Chapitre 7 - The Black Sheep Hostel

Après avoir ramassé son énorme sac à dos, Asa descend du train. Elle sort de la gare et maudit soudain la pluie qui n'a pas cessé de tomber. Elle se remet à l'abri pour entrer l'adresse de l'hôtel sur son GPS. Ce n'est pas la peine de se mouiller plus que nécessaire.
L'application lui annonce onze minutes de marche.
Asa remonte la capuche de sa veste et prend son courage à deux mains.
Onze minutes, ce n'est rien.
Elle suit les indications à la lettre, étant trop fatiguée pour se permettre de détailler les rues, les devantures des magasins ou des pubs. Elle aura le temps plus tard.
Il lui faut aller à l'essentiel.
Quand elle arrive au 68 New Street, elle lève enfin la tête. Les murs mauves l'interpellent. En voilà une couleur étrange. Elle pousse la porte noire, entre et tombe immédiatement amoureuse de l'endroit. Tout un tas de couleurs parent les murs. Des photos et tableaux tous plus invraisemblables les uns que les autres sont accrochés un peu partout sans aucune structure.

-    Salut.

Elle sort de ses pensées et regarde son interlocuteur. Il n'est pas très grand, des dreadlocks tombent jusqu'au milieu de son dos et ses vêtements sont aussi bariolés que les murs de l'auberge. Son sourire est avenant.

-    Moi c'est John. Tu as réservé ?
-    Salut. Oui, un lit en dortoir mixte.
-    Il me faut ton nom et ta pièce d'identité, s'il te plaît.

Asa fouille dans son sac, en sort son passeport irlandais et le tend à John.

-    Asa Meyer-O'Sullivan.
-    Tu as déjà tout payé. Donc, c'est tout bon. Tiens, voilà ta clé. Est-ce que tu as besoin d'un cadenas pour ton coffre ?
-    Non, j'en ai un. Merci.
-    OK. Viens, je vais te montrer ta chambre.

Sur le trajet qui les amènent au dortoir, John explique à Asa le fonctionnement de l'établissement. Il lui montre aussi la cuisine commune et le salon.

-    N'hésites pas si tu as la moindre question. Il y a toujours quelqu'un à l'accueil.
-    Merci.

John laisse Asa seule. Elle pénètre dans le dortoir. Des affaires traînent ça et là. Elle ouvre le coffre qui lui est attribué et y range les siennes. Elle garde juste son portable, son baladeur mp3 et son casque et ressort de la chambre.
Elle a besoin de dormir mais d'autres choses pressent plus encore. D'abord, passer au petit coin puis boire une boisson chaude.
Une fois dans la cuisine, elle bataille un peu avec la bouilloire. L'eau finit par chauffer. Elle la verse dans son mug, y plonge son sachet de thé et le ressort quasiment instantanément. Elle n'a jamais aimé le thé trop infusé. L'amertume ressort trop.
Elle se rend avec sa tasse dans le salon. Un feu brûle dans la cheminée. Juste ce qu'il lui fallait. De la chaleur pour réchauffer son corps transi de froid.

-    Salut.

Elle se tourne et voit entrer deux hommes qui doivent avoir une trentaine d'années. Ils s'affalent sur les canapés.

-    Salut.
-    T'es arrivée aujourd'hui ?
-    Oui, il y a à peine vingt minutes. Et vous ?
-    Ça fait deux jours.
-    Vous avez vu des trucs sympas dans le coin ?
-    Vu le temps qu'il fait, essentiellement les pubs. On a tenté une excursion jusqu'au lac ce matin. C'était tellement bouché qu'on n'a rien vu.
-    OK.
-    Tu viens d'où ?

Toujours cette question. Asa se demande un instant ce qu'elle va répondre et choisit l'humour.

-    Dublin.
-    Très drôle. Allez, tu viens d'où ?
-    Israël. Et vous ?
-    De Grenade, en Andalousie.
-    Espagnols alors.
-    Non. Andalous.

Asa sourit à leur revendication. Elle trouve ça un peu étrange aussi. Elle ne connaît pas ce sentiment. Elle les envie un peu.

-    Tu t'appelles comment ?
-    Asa. Et vous ?
-    Moi, c'est Eduardo et lui, Alejandro.
-    Enchantée.
-    Moi aussi. Tu as quelque chose de prévu ce soir ?
-    Pas vraiment.
-    On va manger là avec d'autres amis et certainement finir la soirée dans un pub, ça te dit ?
-    Oui. Carrément. Je vais juste aller me reposer un peu avant alors.
-    Comme tu veux. On dit 20 heures ?
-    OK. À tout à l'heure.

