Chapitre 31.
Nathan
- Manon ?
Un étrange rictus gêné déforme son visage. Ce doit être un semblant de sourire ou quelque chose du genre, je ne sais pas.
- Salut.
Je secoue vivement la tête pour me reprendre et fait un pas en avant pour tirer la porte derrière moi. L'inconnue face à moi se recule légèrement pour me laisser un peu de place et j'en profite pour constater qu'elle est différente. Elle a un peu vieilli depuis la dernière fois que je l'ai vue, ce qui est logique et j'ai l'impression qu'elle a perdu beaucoup de poids. Déjà qu'elle n'était pas bien grosse, elle parait maigre aujourd'hui. Elle a énormément changé.
- Qu'est-ce que tu fais ici ? lui demandé-je rudement tout en ayant une idée de sa réponse.
Elle se rembrunit immédiatement et baisse les yeux une seconde avant de les relever vers moi.
- Je... J'aimerais la voir.
Un ricanement sourd proche du grondement sort de ma bouche et je la regarde sans comprendre.
- C'est une blague ?
- Écoute, commence-t-elle hésitante, je te dois des excuses. Je suis consciente que je n'ai pas assuré et...
- Je t'arrête tout de suite, la coupé-je brutalement afin de ne pas entendre d'autres conneries de ce genre. Tu ne la verras pas.
Son visage se décompose immédiatement sous le ton abrupte que j'ai adopté. J'ai toujours dit que je protègerais ma fille envers et contre tout, ce qui inclut sa mère qui l'a reniée il y a plus de quatre ans.
- Nathan, je...
- Pourquoi tu reviens comme ça, du jour au lendemain ? Ça fait presque cinq ans que je m'occupe d'elle sans toi, pourquoi tu reviens après l'avoir abandonnée ? T'as des remords, c'est ça ? Tu t'es trouvée une conscience et t'as eu envie de faire une bonne action ?
Son regard se voile de tristesse et de regrets, je le perçois. Mais ça ne m'attendrit en rien lorsque je repense aux soirées que j'ai passé seul avec ma fille qui pleurait fortement en se demandant pourquoi sa mère ne l'aimait pas.
- Je n'avais pas le choix, tente de m'expliquer Manon. Je ne pouvais pas m'occuper d'elle. Je n'avais que dix-neuf ans et...
- Et moi, quatorze ! Je n'étais qu'un gamin, mais je ne l'ai pas abandonnée, Manon.
- Ma mère était malade ! s'exclame-t-elle d'une voix tremblante. Elle avait une tumeur lorsque je suis tombée enceinte. Je ne pouvais pas payer les besoins d'un bébé en plus des frais médicaux. C'était trop difficile.
J'éprouve un peu de compassion suite à ses aveux. Elle voulait aider sa mère malade et c'est tout à son honneur, mais je ne cautionne toujours pas cet abandon. Elle aurait certainement trouvé comment se débrouiller.
- J'avais quatorze ans, répété-je en tentant d'adopter un ton plus calme. Je ne travaillais pas, j'étais au collège, ma mère avait son petit travail de secrétaire et mon père s'est tiré en découvrant que je venais de devenir père et que je comptais garder cette enfant. Mon enfant. On n'avait pratiquement plus d'argent à cause de tout ce qu'on a dû acheter pour elle du jour au lendemain, mais on s'est battu, ma mère, mon frère et moi. On a obtenu des aides sociales et j'ai aidé ma mère en vendant la quasi-totalité de mes affaires. J'ai arrêté l'école pour économiser le paiement d'une baby-sitter et ma mère a fait beaucoup d'heures supplémentaires. Tu crois que ce n'était pas difficile pour nous ?
Oui, c'est un coup bas de lui asséner toutes ces vérités mais je veux qu'elle comprenne à quel point, moi je me suis battu. Je conçois que s'occuper de sa mère malade a dû être compliqué mais elle aurait pu m'en parler. M'expliquer sa situation. On se serait arrangé comme deux adultes raisonnables et responsables.
Mais ce n'est pas ce qu'elle a fait. Elle a préféré fuir.
Suite à mes aveux, je la regarde fixement, elle plisse fortement les paupières comme si elle était en train de retenir ses larmes et renifle bruyamment.
