée où Cassiopée avait étudié. Les murs de briques rouges, le sol qui, dans quelques heures, serait glissant d'eau et de boue.

Les couloirs étaient vides. Sombres. Je me suis assis sur un de ces bancs devant les arches qui se découpaient dans les murs, et j'ai regardé la neige tomber en appuyant mon front sur la vitre glacée. Je me suis souvenu de son corps chaud que je tenais dans mes bras les jours d'hiver. Pas plus tard que la semaine dernière. Pas plus tard que vendredi.

Vendredi.

Il me semblait que c'était une éternité. Peut-être parce que, entre temps, mon quotidien s'était complètement effondré.

La tête foisonnante de souvenirs qui ne voulaient pas partir, je me suis recroquevillé près de la vitre froide.

Concentre-toi sur la musique.

Elle me vrillait les tympans, estompait sa voix.

Mais j'avais beau espérer de toutes mes forces que la musique m'emplisse totalement, mes yeux, eux, la voyaient partout. Qu'ils soient ouverts ou fermés. Elle était là, mais elle était partie. Cette omniprésence me dévastait. J'ai serré les dents. J'ai relevé la tête. Un lent sentiment de colère prenait peu à peu place dans ma poitrine.

Je n'en aurai que pour quelques heures.

J'ai posé ma tête dans ma paume. Et l'enterrement de Cassiopée ? Elle ne m'en avait jamais parlé. Et je n'avais jamais voulu y penser. Mais ça allait arriver. Et je ne voulais pas que ça arrive. Parce que recouvrir son corps de terre, ça allait fermer une porte. Savoir son corps enfoui me ferait un nouveau choc immense, je le savais. Ne plus jamais regarder sa beauté ou l'embrasser. Ne plus jamais voir le violet dans ses yeux et ses fossettes quand elle souriait.

Son sourire.

Ses yeux...

J'allais me remettre à pleurer.

J'ai inspiré profondément. Je m'interdisais de craquer. Plus tard. Dans une heure. Deux. Demain. Pas maintenant.

Les minutes sont passées.

J'ai ensuite compris que les élèves allaient commencer à affluer. Je me suis levé. Un peu péniblement. Je me suis déplacé vers les escaliers tout au bout d'un des couloirs, le genre d'escaliers où il n'y avait jamais personne. Les deuxièmes escaliers de ce genre étaient ceux où on s'était officiellement mis ensemble. Alors pour des raisons évidentes, j'allais éviter de m'y rendre.

Je ne saurai pas dire combien de temps je suis resté là sans rien dire, répétant à mi-voix les paroles de ma chanson. Parfois, je voyais les élèves passer devant mon repère, sans jamais s'arrêter. Ils riaient.

Rire.

Je me suis levé quand plus personne ne passait. C'était l'heure. J'allais devoir y aller.

J'ai traîné des pieds jusqu'au hall qui donnait sur la cour. Et dans cette cour, trempés, sous la neige, se tenaient deux mille élèves. En face d'eux, le proviseur parlait dans un micro, un parapluie noir brandi au-dessus de sa tête. J'ai inspiré. J'ai enlevé mes écouteurs. Le silence m'a sauté dessus.

Alors j'ai ouvert la porte.

Quatre mille yeux se sont braqués sur moi. La foule s'est agitée. Je voyais des têtes chuchoter à leur voisin. J'ai serré les mâchoires. Je me sentais scruté, montré du doigt. Certaines personnes pleuraient. D'autres me regardaient avec pitié. Le proviseur, sentant l'agitation, s'est retourné. Son visage s'est décomposé.

- Erwan... tu peux venir à côté de moi ?

J'ai secoué la tête. Je resterai derrière lui. Comme une ombre. Je n'étais ni de ceux qui parlaient, ni de ceux qui écoutaient.

L'équipe administrative était réunie à la droite du proviseur, Elton. J'étais à sa gauche. Silencieux. Glacé.

Elton m'a tourné le dos pour continuer de s'adresser aux élèves. Malgré la neige qui tombait encore, j'ai levé la tête vers les nuages. Je ne voulais pas chercher le visage de mes amis dans la foule.

- Nous avons conscience que Cassiopée, en plus d'un an et demi de vie dans ce lycée, a tissé des liens forts avec beaucoup d'entre vous. L'infirmière scolaire est une oreille discrète et attentive. N'hésitez surtout pas à aller lui parler. Nous sommes tous là pour vous écouter, vous conseiller. Vous épauler. Ne vous sentez pas responsables de sa mort ; Cassy n'aurait sans doute pas voulu ça.

Cassy aurait surtout bondi à l'entente de ce surnom.

- Le hall sera pendant les prochaines semaines un lieu de rassemblement et d'hommages. Je vous prierai de ne pas souiller cet endroit et d'y entrer avec respect.

