Chapitre 37.
Gaëlle
Je regarde le paysage défiler par la fenêtre tout en baillant longuement. Pourquoi sommes-nous partis si tôt ? Ce n'est pourtant pas si loin Montpellier, nous aurions pu partir dans l'après-midi... Mais non, Nathan a souhaité prendre la route à dix heures.
- On arrive dans quelques minutes, annonce-t-il en pressant doucement ma cuisse.
- Ouais ! s'écrit Elya à l'arrière de la voiture avant de se mettre à chantonner : on va voir tonton ! On va voir tonton !
- Au moins une qui est réveillée, ricane son père.
- C'est de ta faute si j'ai pas assez dormi, l'accusé-je.
- Je t'ai réveillée à neuf heure et demi, j'aurais pu faire pire.
- Oui mais jusqu'à quelle heure tu m'as tenue éveillée, rappelle-moi ?
Nathan éclate de rire.
- Tu ne t'en plaignais pas hier, pourtant.
- C'était seulement pour te faire plaisir, argumenté-je en levant les yeux aux ciel.
- Eh bien dans ce cas là, je te laisserai dormir ce soir.
- J'aimerais beaucoup, répliqué-je, amusée de ce mensonge.
La voiture s'arrête à cet instant et Elya trépigne d'impatience d'aller voir son oncle. Nous descendons de la voiture, sortons nos affaires du coffre avant d'avancer vers l'immeuble où vit Max. Nathan compose le code secret pour entrer et nous grimpons les quatre étages qui mènent à la porte d'entrée. Comme je vois un ascenseur, je demande pourquoi nous ne le prenons pas mais la fillette déclare avoir trop peur de ces machins-là.
Elya est la première arrivée sur le palier alors elle frappe à la porte et son oncle apparait en lui ouvrant les bras.
- Coucou ma crevette, comment ça va ? lui demande-t-il en la serrant contre lui et embrassant son front.
- Ça va trop bien ! Je suis trop contente de venir, ça fait longtemps que je suis pas venue, hein ?
- Oui ça fait longtemps, lui sourit Max.
Il nous fait ensuite signe d'entrer, nous saluant chacun notre tour. Je sursaute en voyant un gros chien dans le salon, près du canapé, qui se rue sur nous pour nous dire bonjour, mais je recule vivement, me cachant derrière Nathan.
- Ouais ! Ash est là ! s'exclame Elya en agitant les jambes pour faire comprendre à son oncle qu'elle veut rejoindre le chien.
Une fois sur pieds, elle s'agenouille pour faire un énorme câlin au chien passant ses petits doigts dans ses longs poils. Elle éclate de rire lorsqu'il se laisse tomber sur le côté et qu'elle lui tombe dessus.
- T'as peur des chiens ? me questionne Nathan en se tournant vers moi après avoir posé nos affaires au sol.
- Non. Mais je déteste ça, grimacé-je.
- Il est gentil, ne t'inquiète pas, me rassure Max.
- Je n'en doute pas, ricané-je nerveuse. Mais je n'aime pas du tout les chiens.
Nathan me prend la main et nous mène vers le canapé, le plus loin possible de l'animal.
- Emma n'est pas là ? demande-t-il en serrant mes doigts.
- Elle travaille. Elle rentre dans une demie heure à peu près. Je vous sers quelque chose ?
Suite à notre réponse positive, il part dans la cuisine et revient avec deux verres de jus d'orange pour Elya et moi et un café pour son frère. Il prend ensuite sa nièce sur ses genoux qui a laissé le chien à contrecœur. Ils sont adorable tous les deux et, comme Max ressemble beaucoup à Nathan, j'ai l'impression de voir mon petit-ami dans quelques années. Ils sont tellement mignons.
- Alors ma crevette, qu'est-ce que tu as de beau à me raconter ?
- Je vais avoir une petite sœur ! déclare-t-elle spontanément.
- Quoi ? s'écrit Max stupéfait.
- Non ! répondons Nathan et moi en chœur.
- Si, vous avez dit bientôt ! contre Elya.
Son oncle nous regarde, étonné, puis ses yeux se portent sur mon ventre. Nathan éclate alors de rire avant de démentir.
- Elle n'est pas enceinte. Elya voulait savoir si on allait avoir un bébé et on lui a dit que ça arriverait un jour, mais pas maintenant. Pas avant que ma petite princesse ait grandi, et nous aussi pas la même occasion.