- Je suis sincèrement désolée, Nathan. J'étais complètement perdue. J'ai fait un déni de grossesse. J'ai appris que j'étais enceinte lorsque j'en étais à six mois alors j'ai paniqué. Je n'avais pas d'autres solutions que de te la laisser. Je savais qu'elle serait mieux avec quelqu'un pour s'occuper d'elle.
- Comment pouvais-tu être certaine que je m'en serais occupé ? Tu ne me connaissais même pas.
Pour toute réponse, elle hausse les épaules et fuis mon regard.
- J'aurais très bien pu l'abandonner moi aussi, continué-je. La placer dans un orphelinat. Elle serait allée dans une famille d'accueil et personne n'aurait su qui elle était. Mais je n'ai rien fait de tout ça. Je l'ai gardée et je l'ai élevée, seul avec l'aide de ma mère et de mon frère.
Oui, je remue le couteau dans la plaie, mais j'ai besoin qu'elle comprenne la raison de mon refus. Elle doit se rendre compte de ce qu'elle a fait.
Un long silence s'installe et aucun de nous deux ne parle pendant de longues minutes. C'est elle qui reprend la parole.
- Comment tu l'as appelée ?
Cette question me brise le cœur en mille morceaux.
- Tu te rends compte que tu n'as même pas pris le temps de lui donner un nom ?
- Je voulais te laisser ce privilège, me sourit-elle piteusement.
- C'est faux. Tu voulais te débarrasser de ton fardeau, lâché-je d'emblée.
- Non...
- Je ne veux plus rien entendre Manon, soupiré-je totalement las. Je ne veux pas de tes justifications, ni de tes excuses. Rentre chez toi et laisse nous tranquille s'il te plaît.
- Dis-moi au moins son nom, s'il te plaît ! C'est ma fille, laisse moi la voir. Je t'en pris.
- Tu lui as donné naissance, mais ce n'est pas ta fille, grondé-je durement. C'est la mienne. N'essaie jamais de me la prendre. Jamais.
Soudain, la porte derrière moi s'ouvre à la volée et une petite tête brune fait son apparition. Mon cœur s'arrête lorsque je vois ses joues maculées de larmes et sa colère emplissant ses yeux bleus.
- J'ai pas besoin de toi ! s'époumone-t-elle furieuse. T'es pas ma maman ! J'ai déjà une maman alors dégage de ma maison !
Le battant claque fortement, aussi soudainement qu'il s'est ouvert et je reste sans voix. Elle a entendu notre conversation. Elya nous a entendu parler d'elle et de l'abandon de sa mère. Elle a vu sa mère.
Je suis sous le choc d'avoir vu ma fille dans cet état mais les sanglots de Manon me ramènent à la réalité. Alors que je m'apprêtais à rentrer dans la maison, je me retourne vers elle. Elle est dos à moi, ses mains relevées sur son visage. Je soupire longuement et me ravise.
- Je ne lui ai jamais dit de choses méchantes à ton propos lorsqu'elle me posait des questions, dis-je doucement pour tenter de l'apaiser, en quelques sortes. C'est étrange, mais je te défendais face à elle. Je ne voulais pas qu'elle s'imagine que sa mère ne l'aimait pas et ne pensait pas à elle.
- Je l'aime, Nathan, s'écrit-elle en se tournant face à moi, me montrant son visage ravagé par la peine. J'ai jamais cessé de penser à elle.
- Mais tu n'es pas restée.
- Je ne pouvais pas.
- Si. Tu pouvais m'expliquer ton problème. Tu pouvais me la laisser tout en te souciant d'elle, en prenant de ses nouvelles, en passant la voir, en lui disant que tu l'aimais. Mais tu ne l'as pas fait. Elle m'a toujours demandé pourquoi elle n'avait jamais eu de maman et elle a toujours cru que c'était de sa faute. Tu crois que c'est facile d'expliquer des choses que je ne parvenais pas moi-même à comprendre à une enfant de trois ans ?
Par mes mots, elle comprend que je ne céderai pas. Mais je continue tout de même, pressé d'aller consoler Elya.
