Chapitre 13 - Amis
Il est tard, très tard mais Marec ne dort pas. Lui et ses amis ont décidé de veiller toute la nuit. Une pluie d'étoiles filantes est prévue et comme tous les ans, ils ont décidé de se réunir pour les regarder.
C'est la première fois depuis quatre ans qu'il ne pleut pas ou qu'ils sont arrivés à être tous à Chamonix au même moment.
Le feu de camp qu'ils ont allumé est en train de mourir. Ils ne remettront plus de bois pour le raviver. Pour pouvoir observer le ciel sans lumières parasites.
Le son des guitares résonne. Marec et Sam jouent ces airs qui leur plaisent à tous. Ils les connaissent les goûts de leurs amis par cœur. Ils sont nés et ont tous grandi ici, ensemble. Avant, ils étaient inséparables puis le cours normal de la vie s'est chargé de les éloigner les uns des autres.
Les garçons se racontent leurs dernières conquêtes sous les regards noirs des filles. Ils ont beau être leurs meilleurs amis, elles les détestent quand ils sont comme ça. Heureusement que les guitaristes relèvent le niveau ou du moins, n'en rajoutent pas une couche.
Elles se mettent à les ignorer. Elles parlent entre elles. De tout, de rien, de garçons finalement. Au fond d'elles, elles savent qu'elles font pareil que leurs amis mais ne l'admettront jamais.
Tout à coup, ils sont tous coupés par la sonnerie d'un téléphone. Marec se rend compte que c'est le sien.
- Putain Marec... On a dit qu'on les mettait en silencieux.
- J'ai oublié. Désolé.
Il l'extirpe de sa poche et s'apprête à regarder son message quand Julien le coupe.
- Tu vas pas le regarder en plus... Merde, tu fais chier.
- J'en ai pour deux secondes.
Il se lève et s'isole un peu. Il sourit quand il voit que c'est Asa qui lui a envoyé.
« Happiness only real when shared. Chris McCandless »
Là, entouré de ses amis, il ne peut qu'approuver. Mais il se demande pourquoi elle lui a écrit cela. En y réfléchissant bien, il trouve ça bizarre.
D'abord elle n'a pas signé. Elle signe toujours. Asa ou bien la fille qui danse. Ce sont ces derniers mots qu'il préfère. Ils lui rappellent les deux nuits qu'ils ont passé ensemble. Il sait que quand elle finit son message avec, elle est vraiment heureuse.
Ensuite, il a la sensation étrange qu'elle ne va pas bien. Pourquoi choisir cette citation si tout va bien ? On ne pense pas au bonheur quand on est en train de le vivre.
Les autres vont râler et lui en mettre plein la figure mais il sent qu'il doit l'appeler.
Les sonneries s'enchaînent sans qu'Asa ne décroche.
C'est normal. Elle essaie de calmer les sanglots qui secouent ses épaules en respirant doucement.
Mais il ne peut pas le savoir. Il réessaie aussitôt. Il n'aime pas la voix qu'elle a quand elle répond. Elle est éraillée et trop peu maîtrisée.
- Asa, qu'est-ce qu'il y a ?
- Je... Rien. J'aurais pas dû t'envoyer ça. Excuse-moi.
- Ne t'excuse pas. Parle-moi.
- Ça va, j'te dis. Je crois que j'avais juste besoin d'entendre une voix amie.
Il ne croit pas un mot de ce qu'elle lui dit. Elle ne va pas bien. C'est évident. Mais il ne peut pas la forcer à parler si elle ne veut pas.
- D'accord.
- Ça va toi ?
- Oui. J'attends une pluie d'étoiles filantes qui, pour le moment, ne vient pas.
- Ça doit être beau.
- Je te le dirai quand je la verrai. Ça l'air mal barré.
- Tu es tout seul ?
- Non. Je suis avec mes amis d'enfance.
- Je vais pas t'embêter plus longtemps alors.
- C'est pas le cas. Ils peuvent râler, je m'en fous, c'est moi le plus grand.
Asa rit à l'autre bout du fil. Et Marec sourit. Il a atteint son objectif. Il n'aime pas quand les gens souffrent.
- Et puis Sam me protégera toujours.
- C'est qui ?
- Mon meilleur ami.
- Il est avec toi, là ?
- Oui.
- Tu me le passes ?
- Quoi ?
- T'as très bien entendu... Passe-le moi, s'il te plaît...
- T'es complètement tarée.
- S'il te plaît...
