Chapitre 24
Chapitre XXIV
Erwan
- Erwan, je peux te poser une question ?
Le visage de Lola Vanderheit est apparu en face de moi.
C'était lundi matin, et je n'avais ni revu Dersh, ni revu Cassiopée. J'avais passé le week-end à comater dans le canapé de Gabriel. Pourtant je sentais que les tensions étaient apaisées, que nous étions en meilleurs termes. Et je me sentais mieux.
- Fonce.
- C'est vrai ce qu'on dit ?
- Qu'est-ce qu'on dit ?
Non, vraiment, je ne comprenais ni Tarah ni Cassiopée au sujet de Lola Vanderheit. Elle était hideuse.
- C'est vrai que Cassiopée est amoureuse de toi et Harry mais qu'elle sort avec Dean pour refouler ses sentiments ?
- Qu'est-ce que...
- Et que c'est pour ça que Tarah a balancé tous ces trucs horribles sur Cassiopée il y a deux semaines ?
- N'impo...
- Alors c'est vrai ?! Et Dean, lui, il aime vraiment Cassy ?
- Mais c'est quoi ces conneries ? ai-je protesté en levant la voix pour la faire taire.
Et Lola a été rejointe par Marcia Hopert, folle amoureuse de Gabriel depuis ses douze ans.
- Vous vous êtes vraiment battus, alors ? Et Gab, il va bien ? Il s'est battu aussi ?
C'est le moment qu'a choisi le Gabriel en question pour se frayer un chemin à travers la foule. Marcia a rougi, et Gabriel a passé par réflexe sa langue sur sa lèvre fendue.
- Excusez-moi, les filles, mais l'interview est terminée. Je vais devoir vous voler votre idole et... ah, salut Marcia.
- Salut Gabriel, ça va ? a très vite dit Marcia en s'empourprant de plus belle alors que deux autres filles s'approchaient subrepticement pour voir les dégâts de notre altercation sur nos visages.
Nous nous sommes écartés pour nous diriger vers les vestiaires du cours de sport, à l'écart du lycée en lui-même. Cameron nous a rejoint sur place, accompagné de Percy, un pote rencontré en primaire avec qui j'étais toujours plus ou moins en contact. Je savais qu'il passait plus de temps avec Gabriel qu'avec moi ; je n'aimais pas beaucoup ses fréquentations. Pour avoir fait quelques soirées avec eux, ils n'étaient pas vraiment de ceux que je voulais compter dans mon entourage. Au fond, je savais que Gab ne leur prêtait pas grande attention ; il profitait juste des cigarettes gratuites et des soirées dans les lieux prisés des villes voisines. Parfois, je me demandais comment il faisait pour vivre dans cette fausseté, et je me rappelais que c'était Gabriel, l'enfant aux deux visages, qui en grandissant était devenu l'homme aux mille regards.
Blond et grand, les yeux presque dorés, Percy se joignait à nous quand nous allions manger dehors ou dans des fêtes quand nous étions tous les quatre invités. Sa compagnie était agréable même s'il n'était pas très malin. Il était l'un des rares au lycée à ne pas me poser des questions sur Cassiopée, même s'il la regardait comme un morceau de viande.
Les vestiaires de notre cours de sport étaient en réalité deux blocs de pierre, l'un réservé aux filles et l'autre aux garçons, séparés par un chemin de graviers menant au gymnase, salle d'escalade, de judo, de volley, de basket, etc. Si on poursuivait derrière ce grand bâtiment, on parvenait au terrain de football qui faisait aussi office de terrain de rugby, à côté de la piste d'athlétisme.
Cameron et Percy nous ont attendus alors que nous nous changions après que la plupart des types soient déjà sortis. En soit, ni Gabriel ni moi n'en avions grand chose à faire. Ce n'était juste pas super agréable d'afficher ses hématomes et de se faire regarder comme une bête de foire.
Mon corps entier était douloureux. J'avais découvert des muscles dont je ne soupçonnais même pas l'existence, et je me sentais exténué. J'ai emboîté le pas à mes amis en me dirigeant vers le gymnase pourvu d'un mur d'escalade.
