Chapitre 2.
Nathan
- Alors, elle a dit quoi la vieille ? me questionne Romain, lorsque nous nous installons à une table à la cafétéria.
- Qu'Elya devrait passer des tests ou des examens psychologiques. Un truc du genre.
- Seulement parce qu'elle sait à peu près lire ? s'exclame-t-il étonné.
- Ouais ! soupiré-je. Selon elle, elle serait surdouée. Elle a quatre ans, c'est des conneries tout ça. Qu'elle la laisse grandir tranquillement sans lui prendre la tête.
Sami approuve d'un signe de la tête.
- J'avais oublié : elle vous invite à son anniversaire ce week-end.
- Cool ! s'exclament-ils en chœur. Elle veut quoi comme cadeau ? s'enquiert Romain.
- Vous. Tonton Max peut pas venir alors je veux Samsam et Roro, ajouté-je en imitant très mal sa voix.
- Ouais, on est des bouches-trous en fait, marmonne Sami.
Je sais qu'il plaisante ; les gars adorent ma fille et la réciproque est d'autant plus vraie.
- Il y aura des amis de son âge, au moins ? demande Romain en terminant son assiette.
Je n'ai jamais vu quelqu'un manger aussi rapidement ! Ce mec est un vrai ventre sur pattes.
- Deux copines et son amoureux, bougonné-je.
- En plus d'être intelligente, elle est précoce ! s'esclaffe le brun, la bouche pleine.
- Ferme la ! Elle me parle déjà de son mariage.
Cet été encore, c'était avec moi qu'elle voulait se marier et voilà que ce Timéo débarque et la cérémonie est déjà prévue pour l'été prochain ! Ouais, je suis jaloux, et alors ?
- On est invité aussi j'espère ? se moque Romain.
- Tout le monde est invité et je suis chargé de faire le prêtre.
Les deux explosent de rire à l'unisson et moi je déprime. Elle n'a que quatre ans et cette histoire de mariage me travaille déjà. Je sais que ce n'est rien de sérieux mais j'ai mal au cœur ; mon bébé grandit trop vite. Je n'ai que dix-huit ans, mais je prends déjà un coup de vieux chaque année. Ma mère dit que c'est normal, mais c'est vraiment trop bizarre comme sensation.
Et ce problème avec sa maitresse me prend la tête. Selon elle, Elya n'aurait pas sa place dans cette classe à cause de son intelligence. C'est sa seconde année de maternelle, elle a parfaitement sa place ici.
En rentrant chez moi le soir, je ne croise pas Gaëlle. Nous ne sommes pas ensemble dans le dernier cours de cette journée et elle n'est pas non plus à l'arrêt de bus alors je roule directement jusqu'à chez moi.
- Papa, c'est quoi après « vingt-neuf » ? me demande Elya quand nous sommes à table pour le diner.
- Trente, réponds-je avant de me tourner vers ma mère : Tu travailles jusqu'à quelle heure samedi ?
- Je devais finir à onze heure mais le patron m'a demandé de pousser jusqu'à quinze heure. Tu pourras te débrouiller tout seul ?
Elle travaille en tant que comptable dans une petite entreprise et afin de pouvoir s'occuper de sa petite-fille, elle a dû s'arranger avec le boss pour changer ses horaires. Elle va donc au bureau après avoir déposé Elya à l'école et termine juste à l'heure pour la récupérer le soir. Je suis donc obligé de la laisser à la cantine le midi, même si je n'aime pas ça. Je sais qu'elle n'a aucun problème d'intégration ou d'obéissance, mais ce n'est pas le problème. C'est que je n'apprécie pas particulièrement l'avoir loin de moi toute une journée. Je devrais pourtant y être habitué depuis le temps !
Très souvent, le samedi, ma mère fait des heures supplémentaires, comme ce week-end. C'est dommage qu'elle ne puisse pas être là pour l'anniversaire de la petite mais on ne va pas dire non à de l'argent en plus. Et puis, elle ne finit qu'à quinze heure alors elle sera avec nous pour le restant de la journée.
- Pas de problème. Sami et Romain seront là.
- Trop cool ! s'écrit Elya en sautillant sur sa chaise.
- C'est censé me rassurer ? s'exclame-t-elle faussement horrifié.