Asa ne lâchera pas tant qu'elle n'aura pas eu ce qu'elle veut. Marec non plus.
- Non. Oublie l'idée. C'est absolument hors de question.
- T'es pas sympa.
- Tu peux bouder. J'ai l'habitude. Je te rappelle que j'ai des frères et sœurs et que la petite est coriace.
- Pfff.
Marec imagine Asa levant les yeux au ciel et donnant des coups de pied dans le sable en pestant contre lui. Elle n'est pas la seule. Ses amis sont en train de le pointer du doigt en râlant.
- Je dois te laisser.
- Déjà ?
- Oui, je vais me faire lyncher si je n'y retourne pas. Je te rappelle demain ?
- D'accord. Pense à moi en regardant les étoiles.
- Bonne nuit Asa.
Il raccroche tout de suite après sans attendre de réponse, le sourire aux lèvres. Il retourne auprès de ses amis. Comme il s'y attendait, ils le harcèlent de questions auxquelles il ne réplique pas. Ils finissent par se lasser et retournent à leurs conversations comme s'il ne s'était rien passé.
Pourtant Marec sait qu'il aura droit à un interrogatoire en règle plus tard. Sam est beaucoup trop silencieux.
Ils regardent les étoiles filer. Ils admirent la nuit comme quand la première fois qu'ils l'avaient fait.
À cette époque, ils n'avaient pas le droit et le goût de l'interdit avait magnifié cette soirée. À cette époque, observer le ciel n'était pas le plus important. Maintenant, plus de dix ans plus tard, ils apprécient vraiment le spectacle. Ils ont appris le nom de chaque constellation, ils savent tout des météorides qui traversent la Voie lactée. Il n'y a plus de transgression, plus de risques que leurs parents les cherchent et les punissent.
Ils s'étaient fait prendre une fois. Tous s'en souviennent encore. Régulièrement, ils se rappellent cette histoire. Monter toutes les provisions pour le refuge du Goûter à pieds à la place de l'hélico avait été une vraie leçon. Ils n'avaient pas fait le mur pendant deux mois et après, avaient compris qu'ils devaient rivaliser d'imagination pour arriver à se voir malgré l'interdiction parentale.
Ils y étaient arrivés. Ils s'en congratulent encore quand leurs vieux ne sont pas dans le coin.
Petit à petit, la nuit laisse place à l'aube. Le ciel devient gris. Les bruits soulignant la vie nocturne sont remplacés par ceux du jour.
Comme toujours, Marec n'arrive pas à choisir le moment qu'il préfère. La quiétude de la nuit, les craquements des glaciers et ces bruits qui se taisent le jour ou l'animation qui règne une fois que le soleil reprend ses droits, le chant des oiseaux et les rires des enfants.
Ils lèvent le camp et partent chacun de leur côté. Sauf Sam. Celui-ci ne bouge pas. En même temps, ils sont venus ensemble. Il reste là, à toiser Marec du regard. Ce dernier sait que le moment est venu. Il connaît son meilleur ami par cœur.
- C'était qui au téléphone ?
- Une fille.
- Putain, je l'aurais jamais deviné ! Tu sais que tu es un petit rigolo ?
Marec dévisage Sam. Il ne sait pas s'il doit rire ou faire mine d'être vexé. Il préfère ne pas choisir et voir où les mènera la conversation.
- Mais encore ?
- Ben rien.
- Quoi rien ? Je suis plus assez bien pour que tu m'en parles ?
- Attends, tu me fais une crise de jalousie là ?
Quand Sam lève les yeux au ciel, Marec se met à rire. Ils savent l'un comme l'autre qu'il finira par lui raconter. Cela finit toujours de la même façon.
- T'es vraiment con quand tu t'y mets.
- Comme si c'était une nouveauté !
- C'était qui au téléphone ?
- Et si pour une fois, je ne voulais pas en parler avec toi ?
- Fais comme tu veux. Je finirai par savoir de toute façon.
Sam se tait un instant. Il fait mine d'être vexé avant de reprendre la parole.
- Bon... On ne va pas traîner là. Tu me ramènes ?
- Putain, Sam, joue pas à ça avec moi.
- À quoi ?
- Au mec vexé. Ça te va pas du tout et en plus, je sais bien que c'est pas vrai.
- Va te faire foutre, Marec.
- Si tu veux.
Le sourire qui s'affiche sur les lèvres de Marec est éclatant. Il s'agrandit encore quand il reprend la parole.
