Chapitre 12 - Solitude
Asa a regardé dans la direction où la voiture d'Anna et Matthias est partie bien après qu'elle ait disparue.
Elle n'arrivait pas à bouger. Et finalement, au prix d'un effort incroyable, elle s'est détournée.
Les larmes aux yeux, elle parcourt la plage de long en large. Elle marche encore et encore. Et chacun de ses pas s'imprime dans le sable avant d'être effacé par les vagues. Elle essaie de se reprendre mais ils l'ont beaucoup trop touchée.
Elle se sent vide. Seule. Plus que jamais.
Elle se dit que ce voyage n'a pas de sens, qu'elle devrait abandonner. À peine a-t-elle pensé cela qu'elle se dégoûte.
Elle ne doit pas se laisser abattre. Elle a juste besoin de réconfort. Besoin d'amour. Besoin qu'un homme pose les yeux sur elle. Qu'il la séduise. Qu'il l'aime.
Après elle ira mieux. Elle espère qu'elle ira mieux.
Alors elle regagne sa tente. Elle prend une douche, s'habille, un short en jean, un débardeur à fines bretelles. Elle souligne ses yeux d'un trait de khôl. Elle attrape ses bracelets et les enfile un par un.
Pendant un instant, d'autres bracelets s'imposent à elle. Elle les chasse de son esprit. Elle ne peut pas penser à Marec maintenant. Mais les images sont là, elles ne partent pas. Il y a ses mains sur ses hanches, leurs danses, le tatouage dans son dos, ses lèvres sur son corps.
Elle se maudit et retire précipitamment chaque bijou qu'elle a mis autour de ses poignets.
Elle sort de sa tente et retourne vers la plage. Vers les bars.
Assise au comptoir de l'un d'eux, elle commande à manger. À boire aussi. Une bière puis une autre.
La serveuse discute un peu avec elle. Il n'y a pas grand monde, il est encore tôt.
Asa devine qu'elle l'attire. Ses regards sont trop appuyés, ses mains la frôlent dès qu'elles le peuvent. Asa est flattée. Sauf que les femmes ne l'intéressent pas.
- Pourquoi toutes ces fleurs ?
- Hein ?
- Tes tatouages...
- Pardon, j'étais ailleurs. J'aime ça, c'est tout.
Asa ment. Pas tout à fait mais quand même un peu. Mais elle ne dira pas à une inconnue la vraie signification de ces bouts de nature sur ses bras et ses jambes.
- C'est vraiment beau.
- Merci.
- Tu as eu mal ?
- Oui. Mais l'envie était la plus forte.
- OK.
La brune en face d'Asa sourit. Elle aime à penser qu'elle pourrait avoir une chance même si elle a bien compris que non. Elle ne voit pas souvent des filles comme elle.
Elle sait qu'elle va partir. Elle ira ailleurs, pour danser ou draguer, pour qu'elle ne le voit pas. Elle s'en veut d'être si peu discrète. Elle aurait pu l'admirer un peu plus longtemps.
- Tu veux l'addition ?
- Oui. Merci.
Asa règle ce qu'elle doit et s'en va. Elle passe devant un bar puis un autre mais ne s'arrête pas. La musique ne lui plaît pas et elle veut danser.
Quelques dizaines de mètres plus loin, un air l'appelle. Le rythme lui rappelle les pays d'Afrique où elle a grandi. Elle se faufile entre les danseurs et se laisse envahir par les percussions. Elle les suit, leur donne vie.
Elle sent le regard des autres sur elle. Une blanche qui danse comme une africaine, ce n'est pas commun.
Quand les djembés sont remplacés par du reggae un peu trop calme à son goût, Asa décide d'aller se chercher à boire. Elle arrive péniblement jusqu'au bar, commande une bière et retourne la boire vers la piste de danse.
Ses yeux regardent sans vraiment les voir les gens autour d'elle.
- Tu veux danser ?
Asa se tourne vers le propriétaire de la voix. Il lui semble tellement quelconque qu'elle hésite à décliner son offre avant de se rappeler sa décision de la soirée. Elle a besoin d'exister pour quelqu'un.
- Pourquoi pas...
Il lui prend la main et l'entraîne au milieu des autres. Il pose ses mains sur ses hanches, la serre contre lui. Il lui impose le rythme, les pas. Au début, cela dérange Asa. Elle aime mener la danse. Faire comme elle a envie et que son partenaire suive. Elle essaie de s'imposer mais n'y arrive pas. Alors elle cesse de lutter, arrête de vouloir maîtriser et s'abandonne.
Lui aussi. Il a gagné et ne voulait rien de plus.