- Je te reproche de ne pas avoir essayé, Manon. Et à cause de ça, tu l'as déçue. Tu as déçu ta fille et tu lui as fais du mal ces quatre dernières années. Comprend alors qu'elle est tout pour moi. Je l'ai toujours protégée quitte à tout sacrifier autour de moi, et je vais continuer aujourd'hui. Elle ne veut pas te voir, je pense que tu l'as compris, alors tu ne la verras pas.
Elle s'essuie brusquement les joues et me fait face, vaincue.
- Est-ce qu'elle est heureuse ?
- Oui. Elle est toujours joyeuse et pleine de vie.
- Est-ce qu'un jour tu me laisseras la voir ? La connaître ?
- Si elle me le demande, oui. Mais seulement dans ce cas-là.
Elle comprend donc que ce ne sera pas pour maintenant, mais pour lui montrer ma bonne foie, je prends son numéro de téléphone. Peut-être que je ne m'en servirai jamais, peut-être que je l'utiliserai dans quelques mois, ou quelques années. Toujours est-il que je respecterai cette promesse. Si Elya veut voir sa mère, je ne l'en priverai pas. Mais je resterai avec elle, évidemment. Hors de question de la laisser seule avec cette femme.
Après avoir entré son numéro, je range mon téléphone et ouvre la porte de la maison pour m'y engouffrer. Je me tourne une dernière fois vers la génitrice de ma fille pour lui révéler une dernière chose :
- Elle s'appelle Elya.
J'ai seulement le temps de voir son sourire empli de reconnaissance avant de refermer la porte. Elle n'obtiendra rien de plus de ma fille pour le moment.
Gaëlle
- Bon, il fait quoi Papa ? grogne Elya en soupirant une énième fois.
Sa tête est appuyée sur ses avants-bras, qui reposent eux sur la table basse.
- Je ne sais pas, réponds-je. Il est certainement en train de discuter.
Ça fait maintenant presque dix minutes que la sonnette a retentit et que Nathan a disparu. J'ignore qui ça peut être mais c'est vrai que ça commence à être long.
- Je vais le chercher, décrète la fillette en se mettant sur ses deux pieds.
J'essaie de l'en dissuader mais ne parviens même pas à terminer ma phrase. Deux minutes plus tard, je n'entends toujours rien près de la porte alors je la rejoins. Je n'ai le temps de faire que quatre pas que sa voix retentit, furieuse.
- J'ai pas besoin de toi ! T'es pas ma maman ! J'ai déjà une maman alors dégage de ma maison !
J'arrive près d'elle lorsqu'elle claque la porte d'entrée avec force. Je suis surprise à la fois par le ton qu'elle a employé et par ses mots. « T'es pas ma maman ! » ? Est-ce possible que ce soit Manon avec mon petit ami ?
Je n'ai pas le temps de me poser plus de questions que la petite court dans les escaliers, en pleurs. Je prends donc le même chemin qu'elle et la retrouve dans sa chambre, assise sur le sol, blottit contre son énorme peluche d'un mètre de haut. Ses sanglots incessants me déchirent le cœur, je ne l'ai jamais vue dans cet état. Je m'approche d'elle pour m'asseoir au sol et elle ne perd pas une seconde de plus pour venir pleurer dans mes bras.
Sans que je ne m'en rende compte, je suis moi aussi en train de pleurer. Sa me fait tellement mal de la voir comme ça, elle qui est toujours joyeuse et souriante, ça me brise le cœur en mille morceaux.
- Je veux pas qu'elle m'emmène ! s'écrit-elle en sanglotant de plus belle. Je veux rester avec Papa et toi !
- Chut, ma puce. Personne ne t'emmènera, murmuré-je en la berçant doucement. Jamais ton papa ne laissera quelqu'un t'emmener loin de lui.
Elle se redresse, les joues rouges et maculées de larmes, le visage ravagé par la tristesse et la peur.
- Alors pourquoi elle est là ?
- Qui ça, ma puce ?
- Ma maman...
J'écarquille les yeux face à cette confirmation. C'était bel et bien Manon. Que fait-elle ici ? Nathan était-il au courant qu'elle viendrait ? Non, il m'en aurait parlé. Mais pourquoi réapparaît-elle soudainement après toutes ces années ?
