Chapitre 23.

Nathan

Elle m'a quitté. Gaëlle m'a quitté. Elle a avoué m'aimer. Elle est tombée amoureuse de moi, mais elle a préféré s'en aller. Pour Elya.

Elle a accepté ma fille pour entrer dans ma vie. Elle a aimé sa présence. Elle l'adore, je le sais. Et pour elle, elle accepte de se mettre de côté pour permettre à ma fille d'être heureuse. Pour ne plus lui faire de mal. C'est admirable - je le reconnais sans mal - et totalement adorable de sa part de faire ça, sauf que aujourd'hui, c'est moi qui souffre.

- Nathan, ça va ? Qu'est-ce qui t'arrive ?

Je tourne la tête en direction de la voix de Romain, et lui et Sami me fixent, inquiets et attendent ma réponse. Mon ami répète même sa question à deux reprises en me secouant légèrement avant que je ne parvienne à assimiler ses mots.

- Elle m'a quitté, murmuré-je.

- Quoi ? s'exclament-ils en chœur. Pourquoi ?

Je secoue la tête et me détourne d'eux sans leur avoir accordé un regard.

- On doit aller en cours, annoncé-je en entendant la sonnerie retentir.

Les gars m'appellent mais je marche en direction de la salle de cours comme un automate, où Gaëlle est déjà en train de patienter, installée à sa place. Flory est à côté d'elle, à la place que j'occupe habituellement, alors j'avance vers le fond de la salle pour occuper une chaise de libre. Le gars à côté de moi fait un commentaire sur mon air déprimé, mais je ne m'en préoccupe pas. C'est à peine si je l'entends, alors je n'ose même pas parler du cours. Je ne sais même pas dans quel cours nous sommes tellement je suis perdu et... vide. Je crois. Je ne sais même pas si j'ai mal, en fait.

La journée est interminable et l'heure de TP de chimie est insoutenable. Être près d'elle tout en étant si loin est perturbant. Je ne dis pas un mot, et elle non plus. En réalité, je ne parviens pas à digérer ce qu'elle a fait.

Je veux rentrer chez moi.

Je ne prononce plus un mot de la journée, ne mange rien le midi et n'écris pratiquement rien sur mes feuilles de cours. Je n'arrive même plus à réfléchir. Elle m'a assommé avec ses mots, tout simplement.

Je ne ramène bien évidemment pas Gaëlle ce soir. Lorsque je rentre à la maison, Elya, comme à son habitude, me parle de sa journée et ça me permet d'oublier un peu ma conversation de ce matin. Juste un peu, mais pas assez. Elle me fait sourire à plusieurs reprises et je me prends une claque en comprenant que Gaëlle avait raison. Ce week-end, ma fille n'était pas bien. Elle n'était pas dans son état normal et bien trop triste. Je le comprends ce soir, parce que ces deux derniers jours, je ne me suis pas occupé de ma fille comme je l'aurais fait d'ordinaire. La preuve est là : ma petite-amie est absente et ma fille me parle, me sourit et est heureuse. Ce n'était pas le cas ces deux derniers jours.

Gaëlle a eu raison de rompre. Elle a entièrement raison, même si ça fait mal. J'étais enfin parvenu à mettre le papa de côté pour laisser un peu de place à l'adolescent que j'aurais dû être si Manon m'avait ignoré, mais je comprends que ce n'est pas ainsi que ça fonctionne.

Ma fille me ramène immédiatement à la réalité :

- Papa, tu m'écoutes ?

- Oui. Pardon, marmonné-je. Je suis un peu fatigué ce soir.

- T'as fait un cauchemar cette nuit ? s'inquiète-t-elle.

- Non mon cœur. Viens, on va manger.

Je lui prends la main et nous allons dans la cuisine où ma mère termine de mettre la table. Vu son froncement de sourcils et son air soucieux, elle doit comprendre que quelque chose ne va pas. Mais comme ma fille est présente, elle retient ses questions, ce dont je suis ravi. Je repousserai l'instant où je devrai lui parler le plus longtemps possible.

- Tu as été punie aujourd'hui, à l'école ? demandé-je à ma bavarde de fille.

- Non ! s'exclame-t-elle fièrement. Mais je me suis beaucoup ennuyée.

- Pourquoi ?

Je connais déjà la réponse à sa question mais la laisse tout de même me la donner.

- C'était trop facile, bougonne-t-elle embêtée. Je suis pas un bébé, et on fait des exercices de bébé. Mathilda s'est trompée alors c'est un bébé.