Ils dansent enfin ensemble. L'un ne prend plus le pas sur l'autre. Leurs corps se rencontrent, font connaissance. Ils bougent au même rythme. Les morceaux s'enchaînent et aucun ne les arrête.
Ils dansent. Encore et encore. Et Asa aime ça. C'est ce qu'il lui fallait.
- On fait une pause ?
- Ouais, bonne idée.
Ils quittent la piste main dans la main, passent au bar prendre à boire et vont s'asseoir sur la plage. Ils restent un moment silencieux. Ils écoutent le bruit des vagues qui viennent mourir sur le sable.
- Tu t'appelles comment ?
- Maxime. Et toi ?
- Asa.
- Tu danses vraiment bien.
- Merci. Tu te défends carrément aussi. Mais t'aurais du me laisser mener les choses.
- Ça va pas ?
- Ben quoi ?
- Tu crois sérieusement que j'allais me laisser faire par une fille ?
Asa ne sait pas vraiment s'il plaisante ou pas. Et ça ne lui plaît pas. Elle n'aime pas que les hommes se sentent supérieurs aux femmes.
Maxime voit qu'elle est perdue. Il la regarde essayer de trouver une réponse qui ne vient pas. Seulement parce qu'elle ne posera pas la question. Il décide de l'aider, lui dit ce qu'elle veut entendre.
- Je plaisante.
La réponse est tellement convaincante qu'Asa ne se doute de rien. Ou peut-être qu'elle ne veut rien voir. Que son sentiment de solitude à combler est plus fort que tout le reste.
- Je ne suis pas habitué à ce qu'on danse aussi bien que moi.
- Tu ne te prends pas pour rien, dis-donc.
- Ben quoi, tu ne peux nier que j'ai raison.
- T'es un peu bizarre comme mec quand même.
- C'est la première fois qu'on me le dit. Je dois le prendre comment ?
- Je ne suis pas partie en courant donc je dirais bien.
- Ouf.
Ils discutent de tout et de rien en sirotant leurs bières. Ils apprennent des bribes de la vie de l'autre. Ils parlent de leurs vacances, des pays qu'ils ont visités. À ce jeu-là, Asa gagne haut la main.
Et ils sont là, côte à côte, à ne rien tenter. Pourtant, Maxime en a envie. Asa en a besoin. Il leur faut un moyen.
- On y retourne ?
- Oui.
Maxime aide Asa à se relever et pose sa main au creux de ses reins sur le court trajet qui les ramène vers le bar. Elle apprécie ce geste et la douce chaleur qui envahit son ventre.
Ils recommencent à danser. Mais la musique ne plaît plus à Asa.
Elle veut partir, aller ailleurs. Maxime s'en aperçoit aussitôt.
- Ça ne va pas ?
- Si. Mais...
- On va ailleurs ?
Le sourire qui éclaire le visage d'Asa répond à Maxime. Il lui prend la main et l'entraîne à nouveau vers la plage. Une fois qu'ils sont un peu à l'écart, elle s'arrête et presse son corps contre celui du jeune homme avant de poser ses lèvres sur les siennes.
Les baisers qu'ils échangent ressemblent à la lutte du début de leur danse. Chacun veut dominer l'autre. Aucun ne lâche prise.
Dans un coin de sa tête, Asa se dit que cela lui déplaît, elle pense à Marec. Ce n'était pas comme ça avec lui. Elle voudrait repousser Maxime, lui dire finalement d'aller se faire voir. Mais elle a trop besoin de sentir qu'elle plaît, qu'on la désire et elle sait que Maxime la désire. Elle le sent.
Elle envoie valser l'image de Marec, ses bracelets, son tatouage et son sourire loin d'elle.
Pour la deuxième fois de la soirée, elle abandonne. Elle s'abandonne. Lui non. Il sait qu'il a définitivement gagné. Elle sera à lui cette nuit.
Il a eu envie d'elle dès qu'il l'a vue danser. Elle n'était pas comme les autres. Il a lâché ses amis pour une conquête d'un soir. Et demain, il s'en vantera.
En attendant, il la prend par la main et l'entraîne vers la place de la mairie. Il traverse les rues de cette ville qui l'a vu naître. Il est chez lui ici.
De temps en temps, il s'arrête et l'embrasse. Il fait glisser ses mains le long de ses bras ou sur ses hanches parfaites et elle se serre un peu plus contre lui.
Pas un mot ne plane entre eux. Il n'y a rien à dire.
Quelques minutes plus tard, ils arrivent chez lui. Il prie intérieurement pour que ses colocs ne soient pas déjà rentrés. Il n'a pas envie d'être dérangé.