Max pince gentiment les joues de la fillette après avoir lâché un long soupir de soulagement.
- Ne dis plus de bêtises pareilles, ma puce. Je vais avoir une crise cardiaque.
- C'est quoi une crise cardiaque ?
- C'est rien, ricane Max. Va jouer avec Ash.
Elle ne se fait pas prier et Emma arrive quelques minutes plus tard.
Nathan
Peu après midi, nous déjeunons tous ensemble puis nous sortons en balade, avec le chien. Gaëlle reste éloignée le plus possible afin d'éviter tout contact avec l'animal et je la trouve bien silencieuse aujourd'hui. Lorsque je la questionne, elle secoue simplement la tête en souriant pour me signifier que tout va bien, mais je ne la crois pas.
Je nous fais donc ralentir pour laisser mon frère et sa copine, ainsi que ma fille à quelques mètres devant nous.
- Tu m'en veux toujours de t'avoir réveillée ce matin ? la taquiné-je pour tenter d'en savoir plus.
- Non, évidemment.
- Alors dis-moi ce qu'il se passe. Je m'inquiète toujours quand tu es si silencieuse.
Elle m'offre un pâle sourire qui montre bien que j'ai raison. Je n'ai pas besoin d'insister très longtemps pour qu'elle me parle enfin.
- Tu n'as pas peur de croiser ton père quand tu viens ici ?
Je ne m'attendais pas à ça et ça me surprend.
- Un petit peu, c'est vrai, admets-je. Mais Montpellier est grand et il vit à l'autre bout de la ville donc il y a très peu de chance pour qu'on le voit. Mais je dois dire que j'aimerais bien le croiser tout de même, avoué-je.
- Pour pouvoir lui poser des questions ?
- Oui. J'aimerais des réponses. Mais je voudrais le voir seul à seul. Pas avec Elya dans les parages.
Même si ce ne seraient pas des réponses que j'aimerais entendre, j'en ai besoin. Ça fait presque cinq ans que je ne l'ai pas vu, cinq ans que je ne lui ai pas parlé, et malgré le fait qu'il m'ait grandement déçu, j'aimerais lui parler quelques minutes. C'est aussi une des raisons pour laquelle j'ai voulu rendre visite à mon frère.
Nous allons rester chez Max pendant quelques jours durant ces vacances d'été. Elya y va seule habituellement, mais j'ai souhaité l'accompagner avec Gaëlle. C'est une très bonne idée de m'être déplacé ; je vais enfin trouver le courage d'affronter mon père.
***
Trois jours plus tard, lorsque mon frère et sa petite-amie rentrent de leur travail, je décide de laisser Elya et Gaëlle chez eux afin de rendre visite à mon paternel. J'ai mis longtemps à me décider, mais c'est chose faite, et je suis devant sa maison.
Je prends une longue inspiration et appuie sur la sonnette : c'est une femme d'une trentaine d'années aux courts cheveux châtains qui ouvre la porte.
- Bonjour, dit-elle en souriant.
Je me sens légèrement consterné d'être face à une femme charmante, et non de me retrouver confronté au visage carré et imperturbable de mon père. Mon frère m'avait dit que notre père avait quelqu'un dans sa vie mais j'ignorais qu'elle vivait chez lui.
- Je peux vous aider ? insiste-t-elle.
- Oui, réponds-je en me reprenant. Est-ce que John est là ?
- Non, il est au bureau. Mais il rentre dans moins d'une heure, m'apprend-elle, toujours le sourire aux lèvres.
J'ignore si je me sens soulagé de cette annonce ou non. Je souhaitais le confronter, mais je suis aussi terrifié, je l'avoue.
Cette femme me semble très gentille, alors je lui rends son sourire.
- Je vous remercie, je repasserai. Bonne soirée.
- Attendez ! m'interrompt-elle alors que je commence à faire demi-tour.
Je lui fais face de nouveau.
- Vous êtes son fils, pas vrai ? Nathan ?
- Il vous a parlé de moi ? la questionné-je perdu, en fronçant les sourcils.
Elle parait embêtée de me donner cette réponse que je connais, mais elle le fait tout de même.
- Non. Mais Max l'a fait. Et vous ressemblez beaucoup à votre frère.
Je hoche la tête pendant que mon cœur se serre indubitablement. Je sais que mon père m'a renié, mais c'est plus difficile que ce que j'imaginais.
- Je vois.