Il s'est éclairci la gorge.

- La mort de Cassiopée est un coup dur pour tout le monde. Mais elle nous a aussi rappelé que nous devons parler de nos problèmes, de nos idées noires. J'invite chacun et chacune d'entre vous à prendre conscience des gens qui l'entourent. N'oubliez pas qu'il ne faut pas grand chose pour sauver une vie.

J'avais l'impression que j'allais vomir.

- Erwan, tu veux parler un peu ?

Non, pas du tout.

Mais je devais dire quelque chose après ce speech dégueulasse. Quelque chose, n'importe quoi.

Pourtant, je savais que ne pas être entraîné par la colère qui grandissait en moi allait être très compliqué.

J'ai hoché la tête. Allais-je seulement réussir à ouvrir la bouche ?

J'ai fait trois pas, j'ai pris le micro des mains du proviseur. Il m'a tendu le parapluie que j'ai décliné d'un mouvement de la tête. J'étais déjà trempé, de toute façon.

J'ai soudain eu l'impression que parmi tous ces yeux qui me jugeaient, m'analysaient, tentaient de décrypter quelque chose, il y avait son regard à elle. Je n'avais pas le droit à l'erreur. Ces gens attendaient une voix autre que celle d'Elton pour leur dire qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter, alors que c'était la faute de chacun d'entre eux. Et de ces infirmières qu'Elton prescrivait à tout le monde.

On était tous responsables.

Un poids énorme pesait sur mes épaules. J'ai pris une grande inspiration.

J'avais tout perdu.

On ne pouvait plus rien m'arracher.

Alors j'avais leur dire la vérité.

J'ai regardé le premier rang, juste le premier rang. J'ai vu Cameron qui serrait tristement Melissa sanglotante contre lui. Il se mordait la lèvre pour contenir ses larmes.

Et j'ai vu Gabriel. Gabriel qui se tenait très droit, très fier, le regard rivé sur moi, ses joues creusées de larmes et ses yeux rougis. Je ne l'avais jamais vu comme ça. Mais son regard m'a donné une force que je n'arrivais plus à arrêter. Je ne suis pas allé plus loin dans la foule. Je ne voulais pas voir d'autres visages qui la pleuraient.

Alors j'ai ouvert la bouche, pour la première fois en trois jours.

- Je vous demande juste de ne pas lui en vouloir.

Je ne me reconnaissais plus. On aurait dit un mort. Derrière moi, Elton a remué. La colères'est étirée dans mon ventre, a montré les crocs.

- Pour avoir bien connu Cassiopée...

Non, je n'y arrivais pas. Je voyais rouge. Ma main tremblait, alors je l'ai fourrée dans ma poche. Et puis j'ai regardé droit devant.

- Ce n'est pas votre faute.

J'ai ressenti un coup de poing dans l'estomac. Sans doute un souffle de justice quelque part qui essayait de me forcer à dire la vérité.

- Personne n'aurait rien pu faire, j'imagine...

Et puis, soudain, il n'y avait plus rien d'autre que l'envie de leur dire, à tous. D'être écouté.

De leur faire comprendre ce qu'ils n'avaient toujours pas capté.

- Des élèves se suicident tous les jours. Partout. J'espère que la mort de Cassiopée sera une prise de conscience. Que les choses vont changer. Qu'on ne va pas juste s'occuper de ceux qui simulent des maux de tête pour louper les contrôles, mais qu'on va écouter les autres, ceux qui se taisent. Aucun de vous ne connaissait Cassiopée. Parce que personne n'a écouté.

Et j'ai eu froid.

- Je ne vous demande pas de la pleurer. Je ne vous demande pas de venir à son enterrement, ni de serrer la main de ses parents. Et par pitié, n'allez pas mettre des mots et des bougies sous une photo qu'elle aurait détestée. Je vous demande de ne pas l'oublier. Cassiopée ne doit pas devenir un souvenir, elle doit devenir un cri de guerre, un ralliement, un symbole. Un symbole de survie.

Les rangs se sont agités.

- Il y a des gens comme Cassiopée partout autour de nous. Nous ne nous en rendons même pas compte. Ne regrettez pas ce que vous avez fait ou ce que vous auriez pu faire pour Cassiopée... parce que...

J'ai serré les dents sous mon mensonge.

- Parce que j'imagine qu'au point où elle en était, personne n'aurait pu la sauver.

J'ai échoué.

Elle m'a laissé.

Elle est partie.

- Et puis merde, ai-je grogné en fermant les yeux. Oubliez ce que je viens de dire.

Je me suis tourné vers Elton, qui restait religieusement immobile.

- Vous auriez pu la sauver.

Ou peut-être pas ? Elle était morte, maintenant. Cassiopée était morte.