Asa quitte le salon, le sourire aux lèvres. Elle regagne son dortoir, s'installe dans son lit et en tire le rideau. Il l'isole du reste. Tout comme la musique acoustique qui emplit ses oreilles. Peu de temps après s'être allongée, elle sombre dans un sommeil agité. Ses rêves sont emplis de ses derniers mois avec Zéèv, de leurs disputes. Il lui répète inlassablement la même chose.

« Tu n'as pas le droit. »

Elle se réveille en sursaut. La sueur perle à son front. Pendant un instant, elle doute du choix qu'elle a fait. Mais se ressaisit aussitôt. Personne ne lui dictera jamais ce qu'elle doit faire.

Elle remet la musique et ferme les yeux. Elle essaie de retrouver le sommeil. Mais comme à chaque fois dans ces moments-là, il décide de lui fausser compagnie.
Elle prend son téléphone et regarde si elle a des messages. Ses yeux tombent sur le dernier de la liste. Marec.
Des images se bousculent devant ses yeux. Un sourire un peu niais apparaît sur son visage.
Où est-il et que fait-il en ce moment ?
Elle hésite un instant à lui envoyer un SMS et se résigne. Pourquoi ferait-elle cela ? Oui, ils ont partagé un bout de vie mais leurs routes se sont séparées. C'est mieux comme ça.
Pourtant, une partie d'elle-même ne peut s'empêcher de penser qu'il était différent. Et que ce qu'ils ont partagé était plus pour elle que ce qu'elle veut bien admettre.
Elle ouvre une fenêtre de message et envoie de ses nouvelles à ses parents.
Elle consulte ses mails. Il n'y en a aucun d'intéressant. Des publicités, des lettres d'informations sur tels ou tels événements qu'elle suit. Elle aurait voulu avoir des nouvelles d'Anat, des photos de Yoav. Elle aurait voulu... Elle ne sait pas bien ce qu'elle aurait voulu.

Elle reste encore un peu allongée et finalement, se dit qu'une bonne douche lui ferait du bien. Après avoir pris ses affaires, elle se rend dans la salle de bains. L'eau chaude qui ruisselle sur ses cheveux et tout son corps lui fait un bien fou. Elle la délasse, la détend, lui permet d'expulser ses cauchemars.
Asa se sent mieux.
Elle éteint l'eau, se sèche, s'habille. Son jean préféré qu'elle traîne depuis des lustres. Des trous l'ornent un peu partout mais elle n'arrive pas à se résoudre à le jeter. Elle est trop bien dedans. Un t-shirt gris avec des fleurs. Un autre petit bout de nature sur elle en plus de ceux qu'elle a déjà sur son corps. Un sweat-shirt. Ses doc Martens. Elle aurait bien mis ses baskets mais elles ont légèrement tendance à prendre l'eau.
Des vêtements confortables qui pourraient sembler peu féminins. Mais qui arrivent quand même à la sublimer.
Elle relève ses cheveux en chignon puis change d'avis. Ils cascadent sur ses épaules et dans son dos quand elle les relâche.
Elle se maquille. Juste un peu. Un trait de khôl. Un peu de mascara. Presque rien.
Elle est prête.

Après un passage dans sa chambre, elle rejoint les autres dans la cuisine. Ils sont nombreux. Ils lui disent tous bonjour. Leurs accents diffèrent.
Eduardo lui présente tout le monde. Elle a beau avoir une bonne mémoire, elle a du mal à retenir tous ces prénoms d'un coup.
Des bières trônent sur l'îlot de la pièce.

-    Sers-toi. Ce soir, tu bois et tu manges gratis. Enfin, jusqu'au pub !
-    Et que me vaut cet honneur ?
-    T'es toute seule ! Dis-toi que c'est pour saluer ton courage de voyager en solo.
-    N'importe quoi... C'est pas si compliqué.

Les filles la regardent avec un drôle d'air. Asa ne comprend pas. Elle n'a pas peur. Pourquoi aurait-elle peur d'ailleurs ?
Une brune au visage souriant, Jenny, prend la parole.

-    Si Asa, c'est compliqué une fille qui voyage seule. C'est pas comme les mecs. Personne ne les reluque à tout bout de champ, ils ont moins de risque de se faire arnaquer, agresser et j'en passe. Il y a aussi tous les désagréments qu'ils ne connaitront jamais en voyage si tu vois ce que je veux dire.
-    Effectivement quand on le voit comme ça. On va dire que j'ai eu de la chance depuis que je suis arrivée alors.
-    Veinarde !

