Chapitre 26

Chapitre XXVI

Erwan



Nous avons passé la porte de Joa dans une musique tonitruante. Alors que nous nous apprêtions à braver la foule, elle a attrapé la manche de ma veste, et je me suis laissé faire sans trop y prêter attention. A chaque pas, je ressentais un regret un peu plus puissant. Je sentais notre ambiance intime s'évaporer pour laisser place à une bonne vieille fête de bourrin. Le regret devenait plus aigu encore quand je me disais que j'avais eu une occasion en or de l'embrasser. Plusieurs occasions.

Et je n'avais rien fait.

Quel idiot !

- Erwan ?

Je l'ai regardée. Je crois qu'elle attendait une réponse. Merde, je n'avais pas écouté un traître mot de ce qu'elle avait pu raconter.

- Oui ?

- Tu veux quelque chose à boire ? a-t-elle répété avec patience.

J'ai distraitement hoché la tête. Elle m'a lâché un instant et j'en ai profité pour enfoncer mes deux mains dans mes poches. La maison de Joa était immense. Les meubles du salon avaient tous été sortis à l'exception d'une grande table qui faisait office de buffet. La piste était bondée. Quatre personnes m'ont demandé, avec une haleine alcoolisée, si je sortais avec Cassiopée, et je les ai recalées avec un mouvement négatif et froid de la tête. Je me suis calé contre le mur de la pièce, et Cassiopée m'a tendu un verre. Sans même savoir ce que c'était, j'ai bu. Vodka-coca.

- Qu'est-ce qui ne va pas ? a-t-elle demandé au bout d'un moment.

- Tout va bien, ai-je répondu du bout des lèvres.

Si je l'embrasse, elle va me jeter.

Sous les éclairages, sa chevelure fauve tranchait encore plus avec le noir de sa robe. J'étais désolé, au fond, de lui faire passer une mauvaise soirée. Parce que dans l'état où je me trouvais, elle allait royalement s'emmerder. Par chance pour moi, une de ses potes est venue la voir.

- Cassy ! Tu as pu venir, c'est génial !

Cassiopée lui a rendu un petit sourire mystérieux en levant son verre dans un geste de victoire très étudié.

- Il semblerait.

- Oh, tu es accompagnée... Désolée, Erwan. Je peux te l'emprunter ?

J'ai haussé les épaules, alors que je prenais définitivement conscience que notre moment était fini.

- Naturellement.

Cassiopée a eu un sourire triste, et a attendu une seconde, comme si elle espérait au fond que j'allais la retenir, puis elle a agité la main en signe d'au revoir. A mes yeux, ça ressemblait presque à un adieu.

J'ai repéré Cameron qui me faisait signe, à trois mètres de là, en tenant Melissa par la taille.

- Alors ? demanda-t-il sans préambule.

- On peut aller dans un endroit plus calme ? ai-je demandé en hurlant à mon tour.

Cam a haussé les épaules, et nous nous sommes dirigés vers les baies vitrées qui menaient au jardin alors que je lançais :

- Où est Joa ? Que je fasse semblant de la remercier pour l'invitation.

Melissa a grimacé.

- Elle est montée avec Gabriel il y a un quart d'heure.

Ça ne m'étonnait pas, au fond. Nous sommes sortis vers l'immense jardin, qui était à l'image de la propriété, avec une pelouse riche et bien tondue, des arbres fruitiers qui, injustice évidente, avaient des fruits, et une balançoire un peu plus loin, avec un toboggan et un trampoline, sans doute pour les deux petits frères de notre hôte.

Deux ou trois groupes de personnes fumaient où étaient assis dans l'herbe à rire, mais face à la superficie du jardin, on ne les voyait quasiment pas. Les baies vitrées, derrière nous, permettaient de suivre le déroulement de la fête à l'intérieur. Nous nous sommes avancés dans le jardin, et Melissa s'est assise sur une balançoire qui a grincé tristement sous son poids. Je me suis souvenu brusquement de son malaise juste avant de nous faire agresser avec Gabriel, et je me suis dit que je ne lui avais pas vraiment parlé depuis.

- Ça va mieux, toi ?

Elle a relevé la tête, surprise. Elle semblait pâle, malgré la nuit qui était tombée autour de nous et le froid qui commençait à s'infiltrer dans nos vêtements.

