Chapitre 11 - Anna
Salut, salut,
Dans ce chapitre, vous allez retrouver deux de mes personnages d'une autre histoire... j'espère, pour ceux qui les connaissent, que vous aimerez les revoir.
J'ai écrit ce chapitre sur la chanson que j'ai mis en média. Elle a tourné en boucle pendant des heures et des heures.
J'espère qu'elle vous plaira.
Avant que vous me demandiez, c'est Apocalyptica, les métalleux aux violons et violoncelles 😉.
Biz
Poledra
***
La journée d'Anna a été épuisante. Elle n'était plus habituée à faire autant de choses, à ce qu'il y ait autant de gens et de bruits autour d'elle.
En prenant la main que Matthias lui tendait, elle a décidé de renouer avec tout ce qu'elle avait mis en suspend depuis un an. Ils n'ont presque pas arrêté de la journée, il ne lui a laissé aucun répit et Anna sent qu'elle a, pour un moment, besoin de calme.
Matthias l'a compris. Leurs mains entrelacées, ils s'éloignent un peu de la fête qui a lieu au bord de la plage.
- Ça te dit que j'aille nous chercher à boire ?
- Oui, s'il te plaît. Merci de m'épargner la file d'attente au bar.
- Ça se paiera. Je vais pas être toujours aussi gentil qu'aujourd'hui.
- Je me disais bien aussi... Ça aurait été trop beau.
- Bon, j'y vais. Ça va aller ?
- Je suis pas en sucre, Matthias.
Il ne relève pas sa réponse. Bien évidemment, elle a raison mais il l'aime. Et tout au fond de lui, il a peur qu'elle se renferme à nouveau, qu'elle revienne sur sa décision s'il la laisse un instant.
Il retourne vers la fête et le regard d'Anna se perd dans la nuit. Ses doigts attrapent des poignées de sable encore chaud et les laissent s'envoler avec le vent.
Les vagues s'écrasent sur la plage et une fine pellicule d'embruns vient recouvrir la peau de la jeune femme. Elle sourit.
La nuit, tous ses sens sont en éveil, elle a l'impression de vivre pleinement. La nuit, elle ne se sent plus amoindrie.
Le vent apporte tout à coup un parfum léger vers elle. Un parfum féminin teinté de soleil. Elle n'est plus seule.
Elle entend la personne s'arrêter à côté d'elle.
- Je peux m'asseoir ?
Anna se demande un instant ce qu'elle doit répondre. Hier encore, elle aurait dit non à cette inconnue. Mais aujourd'hui, elle a fait un choix. Et il incluait de réapprendre à s'ouvrir aux autres.
- Oui. Bien sûr.
- Tu es toute seule ?
- Oui. Enfin non, mon copain est parti nous chercher à boire.
- Ça t'embête si je reste un peu avec toi ?
- Pas de problème.
- J'ai besoin d'un peu de calme.
- Moi aussi. La musique est un peu trop forte.
- Et un peu pourrie...
- Oui, carrément.
Leurs rires envahissent la nuit.
- J'm'appelle Anna.
- Enchantée Anna. Moi, c'est Asa.
- Tu as un très joli prénom.
- Merci. Ça fait longtemps que tu attends qu'il revienne ?
- Un peu oui. Je crois que j'ai perdu le fil.
- Tu aurais dû y aller toi, tu aurais eu plus de succès et tu serais déjà revenue.
- Ouais, c'est sûr mais j'aime bien me faire servir.
Asa se marre. Et le rire d'Anna lui répond. Cette fille lui plaît. Elle a de la répartie. Elle a l'air adorable et comme elle, elle n'arrête pas de toucher le sable du bout des doigts. Asa aime les gens qui touchent les choses.
- C'est la première fois que tu viens ici ?
- Oui. Et vous ?
- Non. On était venus passer des vacances avec des potes, il y a quelques années.
Anna se perd dans ses pensées. Elle repense au premier baiser de Matthias. Elle l'avait attendu longtemps. Quand il lui avait avoué qu'il n'osait pas parce qu'elle lui faisait peur, elle s'était moqué de lui. Tellement de choses ont changé. Son regard fixe l'horizon un instant puis revient vers Asa.
- Vous restez longtemps ?
- Non. On repart lundi. Matthias m'a amenée là sur un coup de tête. Juste pour le week-end. Il est un peu dingue des fois.
- Vous habitez loin ?
- D'ici ? Un peu. On vient de Chambéry, dans les Alpes. Tu connais ?
- Pas du tout. C'est la première fois que je viens en France.
- Mais tu parles super bien français. Comment ça se fait ?
