Chapitre 22.
Nathan
Je n'ai pas insisté auprès de ma fille le lendemain matin pour en savoir davantage sur son silence de la veille. Je vais lui laisser la journée et je tenterai ma chance ce soir. Ce matin, elle semble beaucoup mieux et me parle de son rêve, comme chaque fois qu'elle en fait. Nous prenons ensuite le petit-déjeuner en tête à tête et aux alentours de onze heure, je rejoins ma petite-amie pour la réveiller. Je sais qu'elle déteste ça, mais j'adore la voir si grognon. Ça me donne l'occasion de la taquiner.
Elya nous interrompt en entrant dans ma chambre, sans frapper, alors que nous sommes enlacés dans mon lit. Nous nous séparons immédiatement lorsqu'elle entre et c'est sans un sourire ou même un regard qu'elle m'annonce que ma mère a besoin de moi pour préparer le repas. Je disparais donc au rez-de-chaussée, laissant ma fille et ma petite-amie à l'étage.
Quand je remonte pour aller les chercher afin de passer à table, Elya joue joyeusement avec ses peluches et son humeur est bien loin de l'air maussade qu'elle arborait hier. J'en suis plus que ravi !
Du côté de Gaëlle, c'est différent. Je la trouve en train de ranger précipitamment ses affaires dans son sac ce qui me perturbe un peu.
- Tout va bien ? demandé-je tout de même.
Elle sursaute au son de ma voix mais ne se retourne pas.
- Oui, répond-elle en reniflant. Mais je dois rentrer chez moi.
- Pourquoi ? Est-ce que tu pleures ? la questionné-je en attrapant son bras.
Elle ne me dit rien et renifle à nouveau, confirmant ainsi mes pensées. Je la retourne face à moi et constate en effet que ses yeux sont rouges et qu'une larme coule sur sa joue. Le désarroi s'empare immédiatement de moi et je ne comprends pas ce qui lui arrive. Je la prends alors dans mes bras sans lui poser de question mais elle se dégage quelques secondes plus tard.
- Ça va aller, ne t'inquiète pas, me sourit-elle piteusement derrière ses yeux embrumés et son air dépité. C'est seulement que... Ma mère m'a appelé et elle veut que je rentre. Elle veut me dire quelque chose à propos de mon père et j'ai commencé à paniquer à tel point que j'en pleure déjà. Mais je suis sûre que ce n'est rien !
Elle essuie ses joues en riant nerveusement.
- Tu sais à quel point je prends tout trop à cœur quand il s'agit de mon père.
Je pose ma main sur sa joue et caresse tendrement sa pommette humide de mon pouce. Elle y appuie tendrement son visage contre ma paume puis vient se blottir contre moi. Je passe mes bras autour de ses épaules et embrasse le sommet de sa tête.
- Tu veux que je vienne avec toi ?
- Non, c'est gentil je te remercie. On se verra demain, au lycée.
Je suis déçu de son refus mais le respecte tout de même et lui fais relever la tête afin d'embrasser ses lèvres rendues douces par ses larmes.
- Appelle moi quand tu veux, d'accord ?
- Ok, merci, me sourit-elle. Je vais aller m'excuser auprès de ta mère. Je suis certaine qu'elle a préparé un bon repas.
Je l'embrasse à nouveau mais avec plus d'ardeur avant de la laisser sortir de ma chambre. Je prends son sac et la raccompagne à la porte, lui rappelant de m'appeler quand elle le voudra. J'ajoute même que si elle a besoin de moi, je serai chez elle le plus rapidement possible pour la consoler.
Ce n'est désormais plus Elya qui m'inquiète, mais Gaëlle. Elle ne répond pas à mes messages durant les trois prochaines heures, et encore moins à mes appels. Je suis à deux doigts d'attraper mes clés de voiture pour la rejoindre mais mon portable vibre sur le canapé.
Gaëlle : Excuse moi de ne pas te répondre mais ne t'inquiète pas, ça va aller. Je t'expliquerai tout demain.
J'appuie tout de suite sur l'icône pour l'appeler mais elle rejette mon appel, ce qui m'agace et m'inquiète davantage encore.