Gabriel attachait son baudrier sans un mot, une moue plutôt sombre sur le visage, contrairement à son habitude, pendant que Cameron discutait avec Percy, son assureur. Je me suis assis en tailleur sur les tapis pour regarder autour de moi. Je m'étais toujours senti plutôt stupide en escalade ; pas parce que je n'étais pas doué, c'était plutôt une vue d'ensemble. Quinze gamins saucissonnés dans des baudriers qui s'agrippaient à des prises, ça devait être un spectacle magnifique vu de l'extérieur.
Les murs renvoyaient déjà les premiers cris de ceux qui avaient peur du vide, et les premiers ordres de Mme Sozer, motivée aujourd'hui plus que jamais à nous tuer à la tâche.
- Perceval, a-t-elle dit en s'arrêtant à notre hauteur. Vous échangez votre voie avec Erwan. Nous changerons à nouveau quand vous aurez grimpé tous les quatre. Cameron, serrez encore un peu votre nœud, s'il vous plaît. Vous pouvez y aller.
Percy et moi avons donc commencé à grimper. Les prises défilaient sous mes doigts. J'avais l'impression d'avoir passé la nuit à escalader une montagne. J'étais crevé. J'avais mal partout. Mon dos était raide. Ici, seule ma grande taille pouvait être un avantage.
Percy s'est arrêté à ma hauteur alors que je posais le front contre le mur, me promettant de tuer Dersh une fois pour toute la prochaine fois. Dersh, et Dean. Cet enfoiré.
- Tu veux t'arrêter ?
- Nan, t'inquiète.
J'ai continué de grimper, et, enfin, j'ai atteint le haut du mur. J'ai pris quelques secondes pour regarder autour de moi.
De là-haut, tout était possible. Il aurait suffi que Gabriel relâche sa garde un instant, et je me laissais tomber à terre. Me brisais la colonne vertébrale. Ou pire encore.
Je comprenais soudain le sentiment de Cassiopée. Pouvoir être maître de tout. Delà-haut, je pouvais choisir.
- Vieux, tu vas rester là-haut combien de temps ? a braillé Gabriel avec humeur. Fallait le dire si tu voulais une vue plongeante dans mon décolleté, a-t-il ajouté en bombant le torse.
- La vue est superbe, ai-je raillé sur le même ton alors qu'il esquissait un sourire.
- Je te descends ?
- S'il te plaît.
Et alors que je me laissais tomber au ralenti jusqu'en bas, je me suis demandé ce que ça faisait de voir le sol se rapprocher dans une vitesse réelle, je me suis demandé si on voyait vraiment toute sa vie défiler devant ses yeux ou si on se répétait seulement c'est la fin, c'est la fin, c'est la fin.
Je me suis demandé si la chute avait le goût de la peur ou celui de la liberté.
Quand mes pieds ont touché le sol et que je défaisais mon nœud d'un air maussade, je me suis rendu à l'évidence.
Je serai incapable d'oublier son visage ce jour-là. C'était impossible. Et me souvenir d'elle à ce moment précis me rappelait les fantômes qui avaient flotté dans ses yeux, sous l'orage.
- Ça va, mec ? a demandé Percy.
- Moi ? Nickel.
J'ai jeté un regard en biais à Gabriel, qui fixait le haut du mur avec une expression indéchiffrable au fond des yeux.
Mais je crois que je suis bien le seul.
- Tu sais, je pense que tu pourras passer Noël chez moi, cette année encore, si ton père n'est pas là.
- Tes parents auront sans doute d'autres choses à faire, surtout avec le demi-gamin.
- Et alors ? C'est eux qui proposent.
- Le problème, c'est que je crois que mon père monte voir ma mère. C'est juste un pressentiment... n'empêche qu'il se barre à Stockholm.
Le visage de Gabriel s'est rembruni. Il a bu son eau avant de reposer son verre avec une certaine violence sur la table. Je savais ce qu'il pensait de ma mère et de son départ, il n'avait pas besoin de préciser sa pensée.
- Tu ne peux pas monter la-haut avec lui ? a proposé Cameron en attrapant trois pâtes d'un coup.