- Mon père est français. Moi aussi d'ailleurs. Mais on est expatriés.
- Donc, tu viens de débarquer ici et tu commences par l'océan. Pourquoi tu n'es pas à Paris en ce moment même ? Tout le monde ferait ça.
- Je ne suis pas tout le monde. Et mon père est né ici. Je voulais voir d'où il venait.
- Ça te plaît ?
- Oui. Ça fait presque une semaine que je suis là.
Asa raconte à Anna tout ce qu'elle a fait. Sa randonnée dans les Pyrénées et les courbatures mémorables qui ont suivies, ses longues marches le long de la plage au soleil couchant, les soirées dans les bars au bord de l'eau.
- Tu devrais venir voir les surfeurs le matin. C'est un spectacle... Comment dire... Intéressant.
- Je veux bien te croire. Mais je suis pas trop du matin.
- Pourtant Asa veut bien dire « aube ».
- Comment tu sais ça ?
- On est partis au Japon il y a deux ans. Une des personnes chez qui on logeait s'appelait Asa.
- Ça devait être magnifique.
- Oui vraiment.
Elles restent un moment sans parler à observer la nuit.
- Tu veux peut-être boire quelque chose ? Tant qu'à faire que Matthias fasse la queue...
- Je veux bien. Mais j'ai légèrement l'impression d'abuser là...
- N'importe quoi.
Anna sort son téléphone. Il semble bien archaïque par rapport au smartphone d'Asa. Elle tape son message sans même le regarder, l'envoie et range son portable.
- Y'a plus qu'à espérer que son tour ne soit pas passé.
- Au pire, il retournera faire la queue.
- Tu es horrible.
- Il mérite !
La remarque d'Anna fait à nouveau rire Asa. Elle aimerait en savoir plus sur cette fille, passer un peu de temps avec elle. Elle est persuadée qu'elles s'entendraient bien toutes les deux. Peut-être devrait-elle provoquer le destin ?
Anna tourne de temps en temps la tête vers la source de la musique. Comme si elle cherchait Matthias des yeux. Mais personne ne vient.
- Il t'a peut-être abandonnée.
- Aucune chance. Il est incapable de s'en sortir sans moi.
- Tu ne l'épargnes pas, dis-donc.
- C'est juste pour que tu n'es pas envie de me le prendre.
- T'inquiètes. Aucune chance.
- Quelqu'un t'attend quelque part ?
- Non.
- Tu vois que j'ai des raisons de me méfier... Surtout que je suis sûre que tu es très jolie.
Anna regrette instantanément ce qu'elle vient de dire. Elle ne peut pas voir Asa qui la regarde avec de grands yeux interloqués. Mentalement, cette dernière repasse leur rencontre et trouve ces détails qui ne l'avaient pas marquée de prime abord. Elle les remet ensemble un par un.
- Tu... ?
- Je suis aveugle, oui.
- Tu donnes incroyablement bien le change.
- Il paraît.
Asa se sent triste pour Anna. Elle essaie d'imaginer ce que c'est de ne plus voir. Elle n'y arrive pas.
- C'est dur ?
- Étonnante ta question. Je ne dirais pas que c'est dur. C'est angoissant, horrible, vraiment pourri. Mais pas dur. Ce qui l'est, c'est gérer la pitié des gens.
- Je veux bien te croire. Les gens ont peur de la différence, de la souffrance des autres. Ils n'aiment pas ce qu'ils ne peuvent pas comprendre.
- On dirait que tu sais de quoi tu parles.
- Oui. J'ai grandi à des endroits où j'étais l'intruse. Je sais ce que c'est d'être montrée du doigt et d'entendre des messes basses sur mon passage.
- Je suis désolée.
- Il faut pas. Je m'en fiche pas mal maintenant.
Anna envie l'assurance d'Asa. Elle aimerait se dire qu'elle arrivera à passer au dessus du regard des autres. Même si elle ne les verra plus jamais. Elle sait bien qu'ils la prennent pour une infirme, qu'ils ne savent pas comment se comporter avec elle. Elle sent leur attitude qui change, la pitié dans leurs voix. Si seulement elle ne les entendait pas. Si seulement ils pouvaient se conduire normalement.
- Anna, ça ne va pas ?
- Si. T'inquiètes. J'aimerais arriver à être comme toi. À me moquer de ce que pensent les autres.
- Ça fait longtemps ?
- C'est venu petit à petit. J'ai jamais vraiment bien vu. Je suis dans le noir depuis bientôt un an.
Asa ne peut s'empêcher de ressentir un pincement au cœur pour sa voisine. La vie est vraiment injuste. Une fille aussi gentille ne devrait pas avoir à vivre quelque chose d'aussi horrible.