Gaëlle : Je vais aller dormir un peu. Je t'appellerai ce soir, désolée.
Cette réponse ne me rassure en rien et je me fais encore plus de soucis. Je prends donc une décision.
Moi : J'arrive.
Une dizaine de secondes plus tard, alors que j'appuie sur la poignée de la porte d'entrée, ma petite-amie m'appelle.
- Ne viens pas s'il te plait, me supplie-t-elle d'une toute petite voix qui m'indique qu'elle a encore pleuré. On se verra demain.
- Tu ne me veux pas auprès de toi ?
- Si. Bien sûr que si Nathan, mais j'ai besoin de me reposer et de parler encore un peu avec ma mère. On se parlera demain, je te le promet.
Je soupire et fais demi-tour jusqu'au canapé, résigné.
- Quel est le problème avec ton père ?
- Demain Nathan, souffle-t-elle lasse.
J'ai l'impression qu'elle a hâte que cette conversation s'arrête, alors je tente de la rassurer du mieux que je le peux en lui affirmant que quoique son père ait pu lui dire, elle ne doit pas s'en préoccuper. Mes mots ne semblent pas beaucoup la toucher puisqu'elle raccroche en me répétant de ne pas m'inquiéter. Ce qui ne marche guère.
Mais je me retiens de ne pas débarquer chez elle et lui laisse l'espace dont elle a besoin. Jusqu'au lendemain seulement.
Gaëlle
J'ai menti. Je me déteste avoir menti à Nathan mais je n'avais pas le choix. J'avais besoin de temps pour réfléchir à ce que j'allais faire et désormais, je suis sûre de moi. Le seul fait de repenser au visage déboussolé d'Elya me certifie que je prends la bonne décision.
Lorsqu'elle nous a interrompu , son père et moi dans les bras l'un de l'autre, j'ai tout de suite compris ce qu'elle ressentait depuis la veille. Elle était tout simplement jalouse de me voir avec son père et s'est sentie délaissée.
Mon intuition s'est confirmée lorsque je l'ai rejointe dans sa chambre après que Nathan soit allé voir sa mère. Je me suis installée à côté d'elle, au sol, alors qu'elle jouait avec ses poupées et je lui ai demandé si tout allait bien. A son père, elle répondait toujours que oui, mais face à moi seule, elle a haussé les épaules. J'ai alors voulu savoir ce qui la tourmentait, et elle m'a posé une question qui m'a brisé le cœur en un millier de petits morceaux.
- Est-ce que tu vas me voler mon papa ? m'a-t-elle questionnée, une immense tristesse émanant de ses beaux yeux bleus.
J'ai tenté par tous les moyens de retenir mes larmes face à la fillette mais pas ma confusion.
- Non ! Non Elya, bien sûr que non. Jamais je ne te volerai ton papa ! ai-je tenté de la rassurer tant bien que mal, sans en être moi-même pleinement persuadée.
- D'accord, a répondu la fillette avec nonchalance, retournant à ses poupées.
Je lui ai alors pris les mains pour la tourner face à moi et continuer d'argumenter. Je ne pouvais pas la laisser penser une seule seconde que son père allait s'en aller.
- Elya, écoute-moi, lui ai-je ordonné doucement. Jamais ton papa ne te laissera seule. Il t'aime de tout son cœur, tu le sais ? Ni moi, ni personne au monde ne t'enlèvera son amour pour toi, tu comprends ?
- Oui, a-t-elle acquiescé sans conviction.
J'ai compris alors qu'autre chose la perturbait. Quelque chose que je ne comprenais que trop bien pour l'avoir déjà vécu. Malheureusement.
- Est-ce que tu étais vraiment d'accord pour que je reste avec vous ce week-end ?
- Oui ! s'exclama-t-elle sincère. C'est la vérité ! T'es gentille et on s'amuse bien...
Un « mais » était vraisemblablement sous-entendu à la fin de sa phrase alors je l'ai complétée.
- Mais tu te sens seule quand je suis avec ton papa, ai-je compris aisément.
- Un petit peu, a-t-elle admit, légèrement honteuse d'après le léger rosissement de ses joues.
