Chapitre 4 - Un nouveau jour

Bien qu'étant née à l'aube, Asa a toujours été une fille de la nuit. Comme si elle ne s'éveillait vraiment quand le soleil se couche et laisse place aux étoiles.
Elle est tirée de son sommeil par des caresses le long de son cou, sur son épaule, son bras, sa hanche. Elle se met à rire. Elle est chatouilleuse.
Elle se débat. Mais Marec ne lui laisse aucune chance. Il est plus fort, plus grand.
Il s'arrête quand il voit qu'elle commence à avoir du mal à respirer.

- Bonjour la marmotte.
- Salut.

La voix d'Asa est un peu cassée. Elle a trop chanté et crié hier soir. Il trouve que ça lui va bien.

- Tu as bien dormi ?
- Oui, vraiment bien. Et toi ?
- Nickel.
- Quelle heure il est ?
- Presque onze heures.
- Tu n'es pas en retard ?
- Non, je bosse à 14 heures. Tu as oublié ?
- J'avoue que j'étais un peu distraite hier soir. Un gars avec un charme irrésistible.
- Il est parti ?
- À priori non, il a attendu que je me réveille avant de me planter.
- Un vrai gentleman, ce mec-là.

Ils se sourient. Ils rient. S'embrassent. Et séparent finalement leurs corps trop avides l'un de l'autre.

- Petit déjeuner ?
- J'ai que de pauvres gâteaux secs...
- Alors, tu m'attends là, je reviens.

Asa regarde Marec s'habiller. Il se contorsionne pour enfiler son jean, cogne les côtés de la tente en mettant son t-shirt. Elle admire les muscles de son dos et le tatouage qui le recouvre et qu'elle n'avait qu'entre-aperçu au bar.

- Tu veux bien arrêter de mater ?
- Pourquoi ? J'ai des yeux pour voir, non ?

Marec sort de la tente le sourire aux lèvres. Il aime les filles avec de la répartie.
Asa, elle, se recouche. Elle pose son bras sur ses yeux pour cacher le soleil qui l'agresse. Elle croyait trouver de la pluie et rien que de la pluie par ici. Tout le monde lui avait dit qu'il ferait un temps pourri. Pour le moment, ils ne pouvaient pas plus se tromper.
Elle se perd dans ses pensées. Elle repasse sa soirée. D'abord Lucie et les Open Minded. Puis les filles. Il va d'ailleurs falloir qu'elle les retrouve, elle ne sait pas où elles dorment.
Elle refait les concerts.
Elle pense à Marec. À leur nuit. À la fusion parfaite de leurs corps. Plusieurs fois, elle a eu l'impression qu'ils se connaissaient depuis toujours.
Tout était parfait, mais maintenant le jour est levé. Plus rien n'est pareil quand un nouveau jour commence.
En toute lucidité, elle ne croit pas trop au retour de son amant d'un soir. Il est là pour travailler mais certainement aussi prendre du bon temps.
Pourquoi reviendrait-il ? Pourquoi l'attendrait-elle ? Ils ne se doivent rien.
Elle s'habille, sort des affaires pour aller prendre une douche, range un peu sa tente.
Elle relève ses cheveux en chignon et s'extirpe de la toile.
L'air est frais. Le vent souffle.
Il finit de réveiller Asa tout à fait. Elle prend son sac quand une voix l'arrête.

- Alors comme ça, tu n'as pas faim ?

Elle se retourne et se rend compte qu'elle avait tort.
Les bras de Marec sont chargés. Un paquet de pain de mie joue les équilibristes et menace de tomber.

- Tu m'aides ?
- Euh, oui. Pardon.

Asa attrape le sachet au moment où il s'échappe des bras du jeune homme.

- On dirait que ça te surprend que je sois revenu.
- Un peu. Bon, OK, carrément.
- Pourquoi j'aurais attendu que tu te réveilles si c'était pour me barrer juste après ?
- Ouais, ben, ça va, n'en rajoute pas.

Marec pose un sac et s'assoit par terre. Asa l'imite. Ils ont de la chance, le sol est sec. L'absence de pluie.
Il leur verse à chacun une tasse de café.

- Tiens. Ça ira mieux après.