- Je vais bien, merci, Erwan.

- Ils savent pourquoi tu fais ces malaises ?

- A cause du stress, apparemment. Je n'en sais pas plus. Et je crois qu'ils ne savent pas non plus.

- Si je peux faire quoique ce soit...

- C'est vraiment gentil. Mais Cam m'aide déjà beaucoup au quotidien.

Oui, naturellement, je ne serai pas d'une grande aide face au soutien du Grand Cameron.

Je me suis assis sur la structure de bois au dessus du toboggan, laissant mes jambes pendre dans le vide. C'était la deuxième fois dans la même journée que je me retrouvais sur une aire de jeux, et ce n'était clairement pas dans mes habitudes.

- Alors, avec Cassiopée ? a demandé Cameron avec impatience.

- Rien du tout, ai-je répondu avec l'amer goût de la déception sur la langue.

Léger silence.

- Tu te fous de moi ?

- Même pas.

J'ai enlevé ma veste, et je l'ai posée à côté de moi. La fraîcheur a aussitôt attaqué mes bras nus.

- Mel, dis quelque chose, a protesté Cameron en cherchant vainement du soutien.

Melissa a baissé les yeux. Rha, je n'aurai jamais dû venir à cette fête. La colère m'a soudain submergé. J'étais en colère contre moi-même pour lui avoir demandé de m'accompagner, contre elle, parce qu'elle n'avait qu'à pas être aussi... aussi lointaine, aussi désinvolte dans sa manière de s'adresser à moi, merde, fallait quand même pas chercher super loin pour être attiré par elle ! Et j'étais en colère, parce que ce n'était même pas de l'attirance ! C'était plus. Et ça deviendrait beaucoup, beaucoup plus, si nous nous rapprochions davantage.

Et ça m'énervait.

- J'aimerais te dire qu'il ne faut pas trop attendre avant qu'elle n'aille voir ailleurs, a commencé Melissa en choisissant soigneusement ses mots. Mais la vraie question, c'est que je ne suis même pas sûre que tu aimerais qu'il se passe quelque chose.

J'ai médité ses paroles, mille fois plus douces et réfléchies que celles de son copain.

- Alors, tu la veux, oui ou merde ? Et ne change pas de sujet ! a coupé Cameron avec fermeté.

Alors, j'ai pris le problème à l'envers.

Et je me suis souvenu, pareils au flash-back du parc, des moments qui me poussaient comme un aimant à aller vers elle.

De son sourire au réveil avec ses yeux violets trop grands pour son visage. Du contact de sa paume dans ma main quand nous courions vers la boutique de bonbons. De l'écho de ses rires quand elle n'arrivait pas à mâcher ces mêmes bonbons sans les coller à ses dents. Du ton qu'elle employait quand elle racontait des mondes interdits et des histoires d'amour impossibles. De sa voix qui emplissait l'auditoire de chants d'espoir et de hargne. De ses pas gracieux de part et d'autre des couloirs. De ses cheveux de feu qui glissaient jusqu'à ses hanches dans des mouvements fluides et harmonieux. De son parfum. De nos promesses de voyages.

La Chine. Pour frôler l'univers.

Et ses murmures désespérés, quelques jours auparavant.

« - Pourquoi tu t'excuses ?

- Parce que je n'aurai jamais dû te laisser devenir plus qu'un inconnu. Parce que je veux que tu restes dans ma vie plus que tout, Erwan ; parce que c'est trop tard pour te demander de partir. Parce que moi, je vais partir. »

Parce qu'elle voulait que je reste dans sa vie plus que tout.

Parce que je ne la laisserais pas partir.

- Oui, ai-je dit aussi simplement que possible.

Je la voulais. Je la voulais comme si j'étais né pour la désirer plus que tout.

Et depuis le premier jour, depuis le tout premier jour, je le savais.

- Oui, ai-je dit plus fort en regardant Cameron droit dans les yeux.

La conviction que j'y ai mis l'a laissé bouche bée. Il a mis quelques secondes à pouvoir parler à nouveau :

- Tu l'as dit ! Merde, tu l'as enfin dit !