J'ai compris ce qu'elle ressentais à cet instant parce que c'est ce que j'éprouve toutes les fois où je suis témoin de la complicité entre Nathan et sa fille. Oui, je suis jalouse d'eux et de leur amour qu'ils se portent l'un l'autre. Je suis jalouse des « je t'aime » et des petits surnoms affectifs. J'aimerais que mon petit-ami me dise à quel point il tient à moi, mais c'est à sa fille qu'il le répète chaque jour. Pas à moi.
Et oui, je me sens terriblement seule dans ces moments-là, alors je comprends pourquoi Elya m'en a voulu, en quelques sortes. Elle souhaitait que je dorme dans leur maison, mais elle ne savait pas ce que cela impliquait. Elle s'en est rapidement rendue compte et ça lui a fait du mal. Je lui ai fait du mal involontairement.
Suite à ses aveux, j'ai continué de la rassurer comme je le pouvais, lui assurant que je lui laisserai son père, que je ne me mettrais plus jamais entre eux. Alors je suis sortie de sa chambre après qu'Elya m'ait annoncé qu'elle ne m'en voulait pas et qu'elle m'aimait beaucoup. Elle semblait de bien meilleure humeur mais pas moi. Mon moral est tombé à zéro lorsque j'ai atteint la chambre voisine et j'ai laissé mes larmes couler avec abondance jusqu'à l'arrivée de Nathan.
Quand je suis rentrée chez moi, dévastée et déboussolée, je me suis effondrée dans les bras de ma mère qui m'a consolée et bercée sans comprendre ce qui se passait. J'ai fini par lui expliquer laborieusement en ignorant les appels incessants de mon copain et j'ai réussi à repousser jusqu'au lendemain cette fameuse discussion avec lui.
Lorsqu'il me voit arriver au lycée, des cernes sous les yeux et une mine déconfite, il me serre immédiatement dans ses bras.
- Ça va ? murmure-t-il à mon oreille.
Je hausse les épaules en venant blottir mon visage contre son cou et respirer profondément son odeur que j'adore.
- Tu veux m'en parler ?
- Non, réponds-je immédiatement. Mais je n'ai pas le choix.
Je me recule et attrape ses mains pour l'emmener loin des autres afin de discuter en privé. Je ne vais pas par quatre chemins pour lui donner des explications. Plus je repousserai ce moment, plus ce sera douloureux.
- Je t'ai menti hier. Ma mère ne m'a pas demandé de rentrer. C'est moi qui ai voulu partir.
- Pourquoi ? s'exclame-t-il déjà perdu. J'ai fait quelque chose de mal ?
- Non, rien du tout, lui souris-je tendrement en portant ma main à sa joue pour caresser sa peau dépourvue de barbe.
Parce que « ça pique quand papa me fait un bisou ! », selon Elya.
- Pourquoi t'es-tu enfuie alors ? En pleurs ?
Parce que je me suis moi-même brisée le cœur.
Je ne réponds pas et décide de lui parler d'autre chose.
- Tu te souviens de ce que tu m'as dit le jour où tu m'as avoué l'existence de ta fille ? Tu m'as dit que si j'acceptais qu'on soit ensemble, tu ferais toujours passer Elya avant moi, et avant n'importe qui d'autre.
- Bien sûr que je m'en souviens, répond-il en fronçant les sourcils. C'est toujours le cas, mais je n'ai aucune raison de mettre ça en application aujourd'hui.
Elya ne lui a donc absolument rien dit. Si elle l'avait fait, il aurait aisément compris où je voulais en venir.
- C'est vrai. C'est pour ça que je vais le faire pour toi aujourd'hui.
Il écarquille les yeux, surpris, et ne comprend toujours pas ce que je suis en train de lui dire.
- Je te demande pardon ? Pourquoi tu ferais ça ?
- Elya m'a dit ce qui l'a perturbait ce week-end. Elle m'a répondu lorsque je lui ai demandé la raison de son silence.
- Elle refusait de me répondre à moi, dit-il pensif. Elle t'a dit quoi ?