Un exploit que lui seul pouvait égaler, avec toute l'huile qui poissait les plats et les minuscules couverts qu'ils nous donnaient ici.
- Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée, ai-je objecté. Officiellement, c'est pour le travail. Et même si pour moi c'est une certitude, ma mère n'est peut-être pas rentrée en Suède.
- Même... la Suède, ce n'est pas rien, a dit Gabriel d'un air rêveur tout en cherchant désespérément sa petite cuillère au milieu de son plateau.
Il a levé des yeux pensifs vers le plafond, insensible au vacarme que faisaient les centaines d'élèves réunis entre les murs gris de la cantine.
- Les blondes, c'est pas trop mon genre, mais j'imagine que tu peux bien t'amuser là-bas quand même.
A cet instant précis, et dans une merveilleuse coïncidence, Cassiopée est passée à côté de notre table, suivie de Joa Kingley, une vague connaissance de Cameron. Pendant qu'il la saluait, Cassiopée s'est penchée vers moi et a déposé un baiser sur ma joue. Le temps s'est arrêté.
Hein ?
Comment en étions-nous arrivés là, encore ? Complètement dépassé, je lui ai jeté un regard éberlué, auquel elle a répondu par un sourire beaucoup plus doux que ses habituelles mimiques hautaines.
- Il y a une fête vendredi soir chez Joa, et elle cherchait un moyen poli d'inviter Gabriel, a expliqué Cassiopée avec un regard entendu vers le principal intéressé, qui jetait sur moi des œillades aussi encourageantes et explicites qu'une demi-douzaine de panneaux clignotants.
Joa, à côté de Cassiopée, a papillonné des yeux, et rougi. Elle a bafouillé un truc inintelligible, sans doute sur le tact de Cassiopée, et Gabriel en a profité pour détailler son décolleté avec un regard critique. Joa était jolie. Elle avait un petit air sino-indien qui me rappelait constamment un croisement entre Mulan et Pocahontas (les sœurs de Gabriel ne cessaient de m'instruire sur les Disney). Ce jour-là, ses longs cheveux noirs étaient tressés sur son épaule, et ses courbes que Percy et Gabriel n'oubliaient jamais de commenter étaient moulées dans une robe noire et serrée assortie d'une veste en cuir rouge.
C'est un regard beaucoup plus long que j'ai porté sur Cassiopée, dont la curieuse bonne humeur semblait rayonner au milieu du réfectoire. Sur sa bouche souriait un rouge à lèvre d'un bordeaux tellement foncé qu'il en paraissait noir. Sa robe, fluide mais près du corps, d'un bleu nuit, la faisait rayonner comme si elle avait été la constellation dont elle portait le nom. Je n'ai pas pu m'empêcher de baisser les yeux un court instant. Le tissu s'accrochait à ses hanches, à sa poitrine en lui conférant une silhouette qui a attaqué mon cœur alors que je ne m'y attendais pas du tout. J'avais rarement connu de frustration plus intense qu'en cet instant. Je me suis forcé à relever la tête. Ses yeux... ses yeux pétillaient, scintillants comme des diamants, quand elle a tourné la tête vers moi. Le naturel qu'elle affichait ce jour-là était presque provocant, comme si elle n'avait pas conscience de son incroyable beauté – ni de comment sa robe tombait contre ses flancs.
J'ai remarqué avec un enthousiasme plus modéré qu'elle portait une veste parfaitement rabattue sur ses poignets. Un frisson glacé m'a parcouru l'échine en souvenir de ce qu'elle y cachait.
Les paroles de Joa m'ont tiré de ma contemplation.
- Bien sûr, Erwan, Cameron et même Percy sont invités.
A ce moment, j'ai regardé Gabriel, qui semblait prêt à me balancer son yaourt à la figure pour me faire réagir. « ALLEZ ! », lisais-je sur ses lèvres. Son regard faisait la navette entre Cassiopée, Joa et moi. Et le décolleté de Joa.
Décidément, tout le monde changeait d'avis autour de moi.
J'ai pris mon courage à deux mains, et j'ai demandé d'une ton aussi paisible que possible à Cassiopée :
- Tu y seras ?