J'avais l'impression d'avoir ouvert les vannes, d'avoir laissé entrer dans mon cœur un nouveau courant déferlant, d'avoir à explorer un million de possibilités, d'endroits, avec cette nouvelle révélation. J'ai souri timidement. Ce n'était pas dans mes habitudes de demander conseil à Cameron, et pourtant, le regard confiant et heureux de Melissa m'a touché. Elle semblait presque bouleversée.

Cameron s'est levé et m'a tiré le bras pour me forcer à descendre de mon refuge. Pour éviter de tomber, j'ai été obligé de le suivre et je suis retombé sur mes pieds. Il ne m'a pas lâché pour autant.

- Tu vas rentrer dans cette maison, a dit Cameron. Tu vas retrouver cette foutue fille, et tu vas lui dire exactement ce que tu viens de me dire. D'accord ? Ensuite, tu lui roules la pelle de sa vie.

Il m'a poussé brutalement en avant, et a braillé un peu plus fort :

- Allez, merde !

J'ai osé un dernier regard dans la direction de Cameron et Melissa. J'ai regardé les baies vitrées qui renvoyaient sur l'herbe des reflets dont les couleurs variaient en fonction des éclairages. Et j'ai souri. Sans un mot, j'ai marché vers la maison, les mains dans les poches, le cœur battant.



Les flashs et la musique assourdissante m'ont accueilli sans calmer l'ardeur nouvelle éveillée dans ma poitrine. J'ai regardé autour de moi dans l'espoir de la trouver. L'atmosphère confinée était plus supportable sans ma veste. Je me suis rendu compte que je l'avais laissée à Cameron.

J'ai cherché autour de moi. Des cris, des danses et de l'alcool ; pas de Cassiopée en vue.

Et, quand enfin je l'ai trouvée, c'était comme si mes nouvelles résolutions n'avaient jamais existé.

Harry Dersh se tenait près d'elle avec un sourire mielleux collé sur son visage beaucoup trop anguleux. A ma grande satisfaction, il était toujours balafré d'une griffure qui avait dû échapper à Gabriel.

Vu la tête de Cassiopée, ce qu'il lui racontait ne devait pas être cool du tout. Je me suis approché même si la perspective de saluer Harry était à peu près aussi alléchante que celle d'être enterré vivant. Le visage de Cassiopée était impassible, mais ses lèvres étaient serrées, ses yeux, furieux. D'un pas décidé, je me suis dirigé jusqu'au duo mais à mi-chemin une silhouette noire a fondu sur moi et m'a projeté en arrière. Je me suis raccroché à la table du buffet qui a dangereusement tangué, mais, miracle, a tenu, m'empêchant par la même occasion de m'écraser au sol de manière peu virile.

C'était Mark Deliot, l'un des amis stupides de Dersh qui avait assisté au lundi où Cassiopée avait failli lâcher prise. Il faisait plus office de réservoir à herbe et à cigarettes que de véritable ami, pourtant. Il avait une carrure de basketteur, avec ses deux mètres de muscles et d'arrogance surplombés par un visage blond et carré, tranché par douze fossettes qui attiraient les filles comme des mouches, et deux yeux vert foncé, barrés de longs cils quasiment blancs. Et à voir ses yeux injectés de sang et son sourire goguenard, il ne devait pas être totalement sobre.

N'ayant aucune raison de le craindre, je me suis redressé. Il faisait à peine dix centimètres de plus que moi, c'était un face à face équitable. Je supposais qu'il voulait simplement venger son boss.

- T'es un homme mort, a commencé Mark avec motivation.

Ben voyons.

Dersh a ricané, et a passé une main peu subtile autour de la taille de Cassiopée. Elle l'a repoussé loin d'elle au point où il s'est mangé le mur en recrachant tout l'air qu'il avait dans les poumons.

Le DJ, histoire d'en rajouter une couche, a baissé le son de la musique. La plupart des gens avaient déjà arrêté de danser ; à présent, tous les regards étaient fixés sur nous.

Et là, pour une question de réputation, je ne pouvais décemment pas faire de faux pas.

Comptant sur le taux d'alcoolémie de Deliot, je lui ai mis le plus beau coup de coude du monde dans l'épaule au moment où il se jetait sur moi pour dévier sa trajectoire. Il s'est écroulé sur la table du buffet, qui s'est écrasée au sol dans un grand fracas de bouteilles qui heurtent le sol.

