Chapitre 33.

Nathan

Trois semaines ont passé depuis notre discussion sur le fait que Gaëlle pourrait devenir une maman et, étrangement, elle n'a plus du tout paniqué à cette idée. Dès le lendemain, Manon a rapidement été oubliée et nous avons repris notre train de vie quotidien, même si toutefois, il arrive qu'Elya ait une nouvelle question qui lui vienne en tête. De plus, j'ai l'impression que ma fille est devenue d'autant plus proche de ma petite-amie depuis qu'elle a brièvement rencontré sa génitrice, ce qui me ravit de plus en plus. J'adore leur complicité.

Depuis quelques temps, Gaëlle passe la plupart de ses journées à la maison ce qui est loin de me déplaire, mais le problème est que mes notes en prennent un coup. Je passe moins de temps sur mes devoirs et ça se ressent dans mes contrôles, aujourd'hui en est la preuve...

La prof nous rend nos dissertation et comme je m'y attendais, c'est une catastrophe. La philosophie n'est vraiment pas mon truc, mais j'ai tout de même de meilleures notes habituellement.

- Aïe... commente Gaëlle en voyant ma copie.

- Ouais, soupiré-je.

Je regarde sa copie et constate qu'elle a quand même le double de ma note ! Où est-ce qu'elle trouve le temps d'avoir douze sur vingt ? Je crois qu'elle va bientôt me donner des cours. Elle voulait m'aider sur cette dissertation mais j'ai refusé. Je n'aurais pas dû.

Je parcours rapidement les trois pages rédigées que j'ai sous les yeux et éclate de rire en remarquant ce qui décore la dernière page vierge de toute encre bleue. La prof se tourne vers moi et me sourit en comprenant la raison de mon hilarité, mais je me calme tout de même avant de me faire réprimander. Lorsque Gaëlle me demande ce qui m'arrive je lui montre le petit dessin fait par ma fille.

- C'est trop mignon, ricane-t-elle en voyant le gros cœur rouge où est écrit « PAPA » au centre.

- Je l'aurais bien disputée mais je ne peux même pas, soufflé-je désespérément.

Ma petite-amie m'offre un sourire attendrissant et je lis le commentaire que la prof m'a laissé.

« Votre fille a beaucoup de talent mais ce n'est pas ça qui vous fera gagner des points. Malheureusement... »

Je devine que c'est une plaisanterie de sa part puisqu'elle est au courant que je suis papa et qu'elle est plus que compréhensive à mon égard. Elle doit certainement être maman...

Lorsque j'étais en seconde, j'avais rendu une dissertation de français sans vérifier à l'intérieur si tout était normal et, bien entendu, ce n'était pas le cas. Elya avait gribouillé les deux pages intérieures de la feuille double avec mon surligneur orange. Et comme aujourd'hui, je ne m'en étais apperçu qu'au rendu de la copie... Heureusement pour moi que les profs ne m'en tiennent pas rigueur !

Même si je ne compte pas la gronder, je vais tout de même lui en toucher deux mots. Elle ne peut pas s'amuser à colorier sur mes cours ou mes contrôle. Ce n'est pas comme si elle n'avait pas de feuilles blanches à la maison pour dessiner.

- Alors, Papa ? T'as eu combien ? me demande Flory en sortant de cours.

Depuis que tout le monde est au courant pour ma fille, mes amis m'appellent ainsi. Je suis le papa, voilà tout. Ça ne me dérange pas, j'y suis habitué étant donné que c'est le mot que j'entends le plus à longueur de journée.

Nous parlons tous ensemble de nos notes respectives tout en rejoignant la cafétéria et je jette un œil à mon portable, plus par réflexe que par nécessité, mais je constate que j'ai un message sur ma boite vocale. Je m'éloigne du groupe pour écouter et je comprends que je dois rappeler la maitresse de ma fille. Mon cœur accélère d'un seul coup et je commence à trembler de partout. Il y a un problème.

La sonnerie retentit quatre fois avant que la voix cassée de la vieille femme ne résonne dans le combiné.

- Bonjour, c'est le papa d'Elya. Vous avez essayé de me joindre tout à l'heure, tout va bien ? demandé-je d'emblée, sans prendre le temps de respirer.

- Votre fille va bien, pas d'inquiétude à avoir de ce côté-là, dit-elle calmement.

- Qu'est-ce que ça veut dire ? m'exclamé-je, pas du tout rassuré.

Elle soupire de l'autre côté du téléphone avant de reprendre la parole.