Jenny lui tire la langue et Asa se marre. Elle prend une bière et trinque avec les autres. Ils parlent de choses et d'autres, de leurs voyages, de leurs expériences malheureuses et Asa prend note silencieusement de pas mal de choses auxquelles elle n'avait pas pensé.
Elle parle du festival, des groupes qu'elle a vus et aimés.
Elle parle de ces filles avec qui elle a partagé les deux jours, de Lucie. Elle s'anime tellement quand elle l'évoque que Graciela, la copine d'Alejandro, la coupe.

-    Wow, elle t'a fait de l'effet !
-    C'est juste que j'aime danser et qu'elle incarnait ma passion.
-    Tu danses ?
-    Oui. Pourquoi ?
-    Moi aussi. Alejandro m'a séduite comme ça.
-    La chance.

Les pensées d'Asa s'envolent vers Marec. Lui aussi a marqué des points quand ils ont dansé ensemble. Un sourire s'affiche sur son visage et Graciela le remarque instantanément.

-    On dirait que tu connais ça aussi.
-    On va dire que oui.
-    Il s'appelait comment ?
-    Curieuse.
-    Ça court pas les rues. Il faut s'en souvenir de ces mecs-là.
-    T'as raison.

Asa sait qu'elle ne l'oubliera pas. Elle n'oublie jamais rien. Elle se souvient de tout. De chaque visage, chaque sourire, de chaque parole, chaque geste, de chaque larme versée, de chaque dispute, de chaque étreinte, chaque caresse. Elle n'oublie rien. Elle voudrait parfois. Au moins pour tous les mauvais souvenirs qui la hantent.

-    Le repas est prêt.

Tout le monde se tait et une étrange effervescence agite la cuisine. Certains sortent les assiettes, d'autres les verres et les couverts. Ils transportent tout dans la salle à manger. Les tables se retrouvent vite encombrées de bouteilles de bière, de bouteilles de sodas et d'eau.
Chacun trouve une place, s'assoit.

-    Au menu, véritable risotto italien comme à Florence préparé par Francesco.

Asa s'amuse de voir Eduardo faire la présentation du plat. Il en rajoute des tonnes en servant les gens de sa table et en passant la marmite à la table d'à côté.
Le repas se passe dans la bonne humeur.
Le risotto est vraiment délicieux. Asa est la première à féliciter Francesco et est vite suivie par les autres. Le jeune homme se retrouve un peu gêné devant tant de compliments. Il n'est pas habitué. Contrairement à certains de ses compatriotes, il n'est pas du tout exubérant et préfère rester dans l'ombre.
Il les remercie du bout des lèvres. Il n'ose pas vraiment parler avec les autres. Asa qui est assise en face de lui, le remarque aussitôt.

-    Tu voudrais bien me donner ta recette ?
-    Oui, si tu veux. Mais pourquoi ?
-    Mon père est cuisinier. Et il ne le fait pas aussi bien que toi. C'est juste pour que je le mouche la prochaine fois que je lui ferai à manger.
-    Il est cuisinier dans un resto ?
-    Non. C'est le chef des cuisines de l'ambassade de France en Afghanistan.
-    Wow. Ça doit être génial.
-    Je retiens surtout ses anecdotes sur toutes les demandes bizarres qu'il a eues. Untel qui n'aimait pas ceci ou cela, un autre qui ne pouvait pas manger tout ce qui était vert. Il y a un officiel qui s'est offusqué de ne pas trouver de maroilles sur le plateau de fromages alors qu'on était en Jordanie. Comment tu veux trouver un fromage du nord de la France au Moyen Orient ?

Francesco rit devant les remarques d'Asa.

-    Tu sais, il doit en permanence s'adapter. Il doit cuisiner français dans des endroits où ils ne mangent absolument pas la même chose que nous, ou les produits sont différents. Il s'en est toujours sorti haut la main mais le maroilles, ça, c'était trop.
-    Ça t'a marqué.
-    Ben, disons, qu'il en parle encore quinze ans après alors...

Toutes les assiettes sont désormais vides. Asa se lève pour débarrasser. D'autres suivent son exemple. Ils ramènent le tout à la cuisine, se mettent à faire la vaisselle.
Ils rangent tout et la pièce retrouve un visage humain.

Le calme revient dans l'auberge quand leur groupe sort pour trouver un pub. Le brouhaha les a suivis.

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