Une larme roule sur ma joue et atterrit sur mes lèvres, ce qui inquiète beaucoup Nathan.
- Elle a voulu savoir si j'allais lui voler son père, murmuré-je le plus doucement possible.
Son angoisse déjà bien présente grimpe en flèche en une seconde. Je le vois dans ses beaux yeux.
- Non. Elle sait ! Elle sait que je l'aime ! s'insurge-t-il.
- Évidemment Nathan, lui souris-je. Ce n'est pas ça le problème. Tu avais raison quand tu disais qu'elle était encore trop jeune pour comprendre certaines choses. Elle voulait que je vienne ce week-end, mais elle ne savait pas ce que ça impliquerait. Elle ignorait que si je restais, ça signifierait que nous passerions des moments rien que tous les deux. Je comprends ce qu'elle ressent quand elle nous voit ensemble. Je comprends sa jalousie parce que c'est mon cas aussi quand je vous vois tous les deux.
Nathan secoue négativement la tête comme pour rejeter mes propos.
- A quoi tu joues, Gaëlle ? m'interroge-t-il en fronçant les sourcils.
Je lui souris tristement et d'autres larmes s'échappent de mes yeux. Je ne les retiens pas et les laisse couler librement.
- Qu'est-ce qui t'arrive ? se répète-t-il d'un air désabusé.
- Je fais ce que tu vas faire dans quelques temps. Je fais passer ta fille en premier.
Lorsqu'il comprend ce que je suis en train de faire, ses yeux s'écarquillent en grand et il secoue encore la tête de droite à gauche frénétiquement.
- Non. Je t'interdis de faire ça, Gaëlle.
Ça me touche énormément qu'il refuse cela. Je me rapproche de lui pour entourer son cou de mes bras et enfouir mon visage dans son cou. Ses bras restent ballants, le long de son corps, lorsque je lui murmure quelques mots à l'oreille :
- Elle est toute ta vie et je ne supporte pas l'idée de lui faire du mal. De m'immiscer entre vous. Je veux qu'elle soit heureuse, et ma présence la rend malheureuse.
Nathan me repousse subitement en posant ses mains sur mes hanches.
- Je lui parlerai ! Il y a forcément un mal-entendu, je...
- Non. Il n'y a aucun mal-entendu, le coupé-je en posant ma main sur sa joue. Tu l'as dit toi-même : tu ne veux que son bonheur. Et tu as parfaitement vu dans quel état d'esprit elle était ce week-end. Silencieuse, et distante. Ça ne lui arrive jamais, pas vrai ?
Il soutient mon regard quelques secondes puis baisse les yeux, vaincu. Il sait que j'ai raison. Je fais ça pour Elya et je sais qu'il en fera de même dans quelques jours, ou quelques semaines, lorsque ce sera trop difficile pour sa fille de supporter ma présence.
Je me hisse sur la pointe des pieds et dépose un léger baiser sur ses lèvres. Je croise ensuite son beau regard peiné et déçu pour prononcer encore quelques mots.
- Je t'aime, Nathan. Et j'adore Elya. C'est pour ça que je ne peux pas rester auprès de toi. On a essayé, ça n'a pas marché. Mais je ne regrette pas d'être tombée amoureuse de toi.
Suite à ces mots, je lui souris et lui tourne le dos pour m'éloigner de lui. Je l'entends prononcer mon prénom à deux reprises, mais seulement mon prénom. J'ai espéré entendre plus que cela, peut-être même une réponse à mes aveux, mais je savais que je n'obtiendrais rien. La seule personne qu'il aime et qu'il aimera toujours en dehors de sa mère, c'est sa fille.
C'est douloureux de constater qu'il ne se bat pas plus que ça pour me retenir, mais c'est comme ça. Je suis tombée amoureuse d'un homme qui est avant tout un papa admirable, et je l'aime d'autant plus pour ça. Même si ça me fait mal au cœur.
Je sais que la jalousie est présente en moi, mais jamais ça ne surpassera l'amour que je ressens pour lui. C'est pour cette raison que j'ai moi aussi, fait passer sa fille avant moi. Je l'ai fait passée elle, avant tout.
Pour lui.
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