- Pourriez-vous venir la chercher ce soir à l'école ? J'aimerais parler avec vous.

- De quoi ?

- Elya a frapper un de ses camarades ce matin, et c'est un comportement totalement inacceptable.

- Je vous demande pardon ? m'écrié-je ahuri.

Elya ? Lever la main sur un gamin ? Impossible ! C'est un ange avec tout le monde, même avec ceux qu'elle n'aime pas.

- Ma fille ne ferait pas ça, répliqué-je sûr de moi.

- C'est ce que disent tous les parents avant que ça n'arrive vraiment Monsieur, soupire la vieille comme si c'était lassant de le rappeler jour après jour. Mais les faits sont là ; Elya a frappé le petit Grégory, qui est désormais à l'hôpital puisqu'il a le nez cassé.

Pendant un instant je ne comprends pas le sens de ses mots, mais quand je réalise, c'est à peine si je parviens à prononcer une phrase.

- Le nez... Quoi ?

- Le nez cassé, répète-t-elle exaspérée. Nous avons été obligé d'appeler les pompiers.

C'est insensé ! Elle n'a pas assez de force pour casser un os, voyons. Elle a quatre ans et demi ! Et puis pourquoi elle l'aurait frappé, d'abord ? Si c'est vraiment elle qui l'a fait, elle devait avoir une bonne raison. Ce Grégory l'a certainement frappé en premier... Oh mon Dieu ! Est-ce qu'elle est blessée ?

- Elle n'a rien ?

- Comme je vous l'ai dit, votre fille se porte très bien. Elle a seulement un peu mal à la main, selon ses dires.

J'ouvre la bouche pour répliquer, mais ne trouve rien à redire, à part défendre Elya, encore, ce qui énervera la maitresse, j'en suis persuadé. Je lui annonce alors que je viendrai chercher ma fille à sa sortie. J'appelle ensuite ma mère et laisse un message sur son répondeur pour l'avertir de ne pas aller à la maternelle aujourd'hui.

Lorsque je rejoins mes amis, déjà installés à une table, je me rends compte que j'ai oublié de prendre à manger pour moi. Je vole alors quelques frites à Gaëlle et m'affale sur ma chaise.

- Qu'est-ce qui t'arrive ? me questionne ma petite-amie en poussant un peu son assiette vers moi pour que je me serve.

- Elya a pété le nez d'un gamin qui est maintenant à l'hôpital, annoncé-je simplement en reprenant une frite.

Le silence plane à la table et je soupire en fixant cette assiette.

- Quoi ? s'écrit Romain.

- C'est une blague ? renchérit sa petite-amie.

- Non, dis-je simplement.

- T'es en train de dire que ce petit truc de un mètre de haut a assez de force pour casser un nez ? questionne Sami.

- On dirait, soufflé-je en jetant un œil à mes amis, qui ont tous cette même tête d'ahuri.

Gaëlle pose sa main sur ma cuisse et la presse légèrement.

- Elle va bien ? me demande-t-elle inquiète.

- Elle a un peu mal à la main.

Ce sont des éclats de rire qui me répondent et mes amis ne prennent pas ça au sérieux contrairement à moi. Et Gaëlle.

- Est-ce que tu sais pourquoi elle a fait ça ? insiste-t-elle en fronçant les sourcils.

- Non. La maitresse ne m'a rien dit. Je le saurai tout à l'heure en allant la chercher à l'école. Tu pourras rentrer en bus ?

Elle dort à la maison ce soir alors je devais rentrer chez moi avec elle, mais comme je vais devoir écourter ma journée de cours, elle sera obligée de rentrer seule.

Elle m'assure qu'il n'y a pas de problème, alors je quitte la cafétéria après un baiser sur ses lèvres et son morceau de pain à la main. Je me dirige vers le bureau du CPE afin de lui expliquer ma situation et surtout de le prévenir que je devrai partir une heure et demi plus tôt.

Quand je me gare devant la maternelle, je me sens un peu anxieux. C'est la première fois que je suis convoqué à l'école de ma fille pour une bêtise qu'elle a commis. Heureusement d'ailleurs ! Elle a quatre ans. Pourquoi elle ne fait pas des bêtises comme les autres gamins ? Non elle, elle préfère directement aller au pire et envoyer un gamin à l'hôpital !

Je prends une inspiration et attends que la masse de mamans s'engouffre dans l'école pour arriver le dernier et pouvoir discuter tranquillement avec la vieille.

- Bonjour, annoncé-je à la maitresse en lui serrant la main.