Il se moque d'elle. Asa aime cette décontraction entre eux. Alors, elle décide d'en rajouter une couche et lui fait un doigt d'honneur.
Marec s'offusque. Il boude. Elle se confond en excuses, il éclate de rire.

- Tu faisais semblant...
- Il me faut plus que ça pour me vexer.

Le liquide noir leur fait du bien. Marec leur fait des tartines de confiture. Ils mangent en silence.

- J'ai encore un truc... Mais je ne suis pas sûr que tu le mérites.
- C'est quoi ?

Il sort des petits pots de Nutella.

- Oh putain !
- Pourquoi je savais que tu allais aimer ça ?
- J'sais pas. Certainement que je suis prévisible.
- Alors tu mérites ?
- Évidemment.
- T'es bien sûre de toi ?
- Complètement. Pense à la nuit que tu viens de passer...
- Tu marques un point.

Encore une fois, il prépare les tartines.
Il lui en tend une qu'elle s'empresse de manger. Elle en engloutit une deuxième en un rien de temps. Comme elle ne peut plus rien avaler, elle le regarde manger.

- J'ai une question.
- Oui ?
- Le tatouage dans ton dos, il a une signification ?
- Certainement autant que les tiens. Mais il te faudra plus d'une nuit pour la connaître.
- Combien de nuits ?
- Curieuse. Tu me dirais ce que les tiens représentent ?
- Ils n'en ont pas forcément une.
- A d'autres, Asa.

Ça faisait longtemps que personne n'avait prononcé son prénom à haute voix. Il est différent dans sa bouche à lui. Il est plus exotique, plus sensuel qu'il ne l'a jamais été dans la bouche des autres. Dans la bouche de Zéèv.
Pourtant il l'aimait. Il lui disait tout le temps. Qu'elle était la plus belle fille qu'il avait jamais vue, qu'elle était la femme de sa vie. Mais tout ça n'était qu'une illusion. Le masque est tombé un matin d'hiver.

- Asa ?
- Excuse-moi.
- Aucun problème. Je peux savoir à quoi tu pensais ?
- Pas vraiment non.
- Pourquoi j'étais sûre que tu allais me répondre ça ?
- Il paraît que j'élude bien les questions.

Marec rit. Il finit sa tasse de café et se lève.
Il n'a pas envie de la quitter mais il doit se préparer pour son travail. Aujourd'hui, il ne sert pas au bar. Il s'occupe des artistes. Il va préparer les loges, faire leurs quatre volontés. Il n'aura pas une minute à lui. Et ne sera pas du côté public. C'est le jour qu'il préfère. Sauf qu'aujourd'hui, il aurait aimé ne pas bosser ou être encore au bar. Pour la voir sourire et danser.

- Je dois y aller. Je suis désolé.
- Ne le sois pas. C'est plutôt à moi de l'être. Je vais rester les doigts de pieds en éventail pendant que tu vas suer sang et eau.
- Pas aujourd'hui. Je m'occupe des stars...
- Oh putain ! Et tu me balances ça comme ça, l'air de rien...
- Toi ? Une groupie ?
- Pas du tout en fait. Mais je sais pas, quand même quoi...
- Ils sont comme toi et moi. Ils sont juste un peu plus chiants que les gens qui viennent au bar. Je te raconterai si tu veux.
- D'accord.

Il sort un carnet de son sac et le tend avec un stylo à Asa.

- Note ton numéro. Je t'envoie un message quand j'ai fini.

Elle feuillette le carnet jusqu'à trouver une page qui ne soit pas noircie de mots, de dessins ou de formules mathématiques.
De son écriture toute en lignes élancées, Asa note son prénom et son numéro. Elle hésite à rajouter quelque chose. Finalement l'envie est trop forte.
Elle dessine avec quelques traits une fille en train de danser. Pour qu'il se souvienne après. Quand il sera loin et qu'il aura repris sa vie.
Asa referme le carnet et lui rend. Il le range sans même regarder. Il n'a plus trop de temps. Il dépose un baiser sur son front et s'en va. Sans se retourner.