Elle n'a aucun soucis à se faire à propos de ces deux-là, et elle le sait. Ils font souvent les cons, mais savent prendre soin d'Elya. Ils combinent même les deux parfois ! Enseigner la meilleure façon de faire des conneries et les faire, c'est leur spécialité.
- Tu seras pas là samedi, Mamie ?
- Je viendrai après le travail, promis.
- Je t'attendrai pour ouvrir mes cadeaux, c'est pas grave, déclare-t-elle. Et après « trente-neuf », c'est quoi ?
- Quarante, réponds-je spontanément avant de me reprendre : Tu sais compter jusqu'à trente-neuf ?
- Non. Quarante-neuf maintenant. Et après « quarante-neuf » ?
J'écarquille les yeux, surpris.
- C'est quoi ? insiste-t-elle.
- La suite, c'est pour plus tard, d'accord ?
- Mais j'aime bien compter quand je m'ennuie.
- Eh bien tu compteras jusqu'à quarante-neuf pour le moment, lui répond ma mère. C'est déjà excellent pour le moment !
- Tu me le diras quand ?
- Bientôt, lui souris-je.
- D'accord, soupire-t-elle. Je peux aller jouer ? J'ai terminé mon yaourt.
Après mon autorisation, elle va dans sa chambre en trottinant. Je regarde ma mère qui semble aussi septique que moi.
- Ça fait beaucoup de savoir compter jusque là ? lui demandé-je.
- Un petit peu.
- Si elle continue d'apprendre et de retenir autant de choses, la vieille folle finira par avoir raison... marmonné-je.
Ma mère approuve d'un signe de la tête. Peut-être a-t-elle bel et bien une intelligence légèrement supérieure à celle des autres de son âge. Mais comme elle est encore petite, elle ne subira aucun tests ou examens psychologiques. Sa mémoire atteindra forcément une limite et si je commence à lui bourrer le crâne avec tout un tas de conneries, elle finira par faire une crise de nerfs à son cinquième anniversaire.
***
- On vient à quelle heure demain ? me questionne Romain à l'heure du déjeuner le lendemain.
- Vers dix ou onze heure, comme vous voulez.
- Vous faites quoi demain ? demande Alice, curieuse.
- Jeux vidéos à tester, répond spontanément Sami. Vous voulez venir ?
C'est un refus collectif de la part des quatre filles à notre table. Je m'y attendais mais il n'empêche que j'ai eu une sueur froide lorsqu'il a posé la question.
Ce n'est pas la première fois que nous déjeunons avec le groupe de Gaëlle et nous avons trainé ensemble cette semaine. Cette fille a beau m'avoir prévenu qu'elle était très bavarde, je n'en reviens toujours pas à quel point c'était vrai. Elle parle tout le temps, et la plupart du temps, c'est pour ne rien dire mais ça m'amuse beaucoup. J'ai l'habitude d'avoir une pipelette à côté de moi ; Elya passe son temps à me poser des centaines de questions et à me raconter ses journées dans les moindres détails. J'aime écouter ma fille quand elle me parle même si parfois, je ne comprends pas grand chose. Sa voix enjouée suffit à me faire sourire.
En sortant du dernier cours de la journée, j'attends Gaëlle à la sortie de la classe pour la conduire chez elle. Nous avons convenu que je la ramènerais le soir mais elle tient à aller en cours en bus pour une raison qui m'échappe.
Lorsque je me gare devant chez elle, une petite fille blonde d'une dizaine d'années et une femme ayant la quarantaine passent tout juste le portail. Je comprends immédiatement que c'est la famille de Gaëlle. Les deux sœurs se ressemblent beaucoup ; les mêmes longs cheveux blonds ondulés et les mêmes grands yeux gris sur un visage rond. Leur mère est tout le contraire puisqu'elle arbore de très courts cheveux bruns et un visage beaucoup plus carré que ceux de ses filles.
- Oh non... soupire Gaëlle.
- Quoi ?
Elle me montre d'un signe de la tête les deux personnes qui nous observent en riant. Lorsqu'elles disparaissent, mon amie me sourit.
- Un garçon qui me ramène en voiture sera un excellent sujet d'interrogatoire pour ces deux curieuses. Tu as vu comment elles jubilaient ? s'exclame-t-elle.
- C'est vrai, admets-je. Je te souhaite bon courage !
- Merci, rit-elle.
- Ta sœur te ressemble beaucoup, lancé-je.