- Ce n'est pas parce qu'elle n'a pas réussi que c'est un bébé, la grondé-je doucement. C'est méchant de dire ça.

- Mais je lui ai pas dit !

- Tant mieux.

Elle annonce quelques minutes plus tard, ne plus avoir faim mais je lui ordonne de terminer son assiette. Elle se justifie en m'avouant qu'elle a trop mangé pour le goûter mais ce n'est pas une raison suffisante. Elle continue donc de manger suite à mon ordre. Lentement, mais elle le fait. Et en boudant. Et en soupirant de temps à autre, ce qui commence à m'agacer.

- La prochaine fois, tu éviteras de trop manger à quatre heure, lui rappelé-je.

- Mais Papa...

- Mange ! m'exclamé-je un peu trop brutalement.

Contrariée, Elya gonfle les joues et baisse les yeux. Elle s'agite sur sa chaise puis décide de boire un peu d'eau. En reposant son verre après avoir bu une gorgée, elle le fait tomber et le renverse entièrement sur la table.

- Elya ! m'écrié-je en me redressant immédiatement.

- Pardon, j'ai pas fait exprès, s'excuse-t-elle en prenant un air contrit et sincèrement désolé.

Je souffle, exaspéré, et baisse les yeux sur mon pantalon désormais trempé puisque l'eau a coulé partout sur la table.

- Tu ne peux pas faire attention, non ? la grondé-je fortement. C'est pas compliqué de poser un verre, putain ! Tu arrêterais de faire l'idiote ça irait peut-être mieux !

- Nathan ! s'écrit ma mère, à la fois surprise et en colère par mes mots.

Je soupire, agacé, et attrape un chiffon pour commencer à nettoyer la table.

- Je suis désolée, murmure une petite voix tremblante face à moi.

- J'avais compris, marmonné-je.

J'entends ensuite la chaise racler le sol et des petits pas marteler le sol carrelé de la cuisine. Je lève la tête vers la porte au moment où la chevelure brune de ma fille disparait de mon champs de vision et je me rends compte de ce que je lui ai dit.

- Merde, grondé-je.

Je commence déjà à culpabiliser de m'être énervé de la sorte, et pour si peu. Je l'ai même traitée d'idiote ! Putain, mais quel con...

- Qu'est-ce qui te prend ? m'interroge ma mère complètement perdue. Ce n'est qu'un verre d'eau, pourquoi tu t'énerves autant ?

- La journée a été longue, me justifié-je piteusement en grimaçant.

- Ce n'est pas une raison pour passer ta colère sur elle et encore moins pour l'insulter !

J'ai beau être père, ça ne m'empêche pas de me faire sermonner par ma mère... Ce que je mérite entièrement.

- Je sais. Je vais la voir.

Je fais le tour de la table mais elle me retient en me mettant en garde sur la façon dont je dois lui parler. Je me dirige vers sa chambre, à l'étage, où elle est roulée en boule, dans son lit, entièrement cachée sous sa couette épaisse. Ça me brise le cœur de m'en être pris à elle parce que je suis en colère. Je m'installe au sol, m'asseyant en tailleur et ne touche pas à sa couverture. Je m'en veux tellement.

- Je suis désolé, mon ange, murmuré-je. Je n'aurais pas dû me mettre en colère contre toi. Tu n'as rien fait de mal.

Je l'entends renifler mais elle ne répond pas.

- Tu ne veux plus me parler ?

- Non.

- Pourtant, tu viens de le faire quand même, souris-je doucement.

- Non.

- Tu veux bien retirer ta cape de protection, s'il te plait ? Je ne vais pas me fâcher. Promis.

Elya reste immobile pendant quelques secondes, mais je vois le tissu bouger et sa tête émerge timidement. Ses yeux sont rouges et tout bouffis et je comprends aisément qu'elle m'en veut.

- J'ai pas fait exprès, Papa, gémit-elle en faisant ressortir sa lèvre inférieure, comme lorsqu'elle s'apprête à pleurer.

- Je sais, mon cœur. Je n'avais pas le droit de te crier dessus parce que tu as renversée un petit peu d'eau.

- T'es toujours en colère ?

- Non, lui souris-je désolé. Je ne suis pas en colère, je te le promet. Pas contre toi.

Contre moi et le monde entier, oui.

- Je suis vraiment désolé, mon bébé.

- Je peux avoir un câlin ? demande-t-elle hésitante.

- Bien sûr. Viens là, dis-je en ouvrant mes bras.