- Vous auriez pu faire quelque chose, n'importe quoi. Vous vous vantez toujours d'être là et d'écouter ceux qui en ont besoin... jusqu'au jour où on se retrouve à enterrer un suicide. Et ça ne vous fait pas réagir.

Les yeux bleus d'Elton ont scintillé.

- On a essayé, a-t-il murmuré avec calme. Elle ne parlait pas, Erwan. Mais on a essayé.

- Non, c'est faux.

J'allais m'effondrer.

- Vous l'avez convoquée pour lui demander d'arrêter de sécher les cours les jours où elle allait chialer dans vos propres couloirs. Vous avez des méthodes ignobles. Vos psys et vos hôpitaux ne feront jamais avancer les choses comme ça. La seule chose que vous savez faire, c'est juger la santé des élèves à leurs bulletins, et nous entraîner à devenir des pigeons.

- Stark, ça suffit.

- Vous l'avez vue, Elton, vous l'avez vue ! Juste après avoir essayé de s'ouvrir les veines dans les chiottes. Et vous n'avez rien fait.

La rage et la douleur me serraient la gorge tellement fort que j'avais du mal à respirer.

- C'est possible de sauver quelqu'un, c'est toujours possible...

Le proviseur a accroché mon regard.

Je ne sais pas ce qu'il y a vu, mais il n'a rien dit. Il m'a laissé serrer les dents, refouler mes larmes, laisser tomber le micro par terre. Un cri suraigu a jailli de l'appareil. Si j'avais pu j'aurai frappé, hurlé sur tous ceux présents. Je voulais qu'ils souffrent autant que je souffrais. Je voulais qu'ils sachent ce que ça faisait de perdre sa raison de vivre. Je voulais qu'ils la regrettent autant que moi, qu'ils aient la même sensation de trou noir dans la poitrine.

Mais j'étais seul. Plus seul que jamais, désespérément seul.

En colère, désespéré, trempé de larmes et de neige. J'étais seul.



- Erwan !

Je ne voulais pas me retourner. Je ne voulais pas que Gabriel me voie pleurer.

- Erwan, s'il te plaît...

J'ai accéléré. J'ai monté les escaliers qui menaient à l'entrée du lycée. La neige se massait sur la route, sur les trottoirs. J'étais brûlant.

Gabriel a couru. Il m'a agrippé l'épaule. Il ne m'a pas forcé à me retourner comme je le pensais, il m'a juste stoppé. J'ai arrêté d'avancer, mains cramponnées à mes poches, lèvres pincées, larmes faisant fondre les flocons qui se posaient sur mes joues.

- Eh...

- Je ne m'excuserai pas, ai-je soufflé d'une voix que je n'aurai même pas réussi à décrire.

- Je ne te demande pas de t'excuser. Tout le monde est d'accord avec toi, là-bas.

- Ils l'ont tuée. Ce sont eux qui l'ont tuée.

Gabriel a semblé inexplicablement touché par cette remarque. Il a reculé d'un pas, avant de laisser ses yeux se voiler.

- Ils aimaient Cassiopée, Erwan. Peut-être pas autant que toi... sans doute moins que toi. Mais ils l'aimaient. Je l'aimais. Ça... Ça a foutu un choc à tout le monde.

- Ils n'ont pas le droit de la regretter alors qu'aucun d'eux n'a essayé de la sauver.

Je les haïssais. Tous.

- Je t'en supplie, Erwan, ne fais pas de connerie.

- Je fais rien. Je rentre chez moi.

- Je viens avec toi.

- Je veux pas te voir, Gab. Je veux voir personne.

- Moi j'ai besoin de savoir que tu es en sécurité. Nous avons été les rares personnes à essayer d'aider Cassiopée, et c'est toi qu'on va devoir aider, maintenant.

J'avais recommencé à marcher. Je n'étais pas un enfant. Je n'avais pas besoin d'aide. Je n'avais besoin de personne. J'avais besoin d'elle.

- Pourquoi tu ne vas pas en cours comme un grand garçon ?

- Parce que moi aussi ça m'affecte, merde ! J'aimais Cassiopée, Erwan ! Arrête de marcher, putain !

- POURQUOI ELLE A FAIT ÇA ?!

Je me suis retourné, brûlant de rage, et Gabriel m'a lâché en écarquillant les yeux. Il pleurait, lui aussi. Ses yeux bleus étaient rougis de larmes douloureuses qui n'arrivaient plus à couler.

- J'ai tout fait pour elle ! J'ai tout essayé ! Je l'aimais, Gabriel !

- Je sais.

J'ai fermé les yeux. Je l'aimais. J'aimais Cassiopée. Morte ou vivante. Je l'aimais.

- Je l'aime...


Je ne voulais pas pleurer encore, pas devant lui. Pas encore. Je me suis retourné. J'ai continué de marcher. Je rentrais à la maison.

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