Elle me salue et m'explique à nouveau ce qu'il s'est passé. Les enfants jouaient dans la cours, les enseignants les surveillaient, et l'un d'eux a vu ma fille donner un coup à ce petit garçon puis le pousser par terre et s'enfuir aux toilettes en courant et en pleurs.

Je ne ressens même pas de colère, j'ai mal au cœur d'imaginer ma fille repliée sur elle-même sur le carrelage des toilettes.

- Est-ce que vous savez pourquoi elle a fait ça ? Peut-être qu'il l'a tapé en premier ?

- Il ne l'a pas touchée.

- Alors il lui a dit quelque chose de méchant ? Elle ne l'aurait jamais frappé sans raison. Elle n'est pas...

- Écoutez Monsieur. Les quelques rares parents avec qui j'ai déjà eu cette même discussion auparavant m'ont tous dit la même chose. À savoir que leur enfant ne ferait jamais ça, qu'il n'est pas comme ça, et tout ce qui va avec. Elya refuse de me dire ce qui s'est passé, mais le fait est qu'elle l'a frappé et que c'est totalement inacceptable. Le petit avait le nez en sang et hurlait de douleur. Vous trouvez ça normal ?

Je me retiens. Je me retiens de toutes mes forces pour ne pas m'énerver et dire à cette vieille folle d'aller se faire foutre. Je connais ma fille ! Jamais elle n'aurait fait ça gratuitement.

- Il y a forcément une raison, marmonné-je. Elle est où ?

La vieille lève les yeux au ciel et s'efface pour me laisser entrer dans la salle de classe. Je repère immédiatement mon bébé, assise sur un banc, son doudou sur ses genoux, la tête baissée et les yeux rivés sur le bas de sa robe qu'elle tripote nerveusement de ses petits doigts. Elle me brise le cœur.

- Coucou mon ange, murmuré-je en m'accroupissant face à elle.

Elle lève ses petits yeux tout tristes et tout mouillés vers moi et je dois sincèrement y mettre toute ma bonne volonté pour ne pas la câliner et m'excuser alors que je n'ai rien fait.

- Coucou papa.

Elle baisse à nouveau les yeux et j'entre immédiatement dans le vif du sujet avant de craquer.

- Explique-moi ce qu'il s'est passé, ma puce.

C'est le silence qui me répond, alors je continue.

- Pourquoi tu as tapé ce petit garçon ? Est-ce qu'il t'a déjà tapé avant ?

Elya secoue la tête négativement.

- Il t'a dit des choses méchantes ?

Cette fois-ci, elle ne répond pas. C'est donc que j'ai visé juste, mais elle refuse de me répondre, se contentant de hausser les épaules à chacune de mes questions.

- Elya. Il faut que tu me dises ce qu'il s'est passé. Ce n'est pas bien ce que t'as fait. Le petit garçon a eu très mal et saignait beaucoup. Tu sais qu'il est à l'hôpital ?

Comme elle ne me regarde toujours pas, je lui fais relever la tête et lui repose la question.

- C'est grave ? demande-t-elle timidement.

- Très grave. Son nez est cassé, répété-je.

- Il a plus de nez ?

- Si, mais l'os ici, indiqué-je en touchant son nez, est cassé. Il a eu très mal.

- Tant pis, dit-elle en baissant à nouveau la tête.

- Elya ! Mais qu'est-ce qui te prend ?

Qui a échangé ma fille avec celle que j'ai en face de moi ? Elle qui est toujours si compréhensive et même compatissante, elle se fiche totalement de se gamin. Je me demande vraiment ce qu'il a bien pu lui dire de mal pour la rendre ainsi !

Comme je sais que je n'obtiendrai rien d'elle pour le moment - puisqu'elle peut se montrer aussi têtue que moi quand elle est en forme - je lui annonce que nous allons rentrer à la maison.

Elle se lève mais je lui attrape les mains et lui demande de me regarder.

- Tu sais ce qui se passe quand tu fais une bêtise ?

- Je vais être punie, dit-elle en reniflant.

- Oui, tu vas être punie. Sauf si tu me dis pourquoi tu as fait ça. Mais on verra ça à la maison, annoncé-je en me relevant et lui prenant la main.

Je salue la maitresse, lui souhaite une bonne journée - pour faire preuve de bonne foie - et nous marchons jusqu'à ma voiture.

- Papa...

- Tu veux me dire ce qu'il s'est passé ? lui demandé-je en m'arrêtant.

- Non mais...

- Alors je ne veux pas t'entendre, la coupé-je durement et reprenant la marche.