Dès qu'il passe la porte, il sait que l'appartement est vide. Habituellement, le canapé serait occupé ou la fête battrait son plein.
A peine la porte refermée, il repart à l'assaut de la bouche d'Asa. Il lui impose le rythme et la cadence, ne lui laissant aucun répit.
Ses mains sont partout. Là, sur une épaule, là sur les hanches, sur ses fesses.
Elles la déshabillent vite, en pleine lumière. Cela ne dérange pas la jeune femme. Elle n'est pas du genre pudique et est fière de son corps. Elle le laisse la voir, l'admirer avant de lui faire l'amour, avant que le plaisir fasse couler son maquillage ou que la fatigue l'emporte. À son tour, il enlève ses vêtements sans jamais cesser de l'embrasser.
Il ne se préoccupe plus d'Asa maintenant. Il ne pense plus qu'à lui, qu'à sa performance, qu'à impressionner cette rousse qui n'a pas froid aux yeux et qui a tenté de lui tenir tête.
Et Asa se laisse faire. Elle laisse de côté ce qu'elle aime et lui donne ce qu'elle veut. Elle s'oublie. Elle est forte à ce jeu-là.
Elle pourrait dire qu'elle profite aussi. Il faut reconnaître que Maxime est doué sur certains points. Mais il lui manque quelque chose. Il ne donne pas. Il prend.
Il n'a pas compris qu'en donnant du plaisir à sa partenaire, en pensant à elle avant de penser à lui, il décuplerait le sien le moment venu.
Et même si Zéèv et Marec étaient peut-être moins endurants ou pouvaient paraître plus maladroits, eux savaient. Ils savaient.
Asa sait qu'elle ne prendra pas de véritable plaisir ce soir. Ses pensées l'emportent avec elle. Elle pense à ce qu'elle fera après, cette nuit et les prochains jours. Elle se dit que pour la première fois depuis bien longtemps, elle ne s'est jamais sentie aussi seule en étant dans les bras d'un homme.
Alors que lui la regarde à peine, Asa guette chacune de ses réactions et quand elle comprend qu'il va atteindre l'orgasme, elle se met à gémir avec lui. Elle simule. Elle sait qu'elle ne lui rend pas service mais tant pis.
Il s'allonge à côté d'elle et la prend dans ses bras. Il se voit déjà se réveiller près d'elle et la présenter à ses colocs le lendemain matin.
Mais il est hors de question qu'Asa reste.
- Je vais y aller.
- Pardon ?
- Tu as très bien entendu, je pars. Merci pour cette soirée.
Elle quitte les bras de Maxime et ramasse ses vêtements éparpillés au sol. Elle se rhabille et sort de l'appartement sans même le regarder.
Il n'a même pas eu le temps de réagir. Il ne comprend pas. C'est la première fille à partir comme ça. Pourtant, elle a pris du plaisir, il l'a vu.
À moins que... Non, ce n'est pas possible.
C'est quand même vraiment dommage, il l'aurait bien présentée aux autres. Ils sont d'ailleurs en train de rentrer. Il les entend. Il sait qu'il doit aller les rejoindre. Ils ne le lâcheront pas tant qu'ils ne sauront pas.
- Max, t'es là ?
- Ouais, deux secondes.
Il les rejoint dans le salon.
- Elle dort ?
- Non. Elle s'est barrée.
- Tu déconnes ?
- Non.
- Attends. C'est la fille qu'on a croisé juste devant l'appart ?
- Très certainement. Elle était rousse ?
- Ouais.
- Alors oui.
- Putain, mec, qu'est-ce t'as foutu ?
Maxime ne sait pas quoi répondre. S'il avait eu la présence d'esprit de se remettre en questions, s'il avait agi différemment, peut-être qu'Asa serait encore là.
Mais il est sûr de lui. Et ce n'est pas toujours une bonne chose. Parfois, il vaut mieux douter. Parfois, il faut écouter l'autre au lieu de se regarder le nombril.
S'il l'avait fait, il aurait vu ce dont Asa avait besoin. S'il l'avait fait, elle n'aura pas à penser à son ex ou à Marec pendant qu'elle était dans ses bras à lui.
Et Asa ne serait pas sur le trajet qui la ramène au camping. Elle n'aurait pas son portable à la main en train de taper un message à Marec.
« Happiness only real when shared. Chris McCandless »
Elle ne serait pas non plus en train d'appuyer sur envoi en espérant qu'il ne dorme pas et qu'il l'appelle.
Elle serait dans ses bras.
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