- Il m'a aussi parlé d'Elya, ajoute-t-elle incertaine. J'ai essayé d'en discuter avec votre père plus d'une fois, mais chaque fois, il ne voulait rien entendre et nous nous disputions.
- Ça ne m'étonne pas, ricané-je nerveusement. Je ne sais même pas pourquoi je suis venu, en réalité. Ne lui dites pas que je suis passé, ça ne servirait à rien.
- Ou vous pouvez entrer et l'attendre. Je vous sers quelque chose à boire ?
Je plante mon regard dans les yeux bruns de cette femme que je ne connais pas et son sourire chaleureux me fait flancher et accepter sa proposition. Je vais certainement m'en mordre les doigts, mais j'entre dans cette maison. Elle est plutôt petite mais très belle. Je ne reconnais pas les goûts de mon père dans cette décoration, mais ça ne me choque pas. Il n'a jamais participer à la décoration de la maison chez nous.
- Je ne me suis même pas présentée ; je m'appelle Julie. Je suis l'amie de John. Est-ce que je peux te tutoyer ? demande-t-elle gentiment.
- Bien sûr.
Elle me sert ensuite un grand verre de limonade et s'installe face à moi, à la tabe de la cuisine.
- Je n'ai vu Max que quelques fois, commence-t-elle. Il passe très rarement ici à cause de leurs... désaccords, mais j'ai un peu parlé avec lui. C'est lui qui m'a appris l'existence de ta fille, et ça me fait beaucoup de peine qu'il agisse de la sorte.
- Moi aussi. Je ne lui ai pas parlé depuis des années. Je suis venu pour Elya ; elle n'arrête pas de me parler de son grand-père mais je n'ai jamais trouvé la force de lui dire pourquoi elle ne le voyait jamais. Je n'aurais pas dû venir, c'est certain qu'il ne me parlera pas.
- Mais tu as envie d'essayer, comprend-elle.
J'acquiesce en souriant légèrement.
- Je voudrais comprendre. C'est tout.
C'est à cet instant que nous entendons une voiture se garer dans l'allée. Mon cœur commence à accélérer la cadence et la panique m'envahi rapidement. Julie doit sentir mon angoisse puisque son sourire se crispe.
- Il rentre plus tôt, annonce-t-elle.
Quelques secondes plus tard, la porte d'entrée claque et je me lève après avoir bu quelques gorgées de limonade. J'ai déjà la gorge sèche alors que je n'ai pas encore ouvert la bouche face à mon père.
- Chérie ? entends-je depuis l'entrée.
- Dans la cuisine, répond Julie.
L'instant d'après, la grande carrure sévère de mon paternel fait son apparition. Il me jauge durement et me jette un regard noir, avant de m'ignorer et de se diriger vers sa compagne. Il embrasse sa joue et avance vers la cafetière pour se servir un café.
- Bonjour Papa, annoncé-je d'une voix forte.
- Qu'est-ce qu'il fait là ? demande-t-il à Julie sans un regard pour ma personne.
- Il est venu te voir, réponds-je à sa place.
Il soupire longuement et se tourne finalement vers moi. Je ne le laisse pas parler, m'approche de lui et dépose une photo sur le plan de travail auquel il est appuyé.
- C'est ta petite-fille. Rassure-toi, elle ne sait pas que je suis là. Elle m'a déjà demandé où était son grand-père mais je lui ai dit qu'il habitait loin. Je ne pouvais pas lui dire la vérité et avouer à une enfant de bientôt cinq ans qu'un membre de sa famille la déteste. En plus de sa mère, évidemment. Je ne suis pas fier de lui avoir menti pour préserver l'honneur d'un homme qui ne le mérite même pas, lancé-je d'emblée.
Ses yeux ne quittent pas les miens mais je vois Julie s'emparer de la photo.
- Elle est adorable, murmure-t-elle.
- Alors tu l'as toujours ? crache-t-il avec un sourire moqueur.
- Bien sûr. Je ne suis ni comme toi, ni comme sa mère ; je ne l'ai pas rejettée parce qu'elle est venue au monde, déclaré-je, déjà sur les nerfs. Comment peux-tu la mépriser à ce point ? Elle ne demande qu'à être aimée.
Il avale son expresso d'une traite et pose brusquement la tasse derrière lui.
- Je ne te pensais pas capable de t'occuper d'un bébé. Un gamin de quatorze ans, qui passe son temps à sortir et à s'amuser avec ses amis... Comment aurait-il pu s'en sortir ?