- Mais tu vas devoir rentrer par tes propres moyens et je te rappelle, gros connard d'handicapé, qu'on est au moins à dix bornes de chez toi.
Marec ne se permet ce genre de réflexion qu'avec son ami. Il n'en pense évidemment pas un mot. Il sait aussi qu'il est le seul qui peut lui dire ce genre d'énormité.
Les yeux de Sam lui lancent des éclairs pour la forme. Il adore quand ils jouent comme ça.
- OK. Je capitule.
Il s'extirpe de son fauteuil et monte comme il peut dans la voiture de Marec. Ce dernier ne l'aide pas. Il sait que Sam déteste ça.
Il plie le fauteuil de son ami, le range dans le coffre et vient s'asseoir à sa place.
Après avoir mis le contact, il allume la musique. Slipknot retentit dans l'habitacle.
[Un GIF ou vidéo devrait être inséré ici. Veuillez mettre à jour l'application pour le voir.]
- Tu veux bien changer ? C'est un peu violent après une nuit blanche.
- Ouais... Ou alors on met rien.
- Si tu veux.
Le silence plane entre eux. Aucun n'ose prendre la parole. Sam attend que son ami parle et de son côté, Marec hésite à le faire. Il y a si peu de choses à dire sur Asa.
Les kilomètres défilent vite.
Ils sont maintenant presque arrivés chez Sam.
- Elle s'appelle Asa. Je l'ai rencontrée au festival à Dublin.
Le visage de Sam se tourne légèrement vers Marec. Il ne sait pas s'il doit lui poser des questions ou attendre qu'il parle de lui-même. Finalement, il opte pour la première solution.
- Et ?
- Pas grand-chose. On a passé deux nuits ensemble. Elle est partie de son côté, moi, du mien.
- C'était une fille qui bossait avec toi ?
- Non. Une festivalière.
- OK.
- Quoi « OK » ?
- Ben, je sais pas. T'as déjà couché avec plein de filles pendant les festivals. Tu n'as jamais eu de nouvelles d'aucune. Comment ça se fait que tu en aies d'elle ?
- J'en ai eu envie. Et elle aussi. Elle est différente.
- Et elle fait quoi dans la vie ?
- Aucune idée.
- Elle ressemble à quoi ?
- Rousse, yeux verts, tatouée, pas très grande, pâle comme c'est pas permis, des taches de rousseur, un sourire à tomber par terre.
- Et au pieu ?
- Putain Sam !
- Quoi ? Depuis quand on se raconte plus nos histoires de cul ?
- Depuis que tu me gonfles à poser trop de questions.
- Pfff, t'es pas drôle.
Sam se renfrogne comme un petit garçon. Il sait qu'il est ridicule. Mais il a l'impression que Marec lui cache des choses et ça ne leur est jamais arrivé. Jamais. Ils ont mêlé leurs sangs le jour de leurs huit ans en se jurant que ça n'arriverait pas.
Marec devine aussitôt à quoi il pense.
- On avait huit ans, Sam. Je te cache rien. J'ai juste rien à dire.
- C'était pourri alors ?
- Tu crois que je voudrais de ses nouvelles si c'était à chier ?
Évidemment, Sam connaît la réponse.
Marec s'arrête enfin devant chez son ami. Il le dépose et repart aussitôt. Il a trop besoin de dormir.
À peine arrivé, il monte directement dans sa chambre, verrouille la porte et se jette sur son lit. Il ne prend même pas la peine de se déshabiller.
Il s'endort seulement quelques minutes après s'être allongé. Il dort du sommeil du juste et rien n'arrive à le réveiller, ni son téléphone qui n'arrête pas de sonner, ni les bruits du chalet, ni l'orage qui fait rage à l'extérieur.
Il rêve. Ses songes le ramènent autour du feu de camp mais tout est différent. Asa est là. Elle danse avec Sam. Ce dernier ne devrait pas être debout sur ses deux jambes, il ne devrait pas poser ses mains sur Asa ni même l'embrasser.
Alors qu'il s'interroge sur l'état de Sam, Marec se retrouve soudain avec lui dans cette voie qu'il ne refera plus jamais. Ils sont là, rien que tous les deux. Il fait beau, la neige et la paroi sont en conditions. Ils progressent à leur rythme, tout se passe bien. Ils ne pensent qu'à leur effort, à la beauté de la voie qu'ils ont maintes et maintes fois regardée d'en bas. Ils ne pensent qu'à cette ligne dont ils ont rêvé et qui est enfin réalité.