J'ai besoin de réfléchir en silence pour le moment.

- Mais Papa...

- J'ai dit non.

J'ouvre la voiture, l'attache dans son siège sans un mot de plus puis fais le tour du véhicule et démarre. Dans le rétroviseur, le visage de mon bébé manque de me faire craquer. Elle a les larmes aux yeux, les coins de ses lèvres bien trop bas provoquant un sourire à l'envers, comme elle le dit parfois et je déteste ça.

Mais comme le dit ma mère, être un papa, c'est aussi être sévère et juste. C'est ce que je dois faire aujourd'hui même si ça me brise le cœur. Je sais qu'elle a eu une bonne raison d'avoir commis cet acte, mais tant que je ne saurai rien, je ne peux rien faire pour elle.

A la maison, je lui serre son goûter, et m'installe face à elle, une tasse à café entre mes mains. Elle commence à manger, lentement et en silence, puis d'un seul coup, elle se met à pleurer bruyamment et à chaudes larmes, sanglotant et tremblant de toutes parts.

Je veux être sévère, mais pas cruel, alors je fais le tour de la table et m'accroupis face à elle. Je suis faible quand il s'agit des larmes de ma fille, mais je ne peux pas la laisser dans cet état. Elle se jette immédiatement dans mes bras et je la berce tendrement. Il lui faut de longues minutes pour se calmer mais elle n'y parvient pas entièrement.

- Calme toi mon bébé, murmuré-je doucement. Chut... Ça va aller.

- Pa... Pard...on... Pa... Pa... bafouille-t-elle en reniflant entre chaque syllabe.

Je la reprends dans mes bras quelques minutes le temps qu'elle parvienne de nouveau à respirer normalement. C'est long, mais je suis patient. Chaque seconde durant lesquelles je la garde contre moi me fait plus de mal encore que la précédente parce que j'ai l'impression que c'est à cause de moi qu'elle est dans cet état-là.

- Est-ce que... Tu m'aimes quand même... Un petit peu ? demande-t-elle contre mon cou d'une voix entrecoupée.

- Évidemment que je t'aime toujours mon ange.

Je passe mes mains sur son visage pour retirer les dernières larmes et attrape un mouchoir pour essuyer son nez qui coule.

- Je t'aimerai pour toute la vie, tu le sais, n'est-ce pas ?

- Même si j'ai fait une grosse bêtise et que Grégory il a plus de nez ?

- Tu peux faire deux mille bêtises, je t'aimerai toujours, lui souris-je avant d'embrasser sa joue.

- Et deux mille un bêtises ?

Je ricane doucement et lui confirme que je l'aimerai tout de même. Même quand elle sera plus grande et même si elle casse un autre nez.

- Moi aussi je t'aime Papa.

- Je sais ma puce. Mais maintenant, tu vas devoir me parler, tu ne crois pas ?

Elle secoue la tête négativement et baisse encore les yeux.

- Il a dit des choses méchantes ? Des choses qui t'ont fait du mal ?

Elle acquiesce lentement.

- C'est pour ça que tu étais en colère ?

- Oui. Il a fait très mal à mon cœur, murmure-t-elle.

Mon organe vital rate un battement mais je souris tout de même. J'avais raison. Évidemment que ma fille ne ferait pas de mal gratuitement.

- S'il a fait mal à ton cœur, tu as bien fait de lui casser le nez. Mais ne le dis pas à la maitresse, d'accord ?

Elya relève un tout petit peu la tête pour voir si je suis sérieux et se met à sourire faiblement en voyant le mien.

- T'es pas fâché alors ?

- Si, je suis fâché. À partir de maintenant, si un copain te dis quelque chose de méchant, tu vas voir la maitresse, et c'est lui qui sera puni. Pas toi. D'accord ?

- D'accord Papa.

Elle tend les bras pour venir se blottir contre moi mais je l'arrête.

- Pourquoi tu ne veux pas me dire ce que Grégory a dit ?

- Parce que ça va faire mal à ton cœur à toi aussi.

Et pourquoi c'est une enfant de quatre qui protège son père ? Je passe pour quoi moi, hein ?

- On en parlera plus tard, d'accord ? décrété-je. Quand tu seras prête à m'en parler, je t'écouterai. Et ne t'inquiète pas pour mon cœur, il ira bien, c'est promis.

Cette fois, je ne l'empêche pas de venir dans mes bras. Je ne peux plus la gronder simplement parce qu'elle s'est défendue, mais je veux savoir ce qu'il s'est passé.

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