- Mieux qu'un homme de plus de quarante ans qui fuit face à une petite complication, visiblement, balancé-je avec amertume.
Je vois sa mâchoire se crisper de colère et je continue sur ma lancée.
- Je pense que tu te doutes que je n'y suis pas arrivé seul, mais je me suis battu pour elle. Maman m'a aidé, Max aussi. Je n'y serais jamais parvenu sans eux, c'est vrai et je l'admets.
- Pourquoi tu reviens alors, si tu te débrouilles si bien sans moi ?
- Pour elle, réponds-je sans hésiter. Si tu as quelqu'un à détester, c'est moi. C'est moi qui ai commis cette erreur que je ne regrette absolument pas, et que je ne considère même pas comme une erreur, d'ailleurs, contrairement à toi. Tu n'as pas à la blâmer à cause de moi. Elle a le droit de connaitre son grand-père, même si ce n'est pas ce que je désire. Elle ne cesse de te réclamer depuis quelques temps, et comme j'ai passé des années à te trouver des excuses auprès d'elle, je ne peux plus revenir en arrière. Elle espère toujours te rencontrer, un jour.
Elya m'a déjà réclamé la présence de mon père des dizaines de fois. Elle voulait même qu'on aille le voir cet été, chez lui, dans sa très lointaine maison. J'ai refusé. Quand je lui ai dit qu'on irait chez Max, elle a totalement oublié son idée.
- Néanmoins, ajouté-je en soupirant, je préfère que tu refuses si c'est pour être aussi froid avec elle, que tu l'es avec moi.
- Ça n'a servit à rien d'être venu, si tu sais ce qui t'attend, gronte-t-il avant de quitter la pièce.
Je le suis dans le salon, plus en colère encore que depuis mon arrivée.
- Pourquoi tu ne veux pas d'elle ? Qu'est-ce qu'elle a fait ? m'écrié-je d'un ton presque suppliant qui le stoppe dans sa lancée. T'as jamais été comme ça avec Max et moi ! Tu nous as jamais abandonné, jamais délaissé et tu nous aimais. Tu t'occupais de nous. Et je suis certain que si aujourd'hui, Emma tombait enceinte, tu accepterais leur bébé. Alors explique-moi pourquoi.
Je vois ses épaules se soulever, puis s'affaisser. Il se retourne ensuite d'un seul coup et me jette un regard empli de haine et de dédain.
- T'as tout gâché, Nathan. Avec ton égoïsme et ta stupidité, tu as absolument tout gâché ! Tu veux vraiment savoir ? Je comptais épouser ta mère, voilà la vérité ! J'avais acheté une bague et je comptais la demander en mariage. J'avais déjà prévu qu'elle dise oui et le voyage de noce était entièrement organisé. J'étais persuadé qu'elle allait dire oui, mais avec tes conneries, j'ai compris que...
- Elya n'est pas une de mes conneries ! le coupé-je en hurlant. Elle est ma fille ! Je t'interdis de l'insulter une fois de plus.
Il soupire, exaspéré d'avoir été interrompu.
- Je suis désolé, admets-je tout de même. Je suis sincèrement désolé d'avoir gâché tes plans avec Maman, mais Elya n'y est pour rien. Tu aurais pu faire quand même ta demande, Maman n'aurait pas refusé. Elle t'aimait.
- Evidemment qu'elle aurait refusé. Avoir un bébé à charge coute cher et les économies que j'avais fait étaient pour le mariage et le voyage de noces.
- Et tu dis que c'est moi l'égoïste dans cette histoire ? ricané-je. Qui est-ce qui agit comme un gamin à qui on vient de retirer son cadeau d'anniversaire ? Je n'y peux rien si la mère d'Elya ne m'a pas averti de sa grossesse. Je n'y peux rien si je me suis retrouvé devant le fait accompli. Pourquoi tu n'as pas été fier de moi d'assumer mes responsabilités comme un adulte ? Pourquoi tu ne m'as pas félicité, comme le faisait Maman ? Elya avait besoin d'un grand-père mais moi, j'avais besoin d'un père. J'espérais gagner ton respect, mais je n'ai eu que de la rancœur.
Il ne répond pas, se contentant de me fixer comme si j'étais un étranger. C'est tellement douloureux d'être méprisé de la sorte par celui qui m'a élevé, mais je ne baisse pas les yeux. C'est lui qui le fait et qui disparait dans le couloir.
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