Elle m'a dévisagé sans son habituelle impassibilité. La surprise a soulevé des tourbillons lavande dans ses yeux.
- Euh... oui, je pense.
- Je t'invite à manger avant, alors ?
Je n'avais pas besoin de tourner la tête vers Gabriel pour savoir qu'il était en train de s'étouffer. Même Cassiopée a écarquillé grand les eux. Quant à Cameron, il ricanait dans sa barbe.
- Ça peut se faire, a dit Cassiopée du bout des lèvres en forçant un sourire.
Manifestement, elle n'était pas totalement revenue sur ses mots de la dernière fois. Elle ne voulait pas s'engager dans quoi que ce soit, ni impliquer plus de gens que nécessaire autour d'elle.
Mais elle avait accepté.
Ça me suffisait.
- Je t'enverrai un message, d'accord ?
Elle a hoché la tête, manifestement choquée de mon comportement. Gabriel a toussoté. Je ne savais pas si c'était pour attirer l'attention ou pour recracher son yaourt.
- Alors on y sera, a-t-il confirmé avec un sourire enjôleur vers Joa.
Deux raisons pour lesquelles j'avais invité Cassiopée ce vendredi.
Il me semblait important d'entretenir une relation saine et pas uniquement basée sur des sauvetages et des disputes. Ça allait être notre première vraie sortie, sans larmes, sans discours, sans gêne. Et c'était important. J'avais envie de connaître Cassiopée. Pas celle, faussement heureuse, du lycée, ni celle, déchirée, de la nuit. Je voulais juste la connaître, elle. Ses goûts musicaux, ses ambitions, ses passions. Juste la connaître.
Deuxièmement... j'avais cette ambiguïté qui grandissait peu à peu au fond de moi, et que j'avais la nette envie de dompter. Ou de cerner. Ou les deux, en fonction du verdict. Je prenais de plus en plus de plaisir à faire rire et sourire Cassiopée. Je la cherchais instinctivement dans les couloirs. La joie gonflait dans ma poitrine quand je lisais une joie, aussi infime fût-elle, dans son regard.
Je prenais conscience que cette semaine sans elle avait été vide de tout sens. Qu'elle avait pris sournoisement une certaine importance dans mon quotidien. Que j'adorais ça.
Elle m'avait dit et répété qu'il ne se passerait jamais rien entre nous.
Et pourtant, je voulais jouer à ce jeu, avancer mes pièces les unes après les autres.
Une petite voix me soufflait cependant que c'était elle qui allait me mettre échec et mat.
La semaine s'est déroulée sans encombre. Mes quelques contusions au visage s'estompaient. Les contrôles de fin de trimestre tombaient, et avec eux les quelques révisions que nous essayions de faire avec Gabriel. Nous terminions toujours avec les fiches de Cameron dans les mains. J'allais de mieux en mieux.
Il nous était arrivé de croiser Dersh dans les couloirs à une ou deux reprises, et il nous avait lancé quelques répliques haineuses, que nous avions contournées tellement de classe et de finesse que nous finissions souvent par nous serrer la main dès l'angle du couloir passé. Je voyais parfois Tarah emmener Harry à l'écart de là où nous nous trouvions avec un regard désolé. Au fond, c'était le cadet de mes soucis.
Dean, c'était une autre histoire. Je continuais de le voir parfois avec Cassiopée – rarement, mais nous ne étions rien dit. Nos regards, par contre, valaient toutes les bastons du monde. En attendant, je souriais à Cassiopée quand je ne pouvais pas lui parler, et elle me souriait en retour. Alors j'allais bien. Gabriel m'avait même applaudi pour lui avoir demandé un rencart. Je m'étais défendu en disant que ce n'en était pas vraiment un. Il m'avait ri au nez.
Le vendredi est arrivé très rapidement. Je n'avais pas réellement choisi d'endroit où emmener Cassiopée. J'allais improviser sur le moment. C'est le premier point que Cameron a reproché à mon programme.
Nous étions affalés sur nos sacs, sur le gazon du fond de la cour, abrités par l'ombre des arbres. Cameron m'écoutait d'un air critique alors que Gabriel faisait le récapitulatif de ce qui, selon lui, était soit indispensable, soit évident.