Elle essaie d'imaginer ce qu'elle ressentirait mais n'y arrive pas. Il n'est pas possible d'appréhender ces choses-là.
- Tu m'impressionnes.
- Je ne mérite pas.
- Bien sûr que si. T'es là, tu m'as donné le change pendant je ne sais pas combien de temps, tu souris. Je suis quasiment persuadée que la plupart des gens à qui ça arrive resteraient enfermés, haïraient le monde, le destin et la vie.
- C'est ce que j'ai fait, tu sais. Jusqu'à hier.
- Oui mais, au risque de me répéter, tu es là, à me parler alors qu'on ne se connaît pas. Il y a forcément quelque chose qui a changé.
Des larmes perlent aux paupières d'Anna. Elle s'en veut de se laisser aller. Du revers de la main, elle tente de balayer les traces de son instant de faiblesse mais n'y arrive pas.
Elle se perd dans ses pleurs. Elle se perd. Et sursaute quand elle sent la main d'Asa se poser sur la sienne.
Plus personne à part Matthias ne l'avait touchée avec autant de gentillesse depuis bien longtemps.
Et ça lui fait mal autant que ça lui fait du bien.
Elle ne sait pas si elle doit laisser sa main ou l'enlever. Elle ne sait plus si elle a eu raison de se donner une chance. Si la vie doit être comme cela, a-t-elle bien fait ? Est-ce que ça vaut la peine de ressentir à nouveau ?
Quand les bras d'Asa lui entourent les épaules et qu'elle s'y blottit, elle reconnaît enfin que oui. La vie vaut la peine.
Elles restent un moment comme ça, le temps que les larmes d'Anna se tarissent. Alors, leurs corps se séparent. Mais avant qu'Asa ne s'éloigne tout à fait, avant que le contact ne soit rompu, Anna lève ses mains.
Elles restent en suspend, posant une question silencieuse à cette inconnue qui ne l'est plus tout à fait.
Asa comprend. Elle incline la tête et pose sa joue dans la main d'Anna. Elle sourit. Elle sait qu'Anna va la voir. Elle veut qu'elle retienne avant tout son sourire.
Les doigts d'Anna parcourent son visage, l'effleurent. Par moments, le contact est plus appuyé, à d'autres, il ressemble à la caresse d'une plume.
Et tout à coup, leur course s'arrête.
- Tu es belle, Asa.
La gorge nouée, Asa n'arrive pas à lui répondre. Elle s'oblige à respirer lentement. Elle calme toutes les émotions qui la traversent.
- Merci.
Alors qu'elle relève les yeux, ils tombent sur une silhouette athlétique. Elle sait immédiatement qui c'est. Rien qu'au regard plein de reconnaissance qu'il lui lance. À ses yeux qui brillent un peu trop sous l'éclat de la lune.
Matthias.
Depuis combien de temps est-il là ? Depuis combien de temps les observe-t-il ? Depuis combien de temps regarde-t-il sa compagne s'ouvrir à quelqu'un d'autre que lui ?
Autant de questions qui resteront sans réponses.
Asa le regarde se ressaisir alors qu'elle s'éloigne tout à fait d'Anna.
Elle reprend sa place, fait comme si rien ne s'était passé.
Quand il s'approche enfin totalement, en faisant bien plus de bruit que nécessaire pour qu'Anna se tourne vers lui, Asa fait comme si elle était surprise de le voir.
- Asa, je te présente Matthias.
- Matthias, Asa.
Ils se regardent comme s'ils se voyaient pour la première fois. Ce qui, finalement, est presque vrai.
- Salut.
- Salut. Merci de lui avoir tenu compagnie. C'était une véritable expédition. Elle était donc pour toi, cette bière ?
- Oui. Tu me diras combien je te dois.
- Cadeau de la maison. Tu as survécu à Anna. Je peux au moins faire ça.
Il se met à rire quand Anna se met à bouder. Ils sont beaux. Matthias leur tend à chacune leur bouteille de bière et s'assoit. Tout contre Anna. Sans même s'en apercevoir, celle-ci se détend.
Quand il est là, elle n'est plus aveugle. Quand il est là, il est ses yeux. Quand il est là, elle est entière. Il est là. Et ce matin, elle lui a donné sa main. Il a eu raison de la brusquer un peu.
Et pour la deuxième fois depuis que son voyage a commencé, Asa regarde l'amour, le vrai, danser devant ses yeux.
Alors elle les ferme et imagine qu'un jour, peut-être, elle connaîtra ce sentiment, qu'elle le vivra. Oui, peut-être qu'un jour, elle le trouvera.
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