Il s'est relevé en titubant ; je n'étais même pas sûr qu'il parviendrait à m'atteindre. Il était mort de rire. Ses pupilles étaient tellement dilatées que je n'en distinguais même plus le vert. Il a levé un poing que j'ai attrapé dans ma propre paume bien avant qu'il ne m'atteigne, et je préparais un merveilleux coup de genoux quand une voix nous a interrompus.

- Qu'est-ce qui se passe ici ?

Pour plus de sûreté, j'ai tiré Mark vers ma droite par son poing, et je l'ai laissé s'écraser à nouveau par terre, alors que Dersh levait la tête pourvoir qui nous interrompait.

Gabriel descendait les escaliers à vitesse grand V. Son état physique donnait l'impression qu'il finissait de courir un marathon (essayons de nous convaincre qu'il avait juste couru pour nous rejoindre), ses cheveux étaient en bataille (il y avait peut-être du vent, là-haut), il boutonnait à l'arrache sa chemise (disons qu'il faisait quand même super chaud), et il était suivi d'une Joa rosie et ébouriffée qui rabattait sa robe sur ses cuisses nues de manière précipitée (d'accord, là, je ne pouvais plus rien pour lui).

J'ai regardé Dersh, du coin de l'œil, m'attendant à ce qu'il me saute dessus, mais il regardait déjà Gabriel avec haine. J'en avais un peu assez de me battre à tord et à travers ; si je pouvais résoudre mes problèmes verbalement, pour une fois, ça serait cool.

J'ai jeté un regard à Cassiopée, qui semblait vaguement inquiète.

Pour régler le conflit, j'aurai pu tout bêtement m'en aller, mais ma fierté me l'interdisait.

J'allais ouvrir la bouche, mais Gabriel a pris les choses en main.

- Dersh, t'es pas le bienvenu ici, et tes potes non plus. Joa ne vous a pas invités.

- Il n'a jamais été question que vous soyez là, a confirmé Joa d'un ton sec et sans appel.

Dersh a regardé Gabriel avec une telle violence que j'ai cru que ça allait encore exploser. Mais il a fini par grogner à voix basse dans ma direction :

- T'inquiète, Stark. J'ai pas besoin d'une fête pour régler mes comptes avec toi.

Il a jeté un regard tout aussi noir à Cassiopée qui n'a pas bronché. J'ai serré les poings.

- C'est quoi, le problème ? ai-je demandé froidement. Tarah ?

Il m'a dévisagé sans répondre. Puis il a quitté la pièce d'un pas lourd, sans se retourner, en emportant un Mark complètement à côté de la plaque avec lui. Gabriel s'est éclairci la gorge alors que Joa faisait signe au DJ de reprendre tranquillement ses affaires.

Lentement d'abord, puis de manière plus fluide, les danses ont repris. Les cris ont fusé. L'atmosphère s'est réchauffée. J'aurai voulu parler à Cassiopée, maintenant, mais Gabriel a descendu les marches, a jeté un bref regard à sa silhouette qui se baissait déjà aux côtés de Joa pour relever la table et les bouteilles intactes, et m'a saisi le bras pour m'entraîner à l'étage.

- Je crois qu'il faut qu'on parle, a-t-il déclaré sèchement.

Je l'ai suivi machinalement. Il a fait un bref signe de la main à Joa, dont les attributs développés étaient particulièrement mis en valeur dans sa robe noire et courte, et il a poursuivi sa route sans un mot de plus.

Nous sommes passés devant la porte entrebâillée de la chambre de Joa. Il ne s'est pas arrêté ; j'aurais sans doute mal pris qu'il m'y conduise. Mais il s'est engouffré dans la salle de bain, et a fermé la porte à clé derrière moi.

Pendant une seconde, il a appuyé ses paumes contre le lavabo, bras tendus, et a levé la tête vers les néons au-dessus du miroir. La lumière crevait ses iris clairs ; j'avais l'impression qu'il essayait de se rendre aveugle à force de la regarder comme un fou.

Je me suis assis sur le rebord de la baignoire. La musique nous apparaissait étouffée. Ce semi-silence me faisait du bien. J'avais l'impression de fonctionner au ralenti.

Gabriel s'est finalement tourné vers moi :

- Qu'est-ce que t'as encore fait avec Harry ?

- Pour le coup, rien du tout.