- Tu ne parles pas de dépression, de suicide, ou de tout autre sujet qui pourrait plomber l'ambiance.
- Naturellement.
Cameron a ricané.
- Ne parle pas de tes ex, a-t-il renchéri. Mais surtout, surtout, si ce sujet venait à arriver, tu ne la compares pas. Sinon, c'est la fin.
- Merci Cam. Ça tombe sous le sens.
Le temps était gris, mais le sol était sec, et je profitais avec bonheur de ces derniers jours où nous pouvions nous allonger dans l'herbe.
- Femme qui rit, à moitié dans ton lit, a cité Gabriel avec élégance. Ce dicton est nul et suffisamment dégradant pour que Cassiopée te frappe si tu le ressors, mais l'idée est là : fais-la rire, mon grand.
- Même si elle ne rit pas beaucoup et que tu n'es pas très drôle, a contré Cameron.
Il s'est baissé en catastrophe pour éviter le sac de Gabriel que je lui ai envoyé dessus.
Les élèves en pause passaient et repassaient devant nous. Certains étaient assis sur les bancs, d'autres, comme nous, étaient étendus sur le sol. Un garçon frimait devant trois filles avec une guitare sèche, ce qui a eu pour effet de nous imposer une ambiance musicale ma foi sympathique mais qui l'aurait été d'autant plus si les gloussements des trois demoiselles n'avaient pas autant retenti.
- Pas trop de parfum, a conseillé Cameron avec un regard noir vers les groupies du musicien.
- Tiens, des pastilles à la menthe, a fait Gabriel en me tendant un étui qu'il venait de sortir de son sac. Si tu as le moindre doute, ça te sauvera la vie.
- Proscris l'ail et les oignons, peu importe où vous allez manger, et peu importe ce qu'elle prend, a recommandé Cameron avec un air presque inquiet.
- Merci les gars, je sais.
- Réserve pas de trois étoiles, sinon dis adieu à ta thune, a marmonné Gab.
- Galanterie, politesse, courtoisie, a énuméré Cameron.
- Respect, a laissé tomber l'autre avec un air fataliste. Et n'abuse pas des blagues de cul.
J'ai gardé un silence observateur, me contentant de me demander pourquoi ils se sentaient obligés de me mettre la pression alors que je la retrouvais dans à peine un quart d'heure.
- Passons à la fête, maintenant, a poursuivi Gabriel en retroussant ses manches.
- Ne pas ouvrir la chambre de Joa si tu as vu Gabriel y entrer.
- Rho, ça va, s'est défendu l'intéressé en levant les yeux au ciel.
- Isolez-vous, mais pas trop non plus.
- Pas de gestes brusques.
- N'abuse pas de l'alcool.
- Ne pas toujours pas de tes ex.
- Ni du suicide.
- Fais attention aux signes.
Je les ai détaillés d'un air critique. Ils étaient tous les deux terriblement investis dans ce rendez-vous.
- Ouais, ai-je dit, je sais.
Gabriel a ouvert la bouche avec cet air au fond des yeux qu'il arborait toujours quand il allait sortir une connerie. Je l'ai pris de court.
- Sortir couvert. Je sais.
- Comment t'as deviné ?
- Chaque fois qu'on sort tu me le rappelles. Ça va, ai-je assuré en voyant Cameron réfléchir à un nouveau conseil. Eh, c'est pas la première fois que je sors avec une fille !
- Ouais, enfin, la dernière en date, c'était Tarah, et pour la séduire, il suffit de maîtriser le coup de reins.
- Gab ! avons-nous protesté en même temps avec Cameron avant de rire comme des abrutis.
Quelques minutes plus tard, Cameron nous a quittés pour rejoindre Melissa. Nous sommes restés silencieux un petit moment avec Gabriel. Une question me tracassait, et curieusement je ne savais pas vraiment comment l'aborder.
- Eh ?
- Hm ?
- Pourquoi tu veux que je me rapproche de Cassiopée, soudainement ?