Et tout à coup, il râte sa prise. Il dévisse. Marec ne peut rien faire. Il voit Sam, paralysé par la peur pendant qu'il tombe. Il revit chaque minute, chaque seconde du jour où Sam a perdu ses jambes. Sauf qu'il est à sa place.
Il se dit que c'est de sa faute, qu'il a fait une erreur. Il était formé pourtant. Il avait accompagné son père tellement de fois avec ses clients.
Il voit Sam qui redescend la voie sans faire attention aux risques qu'il prend. Marec a peur pour son ami. À quoi ressemblerait sa vie si Sam n'était plus là ? Il sort de sa torpeur quand il voit son ami se pencher sur lui. Il l'entend appeler les secours.
Ils les attendent encore et encore. Il a l'impression qu'ils mettent une éternité alors que ça ne prend que quelques minutes. Sauf que sa vie lui échappe. Il est trop tard. Ils arrivent toujours trop tard.
Marec se réveille en sursaut. Il a envie de vomir. Le retour à la réalité est toujours difficile. Tout semble trop vrai.
Comme à chaque fois, il s'en veut. De ne pas avoir fait plus attention, de ne pas avoir été à la place de Sam comme dans cette version de ce cauchemar si récurrent. C'était lui le sportif de haut niveau. Et même s'il l'est toujours, même s'il est l'un des meilleurs skieurs handisport, ça ne sera jamais pareil. Il ne méritait pas son sort. Et pourtant il l'accepte. Bien mieux que Marec.
Marec qui a décidé ce jour-là de devenir kiné, pour soulager chaque douleur de son ami et ainsi soulager sa conscience. Même s'il n'y était pour rien. Même si la montagne est toujours la plus forte.
De toute manière, soigner a toujours été sa vocation. En y réfléchissant bien, il n'aurait pas pu faire autre chose.
La nausée qui lui prenait la gorge s'atténue peu à peu. D'un pas peu assuré, il se rend dans la salle de bains qu'il partage avec ses frères et sa sœur.
Il se glisse sous l'eau brûlante. Elle le délasse et emporte avec elle la sensation de mal être qui l'envahit à chaque fois qu'il revit l'accident de Sam.
Une fois douché, il se rend compte que la faim le tiraille. Il voit le mot posé sur la table de la cuisine dès qu'il pénètre dans la pièce.
Sa mère et sa sœur sont parties à Annecy pour la journée.
Ses frères doivent être avec leur père en train d'encadrer des clients. Ces derniers ne doivent pas mesurer la chance qu'ils ont d'avoir avec eux, un des meilleurs guides de la vallée et deux alpinistes de haut niveau.
La pluie qui tombe à l'extérieur a dû signer la fin de la course. Il imagine les clients râler et essayer de négocier pour continuer leur randonnée parce qu'ils ont payé malgré le mauvais temps et son père tenter de leur faire entendre raison. Il se l'imagine, planté bien droit devant eux, en train de leur imposer sa décision. Il aura le dernier mot. Il l'a toujours. Là-haut, lui seul décide, lui seul sait.
Et même si certains l'ont critiqué, il n'a jamais eu à déplorer le moindre accident depuis qu'il a commencé à travailler à la compagnie des guides. Même pas une cheville foulée.
Ravi d'être seul dans le grand chalet, Marec se prépare à manger. Rien de bien compliqué, des pâtes avec du fromage râpé, une tomate coupée en rondelles avec un peu de sel et d'huile d'olive, un fruit en dessert.
Il surfe sur le net, regarde les dernières nouvelles du monde, de sa ville et de ses « amis » sur les réseaux sociaux. Comme il n'y a rien d'intéressant, il prend un livre dans la bibliothèque. Toujours le même. Celui qu'il lit et relit inlassablement .
Il choisit un chapitre au hasard et parcoure les lignes en finissant son repas. Il pourrait les réciter par cœur.
Son téléphone sonne et le coupe dans sa lecture.
« Tu me paies le café ? »
Sam. Forcément.
« Il est prêt. M »
« J'espère bien, je suis devant la porte. »
***
Merci à LunaJoice pour le titre de Slipknot. Il m'en fallait un et tu as assuré grave!
Parce que oui, j'ai poussé jusqu'à trouver le titre qui passait dans la voiture...
Vous avez le droit de dire que je suis complètement tarée.
N'hésitez pas à commenter, j'adore lire des petits mots et y répondre aussi!
Biz
Poledra
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