Il n'en a pas besoin. Elle est un peu avec lui. Il y a encore son parfum sur ses vêtements, la sensation de ses doigts sur sa peau, ses yeux verts qui le dévisagent.
Il sait très bien qu'après ce soir, ils ne se reverront pas. Il retournera à sa routine. Et elle continuera la sienne.
Entre deux festivals, il bossera ses cours et pensera à tout ce qu'il devra faire avant de commencer son alternance. Quand il sera en cours à Lyon, il se languira de ses montagnes, de l'étranger, de ces gens qui croisent sa route. Ça ne durera qu'un temps, quelques jours, une semaine ou deux tout au plus. Quand il sera en stage, il ne verra pas le temps passer. Il a hâte de mettre en pratique tout ce qu'il a appris.
Il essaie d'imaginer ce qu'Asa fera mais il n'y arrive pas. Elle est trop mystérieuse.

Il se rend aux douches réservées au staff. L'eau ruisselle sur ses cheveux, son dos, ses jambes. Il y reste un peu trop longtemps. L'eau chaude devient tout à coup glacée. Elle le tire de sa rêverie.
Il coupe le jet en jurant, se sèche, s'habille et part rejoindre ses collègues.

- Toi, t'as levé une fille hier soir !
- Bonjour d'abord.
- Ouais salut... Putain raconte.
- Elle ne vous aurait pas plu. Beaucoup trop spirituelle et classe pour vous.
- Enfoiré.
- Bon, on y va ?
- T'as de la chance qu'on ne soit pas en avance.

Marec hausse les épaules en signe d'impuissance. Ses amis se marrent. Il joue trop bien le  parfait innocent. C'est tout lui ça. On lui donnerait le bon dieu sans confession.
Il est parfait pour ce qu'ils vont faire cet après-midi. En général, les artistes l'adorent.
Ils travaillent sans relâche. Apportent des bouteilles d'eau ici, une bouteille de whisky là. Vont chercher des cigarettes, le journal du jour. Ils nettoient et rangent les loges que certains s'amusent à saccager.
Comme si tout leur était permis sous prétexte qu'ils sont connus.
Ils plaisantent avec certains aussi. Ils parlent du public, du temps, du prochain festival qu'ils feront. Marec va suivre deux ou trois groupes presque tout l'été.
Les artistes leur signent leur t-shirt, des flyers ou des CD.

Ils prennent une pause quand la première tête d'affiche monte sur scène. Il est 20 heures.
Ils fument une clope, boivent une bière et grignotent un morceau.
Marec s'isole un peu. Il s'appuie contre l'un des préfabriqués, sort son carnet de la poche de son jean avant de se laisser glisser le long de la façade.
Il feuillette son carnet jusqu'à trouver le nom d'Asa. Il tourne et retourne son portable dans sa main. Il hésite. Il sait qu'il ne devrait pas. Qu'une nuit suffisait. Mais cette fille l'attire.
Il repense à son corps qui réagissait sous la moindre de ses caresses. À ses baisers. À son sourire.

« Je finis à minuit. On se retrouve après ? M. »

Il n'attend pas de réponse et retourne avec ses collègues. Ils reprennent le travail. Tout se passe bien. Et la fin du festival arrive enfin. Ils se sentent allégés d'un poids. Ils savent que maintenant, ils n'ont presque plus rien à faire ou à penser. Ils peuvent prendre un peu de bon temps.

Marec regarde son téléphone. Il a plusieurs messages. Un de sa sœur qui lui demande s'il a bien eu les autographes qu'elle lui a demandés. Et cinq d'Asa.
Il n'y a pas de texte. Juste des photos. Les serveurs au bar. L'un des concerts. Ses copines. Leur repas. L'arbre contre lequel ils étaient hier soir.

- J'vous laisse. On se voit demain matin, OK ?
- Baise bien.
- Vous êtes cons.
- Mais on a raison.
- Allez vous faire foutre.

Ils le regardent partir en se disant qu'il a toujours eu plus de chance qu'eux et que, contrairement à lui, ils finiront la nuit seuls. Ils boiront des bières tous les deux. Ils referont le monde, finiront par ne plus avoir les idées claires. Ils se réveilleront en ayant mal aux cheveux et se diront pour la énième fois qu'ils auraient mieux fait de s'abstenir.

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