Gabriel a relevé les yeux comme pour juger du sérieux de ma question, et j'ai vu quelque chose changer dans ses yeux, comme si soudain, il considérait une réponse sérieuse, au vu de son ironie habituelle. Il n'endossait pas souvent ce rôle de type un peu confident, un peu sérieux.
- Erwan, mets-toi à ma place.
Au ton qu'il employait, j'avais la certitude que la tournure que prenait cette conversation ne serait pas des plus joyeuses.
Le guitariste a changé d'air, et s'est même mis à chanter. Je lui ai jeté un regard noir, mais, tout absorbé par la contemplation du petit public féminin qui s'agrandissait toutes les minutes devant ses yeux, il ne nous a pas remarqués.
- Ça fait des semaines que tu ne fais rien de tes journées.
- Je passe la moitié de ma vie chez toi, ai-je protesté avec moins de conviction que prévu.
- C'est pas ce que je veux dire.
Il a secoué la tête en décidant de se concentrer sur les lacets de ses chaussures.
- Depuis que Cassiopée est entrée dans ta vie, j'ai l'impression que quelque chose est différent. Tu es différent, en fait. Tu fais toujours la gueule et tu détestes toujours autant tout le monde, mais j'ai l'impression... enfin, je crois qu'elle te rend heureux. Et en tant qu'ami, c'est la meilleure chose que je peux vouloir pour toi.
Il a commencé à tracer des traits dans le sol avec un bâton, ignorant résolument mon regard. Ses mots me touchaient. Ils me touchaient sincèrement.
- Tu l'aimes bien ? ai-je demandé sans trop savoir quelle réponse j'attendais.
Il a lentement relevé la tête, et a attendu une fraction de seconde avant de répondre :
- Ouais, bien sûr. Elle est cool, a-t-il dit avant de marquer une pause. Et j'ai l'impression qu'elle a besoin de quelqu'un, elle aussi.
Je ne savais pas exactement ce qu'il dessinait, mais ça devait être foutrement intéressant pour l'accaparer à ce point. J'ai pris une profonde inspiration.
- Et toi, ça va ?
- Plus posé que moi, tu meurs.
- Te fous pas de ma gueule, Gab.
Il s'est raclé la gorge, plus nerveux qu'habituellement, pour commencer un autre dessin qu'il a fini par abandonner en balançant rageusement son bâton au loin.
- Je sais pas. Je crois que je commence à entrer dans cette phase un peu nul du bahut où non seulement tu commences à te dire que tu sais pas ce que tu vas faire de ta vie, mais qu'en plus tout le monde te fout à terre en te disant que ce que tu pensais prendre pour acquis, en fait, c'est de la fumée, c'est rien du tout. J'ai l'impression qu'on essaye de me faire rentrer dans des cases où j'ai pas envie d'aller.
- Et le théâtre ?
Il a ri jaune. C'était un rire plus douloureux que prévu.
- Le théâtre, ouais. Il ne va sans doute me rester plus que ça, à la fin. Ça, notre amitié, et le fameux « je te l'avais bien dit » quand tu finiras avec Cassiopée.
J'ai souri. Ouais, ce type me touchait. Et il méritait de finir là où il voulait. Et si lui n'y croyait pas...
- Si tu n'y crois pas, j'y croirais pour deux, Gab.
Il a relevé la tête une nouvelle fois. Je crois que j'avais réussi à l'émouvoir au moins autant que lui l'avait fait. Il a eu un sourire très sincère, sans réussir à dire quoi que ce soit, et j'ai souri aussi, puis, pour briser cette ambiance un peu trop solennelle, il s'est levé.
- Cassiopée arrive avec Joa.
Je me suis levé à mon tour en récupérant mon sac par terre, et je l'ai balancé sur mon épaule.
- Fais pas de connerie avec Joa, ai-je dit avec un sourire plus railleur.
- Et toi, prends soin d'elle.
Quelque part, je me doutais qu'il faisait référence à ce lundi qui l'avait sans doute autant marqué que moi. Et d'autre part, j'ai décidé de le prendre au mot. D'essayer, une nouvelle fois, de tenir ma promesse d'être là.
Mais, d'un autre côté, je me suis promis de garder un œil sur Gabriel aussi.
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