- Même si ce gars est cinglé, il ne peut pas juste vouloir te taper pour le plaisir.

- C'est peut-être parce que moi c'est sa copine que je me suis tapé il y a quelques mois, ai-je marmonné du tac au tac.

Il s'est retourné avec des yeux flamboyants.

- Mais bon sang, quand est-ce que tu vas te sortir cette tarée de la tête et te concentrer sur la fille qui t'attend en bas !

Il semblait presque en colère. J'ai gonflé mes narines, irrité.

- Désolé d'avoir interrompu tes ébats avec Joa. Je vais te laisser y retourner.

Je me suis levé, mais c'est le moment qu'il a choisi pour m'appuyer sur les épaules pour me forcer à m'asseoir à nouveau.

- Ce n'est pas ce que je voulais dire, a-t-il dit d'une voix qu'il s'efforçait de contenir.

Avec le temps, j'avais réussi à faire la différence entre Gabriel, le vrai, et celui qu'il choisissait de présenter aux gens. Il était toujours parti du principe que s'afficher ouvertement était le meilleur moyen pour se faire mettre à terre ; mettre un masque, chez lui, c'était devenu une seconde nature.

Et, en ce moment, je voyais qu'il essayait de cacher quelque chose, un mal être, un truc qui nous avait imperceptiblement éloignés au cours de ces dernières semaines.

Je me suis rendu compte qu'on était tous les deux mal, et que, faute de savoir se dire pourquoi, on restait côte à côte avec le silence pour promesse de réconfort. On avait toujours été comme ça. C'était nous contre le reste du monde, depuis des années.

J'ai pris conscience de la chance que j'avais d'avoir un ami comme lui. D'où je me serais trouvé si je ne l'avais pas eu.

Et, dans nos regards qui s'affrontaient, j'ai su qu'il pensait quelque chose de similaire. J'ai respiré profondément.

- Qu'est-ce qui t'arrive ? a demandé Gabriel plus doucement.

Il avait presque l'air désolé. J'étais presque triste. J'étais perdu. Pas au niveau de mes sentiments, mais au niveau de ma vie en général. Parce que toute ma vie était un bordel immense où s'entassaient de vagues visages et des paroles en l'air, mues par le désir de me pousser toujours plus bas. Je ne savais pas où j'allais, ni ce que je voulais, et encore moins qui j'étais. Et je savais que même si Gable savait, ce ne serait jamais exprimé clairement entre nous.

Il a lâché mes épaules, comme s'il avait senti que je n'allais pas répondre, et a ouvert le robinet pour laisser couler de l'eau entre ses doigts. Il s'est aspergé le visage, et a murmuré :

- Tu comptes descendre ? Et enfin lui parler ?

On pensait tous les deux à la même personne.

- Oui.

Il a hoché la tête. Je n'arrivais plus à capter son regard.

Dans la mer infinie où je nageais désespérément, je n'avais plus qu'une seule certitude.

Un seul but à accomplir ce soir.

Même si elle va peut-être me jeter.

J'ai tapé sur l'épaule de Gabriel. C'était une promesse muette, du genre de celles qui ne se brisent pas, des serments inviolables entre deux frères. Il n'a pas réagi. Je suis resté encore une ou deux secondes derrière lui, et je me suis dirigé vers la porte.

- Stark ?

Il ne m'a pas regardé. Il gardait les yeux rivés sur son reflet. Pourtant, il savait que j'écoutais. Il a déclaré calmement :

- Au cas où tu aurais un doute, elle t'aime beaucoup.

Mes doigts se sont crispés autour de la poignée de la porte. J'ai fermé les yeux une seconde, et je suis resté encore un peu. Il avait besoin de moi. Ou peut-être qu'il avait besoin d'être seul.

- Allez, barre-toi. Elle t'attend.

Il avait besoin d'être seul.

J'ai descendu les escaliers dans l'impression d'avoir la bouche sèche et les jambes en plomb. Je sortirai Gabriel de l'eau aussi. Peu importe ce qui allait se passer dans nos vies, je ne le laisserai jamais abandonner son rêve.

J'ai pris une grande inspiration en pensant à ce qui m'attendait juste un étage sous mes pieds.

Peut-être qu'elle était ce qu'il me fallait.


Peut-être qu'elle allait réussir à me guider. 

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