- Je les ai entendu discuter, m'explique-t-elle, le corps secoué de spasmes incontrôlables. Ils parlaient de moi. Elle a dit « c'est ma fille, je veux la voir ». Mais moi je veux pas d'elle !
Je la reprends dans mes bras pour la bercer.
C'est étrange d'entendre ces mots venant d'elle. Je l'ai souvent entendu parler de sa génitrice mais je pensais au contraire, qu'elle souhaitait la voir et la connaître. Mais je me suis trompée. Elle ne veut pas d'elle. Pourquoi a-t-elle changé d'avis si vite ?
- Tu n'es pas obligée de la voir, Elya.
- Tu crois quelle va m'emmener dans sa maison ?
Je m'empare de son visage pour le prendre en coupe entre mes mains et essuie ses joues ainsi que ses yeux en lui souriant.
- Tu as envie d'aller dans sa maison ?
- Non. Je veux plus jamais la voir de toute la vie. Elle est pas venue me voir à chaque fois pour Noël et pour l'anniversaire alors moi je veux pas la voir pour toujours.
- Alors tu n'auras pas dans sa maison, dis-je en lui essuyant à nouveau les joues.
- Mais si elle vient quand même ? demande-t-elle apeurée.
- Tu crois que ton papa serait d'accord pour te laisser partir ?
Elle secoue la tête négativement.
- Tu as raison, continué-je. Il t'aime beaucoup trop, tu le sais.
- Mais Talia, à l'école, son papa et sa maman habitent pas dans la même maison. Et des fois elle va chez son papa, et des fois chez sa maman. Je veux pas faire ça, moi ! ajoute-t-elle en reniflant inlassablement.
C'est tellement difficile d'expliquer la vie à une enfant ! Surtout quand sa vie de famille est si compliquée...
- C'est différent pour toi, ma puce. Tu n'as jamais vu ta maman. Tu as toujours eu que ton papa, alors tu resteras avec ton papa.
Ses petits yeux bleus, semblables à ceux de son père me scrutent et tentent de mettre en ordre mes mots afin de les comprendre. Elle me sonde durant quelques secondes avant de reprendre d'une toute petite voix.
- Tu promets ?
Je peux lui faire cette promesse parce que je suis sûre de moi. Jamais Nathan ne la laissera partir avec cette femme. Jamais. Il préfèrerait perdre ses deux bras que de voir sa fille s'éloigner de lui.
- Je te le promets. Viens là, lui ordonné-je en lui ouvrant mes bras.
Elle s'y réfugie à nouveau et nous restons ainsi durant de longues minutes silencieuses, ponctuées par des reniflements réguliers.
- T'es une meilleure maman qu'elle de toute façon, annonce-t-elle au bout d'un moment.
Mon cœur s'arrête et je ne respire plus. Ai-je bien entendu ?
- J'ai pas besoin d'elle parce que toi, t'es là.
Oui, j'ai bien entendu ses premiers mots et je commence déjà à paniquer. Je me rappelle alors de ce qu'elle a hurlé à Manon tout à l'heure, en la voyant face à elle pour la première fois.
« J'ai déjà une maman. »
Elle me considère comme... sa maman ? C'est insensé ! Je ne peux pas devenir sa mère alors que je ne sors avec Nathan que depuis quelques mois !
Elya se redresse sur ses genoux, interrompant momentanément mes pensées embrouillées et entoure mon cou de ses deux petits bras pour nicher son visage dans mon cou.
- Je t'aime fort, Gaëlle.
Je ferme les yeux, laissant s'échapper quelques larmes d'émotions et la serre contre moi.
- Moi aussi, je t'aime très fort, ma puce.
Et c'est la pure vérité. Je me suis autant attachée à elle qu'à son père. L'un de va pas sans l'autre et c'est tout simplement adorable. Cette fillette est adorable et oui, je l'aime énormément.
Mais suis-je réellement prête à endosser le rôle de maman qu'elle vient pratiquement de m'attribuer ? Je ne sais pas.
Je ne pense pas être prête pour ça. Pas maintenant.
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