Elle me saute dessus et se blottit contre moi en entourant mon cou de ses petits bras. Elle serre si fort que je m'en veux d'autant plus. J'embrasse alors le sommet de sa tête en la berçant doucement.

- Tu m'en veux ? lui demandé-je sans pouvoir me retenir.

- Non.

- C'est la vérité ?

- Oui Papa.

Elle dépose un bisou sur ma joue puis me fixe sérieusement.

- Est-ce que je suis idiote ?

C'est moi le crétin, ici. Un gros con, même.

- Non, c'est papa l'idiot, dis-je en caressant ses cheveux. Je ne pensais pas ce que j'ai dit. Promis.

Elle me sourit sincèrement et je sais qu'elle me croit.

- Je t'aime, Papa.

- Moi aussi je t'aime, mon ange. Plus que tout au monde et toujours plus haut que les étoiles.

Cette nuit-là, j'ai dormi avec ma fille. Je ne voulais pas dormir seul.

Gaëlle

C'est beaucoup plus difficile que ce que j'imaginais. Nathan et moi ne nous parlons même plus, ne nous regardons à peine, ce qui provoque une ambiance très tendue voire même glaciale au sein de notre groupe d'amis. Je m'en veux parce que c'est de ma faute, mais c'était inévitable. Je devais le quitter. Pour le bien d'Elya, je devais le quitter.

- Sérieusement ? s'écrit Flory à mes côtés lorsque nous nous installons à une table de la cafétéria, sans les garçons qui ont choisi une table à quelques mètres de nous.

- Quoi ? quémande Alice.

- Gaëlle, m'interpelle-t-elle, vous allez vous ignorer encore combien de temps ? C'est lourd à la longue.

- On n'est plus ensemble, annoncé-je en soupirant bien qu'elles le sachent déjà.

- Oui, eh bien ce sont des conneries, proteste ma voisine. Tu ne veux toujours pas nous dire ce qui s'est passé ?

Je le voudrais, mais je ne le peux pas. Nathan peut en parler à ses amis, mais je ne peux pas en faire de même. Personne ne connait l'existence d'Elya donc personne ne saura ce qui s'est passé entre nous.

- On s'est disputé, marmonné-je simplement.

- C'est faux. Hier matin, tu étais dans ses bras et la seconde d'après, on t'a vue pleurer alors que tu étais en train de le quitter, énonce Flory, visiblement remontée.

- Il a trop de secrets et j'en ai assez, énoncé-je toujours en dissimulant la vérité. Et puis, ça ne vous regarde pas.

- Si, ça nous regarde, me contredit Alice. Depuis le début de l'année, on passe tout notre temps ensemble avec les garçons mais maintenant, on ne peut plus parce que vous tirez tous deux une tête de six pieds de longs.

Je sais tout cela, et j'en suis vraiment désolée, mais elles ne peuvent pas comprendre ce que je ressens.

- Ce ne vous concerne pas, voilà tout.

- Tu l'aimes toujours ? s'enquit Malia sans prendre en compte ma dernière phrase.

- Oui, réponds-je instinctivement. Mais il y a des choses que je ne me sens pas capable d'endurer, même par amour.

C'est justement par amour pour lui et pour sa fille que j'ai rompu, mais ça ne regarde que moi et moi seule.

- Tu te compliques trop la vie, soupire la blonde en secouant la tête d'un air désabusé.

Je hausse les épaules mais ne réponds plus. Je reste muette durant le déjeuner, ce qui relève du miracle pour moi, mais je ne me sens pas d'humeur à déblatérer des idioties ou même à rire.

Lorsque je rentre chez moi, seule, après les cours, ma mère est aussi inquiète que la veille. Elle a su ce week-end, quand je suis revenue en pleurs de chez Nathan, que quelque chose n'allait pas. Je lui ai raconté tout ce qui s'était passé et tout ce que j'avais ressenti, ainsi que ce que je comptais faire le lendemain.

Elle n'était pas d'accord avec ma décision, me répétant que nous devrions, Nathan et moi, parler avec sa fille afin de comprendre ce qui se tramait dans sa tête d'enfant de quatre ans. J'ai refusé parce que je ne veux pas imposer ma présence à cette fillette. Ces deux jours ont été bien trop douloureux pour elle.

Je refuse qu'elle se sente délaissée à cause de moi.

Je refuse qu'elle ressente ce que j'ai ressentis lorsque j'étais seule avec mon père.

Je refuse qu'elle se mette à détester son père et à se demander pourquoi il ne l'aime plus.

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