Chapitre 22

Chapitre XXII

Cassiopée



03/11/15



Bonjour papi,

T'écrire m'avait manquée. Je suis désolée. Mais depuis ma sortie de l'hôpital, maman est constamment sur mon dos. J'espère pouvoir te rendre visite bientôt. Tu me manques terriblement. Mes parents ne veulent pas trop que je quitte la maison en ce moment. Ils pensent que ça recommence, que tout recommence.

Et je crois qu'ils ont raison.

Ici, tous les jours se ressemblent, de la même pâleur monotone. Je me sens assommée par ma propre tristesse. Je me lève, je vais en cours, et je me rendors après m'être disputée avec maman. Je n'arrive même plus à sourire, papi. C'est chaque jour la même chose, et ça va continuer encore et encore, pendant des années. Je me sens perdue. J'ai besoin de savoir que moi aussi quelqu'un m'attend quelque part hors de cet endroit. J'ai besoin de savoir que quelqu'un a besoin de moi. Tu me manques. Tes conseils me manquent. Te parler me manque. Mais j'ai la terrible impression que plus rien ne sera jamais comme avant.

Parce que je crois que les médecins n'y ont rien fait. L'envie est toujours là. Elle est au fond de moi comme une bête endormie. J'ai l'impression que je n'arriverai jamais à la dompter, et pire que tout, j'ai l'impression que je n'ai pas envie de la dompter.

Voilà, je crois que c'est ça... je ne suis pas sûre d'avoir envie de sortir la tête hors de l'eau. Mais je ne suis pas comme ça papi. Je n'ai pas envie d'être comme ça, je n'ai pas envie de vivre dans cette noirceur qui m'enveloppe et m'écrase. Je veux vivre... C'est tout ce que je veux papi. Je veux vivre, et rire. Plus personne n'arrive à rire, de nos jours.

Est-ce que tu penses que je peux y arriver ? Est-ce que tu penses qu'un jour, je redeviendrai la petite fille qui courait après les papillons et qui repeignait le portail de son grand-père avant d'aller grimper aux arbres ?

Et s'ils avaient tous raison ? Et si je devais faire confiance aux médecins ?

Et si je devais faire confiance à ce garçon et le laisser entrer dans ma vie ?

Je suis perdue. Je ne sais pas quoi faire. Je ne sais même pas si j'aurai la force, ou l'occasion de t'écrire à nouveau. Je suis désolée, papi. Je sais que tu étais fier de moi, avant. Je sais que mamie n'aurait jamais voulu me voir comme ça. Je suis presque heureuse qu'elle ne soit pas là pour me voir dans cet état. Je revois sans cesse en rêve le regard qu'avaient mes parents quand ils venaient me voir dans ma chambre d'hôpital. Personne ne mérite de me voir ainsi. Et je suis désolée pour tout ce que j'ai infligé à cette famille que ma mère chérit tant.

Aujourd'hui, c'est mon seizième anniversaire, et j'ai essayé de mourir. J'ai cherché la mort deux fois, au lycée, et dans ma propre maison. Ça me fait peur. Parce que j'ai eu l'impression de pouvoir lâcher prise. Pour la première fois depuis longtemps, j'ai eu l'impression d'avoir le choix. Je pouvais choisir, à cet instant précis, qui je voulais être – et si je voulais être.

L'inconstance de la vie me fait aussi prendre conscience du caractère éphémère de l'homme et de qui je suis, ou de qui je ne suis pas. Je ne suis qu'une ombre dans ma vie et dans le monde, et les ombres ne veulent pas mourir, elles n'existent déjà plus.

Ni papa, ni maman ne m'ont souhaité mon anniversaire aujourd'hui. Ils l'ont sans doute oublié. Mais le seul cadeau que j'ai reçu est le plus beau que j'aie jamais eu. Cet homme qui m'a offert ce cadeau, sans même savoir que c'était mon anniversaire, c'est ce garçon dont je t'ai parlé, qui me perturbe, qui me perd, qui essaye de m'entraîner avec lui dans la lumière. Je ne sais pas où je serai s'il n'avait pas été là cet après-midi ; l'air que je respire et les couleurs que je vois, je les lui dois entièrement. Je porte son collier en me disant que peut-être, à l'avenir, il sera là, lui, ou l'ange dont cette plume est tombée, la plume que je porte autour du cou, alors que cet homme dort à côté de moi, comme s'il veillait sur mes rêves et sur notre lettre. Peut-être que c'est lui, mon ange.

Je crois que je vais aller dormir. Je dors beaucoup, ces temps-ci. Beaucoup trop. Je t'aime, papi. Prends soin de toi. A bientôt.


Cassiopée

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top