- C'est ce qu'on me dit toujours. Ma mère affirme même qu'à son âge, j'étais exactement la même. Physiquement seulement. On a un caractère totalement différent et Maman n'arrête pas de me répéter de prendre exemple sur elle de temps en temps. Tu te rends compte ? C'est moi la grande sœur et c'est elle qui doit me servir d'exemple.
- Parce que tu parles trop ? m'esclaffé-je.
Elle fait la moue en comprenant qu'elle vient, encore une fois, de me raconter sa vie.
- Désolée.
- Ne t'inquiète pas, vraiment. Ca ne me dérange pas. J'ai l'habitude.
- Ah bon ?
Merde... C'est Elya qui m'a donné cette habitude ! Je dis la première chose qui me vient.
- Ma mère. Elle parle tout le temps. Je t'assure que ça ne me dérange pas. Et ne t'excuse pas à chaque fois, ce n'est rien.
- D'accord, tant mieux, rit-elle.
Le rideau de la fenêtre près de la porte bouge et une tête blonde apparait avant de disparaitre aussitôt.
- Je vais rentrer ! décrète aussitôt Gaëlle en riant. Bon week-end et merci de m'avoir déposée.
- Je t'en prie. Bon week-end à toi aussi.
Elle sort de la voiture et me fait un signe de la main. Je la regarde entrer dans la maison et démarre en imaginant sa mère et sœur dans l'entrée, en train de l'assaillir de questions. Je ris tout seul comme un idiot en conduisant.
En arrivant à la maison, je me fais gronder par ma fille parce que je suis en retard de dix minutes.
- J'ai ramené une copine chez elle et on a discuté un petit peu. J'ai le droit, non ? m'exclamé-je faussement offusqué.
- C'est ton amoureuse ?
- Non, c'est juste une copine, ris-je.
- D'accord !
Puis elle retourne en courant dans sa chambre au moment où ma mère entre dans le salon.
- Juste une copine ? reprend-elle.
- Oui Maman.
Elle hausse un sourcil, septique.
- C'est une amie, répété-je en séparant chaque mot.
- Je ne me moque pas, tu as le droit d'avoir une petite-amie, m'explique-t-elle en me suivant dans la cuisine.
- Non, je ne peux pas.
- A cause d'Elya ?
- Évidemment. J'ai Elya, je n'ai besoin de personne d'autre.
Je commence à mettre la table pendant que ma mère me fixe attentivement. On a déjà eu cette discussion plusieurs fois et elle sait ce que j'en pense.
- Les seuls moments où tu t'autorises à sortir, c'est quand ton frère veut la garder pendant les vacances. Tu le sais que ça ne me dérange pas de m'occuper d'elle, alors si tu veux sortir voir des amis et...
- Et j'ai des responsabilités, la coupé-je.
- Donc à cause de ces responsabilités, tu n'auras ni amis, ni petite-amie ?
- J'ai des amis.
Sami et Romain. Les autres ne sont que des potes, mais ça me suffit pour le moment. Je n'ai pas besoin d'avoir des dizaines d'amis, ces deux-là me suffisent amplement.
- Et cette fille ?
- C'est une fille de ma classe, c'est tout ! m'exclamé-je en lâchant les couverts sur la table. Je passe toujours devant chez elle pour rentrer alors je la dépose.
- Tu l'as connais depuis longtemps ?
En soupirant, je lui explique qu'elle est nouvelle et que ça ne fait qu'une semaine que nous nous parlons. J'ajoute qu'il n'y a rien entre Gaëlle et moi et que ça restera comme ça.
- Et tu feras ton ermite combien de temps encore ?
- Premièrement, je ne suis pas un ermite. Deuxièmement, Elya n'a que quatre ans alors je n'ai pas l'intention de lui imposer des petites-amies.
- Je n'ai jamais dit que tu devais avoir des dizaines de conquêtes, Nathan. Mais ne repousse pas les gens éternellement. Si cette fille te plait vraiment, ne...
- Elle ne me plait pas ! la coupé-je excédé
Elle est jolie, c'est indéniable. Ses longs cheveux blonds encadrent parfaitement son visage rond et de nombreuses tâches de rousseur parsèment ses joues pleines. Elle n'est pas très grande et sa peau légèrement bronzée fait ressortir la clarté de ses yeux gris. De plus, elle me fait beaucoup rire lorsqu'elle se met à parler sans s'arrêter et qu'elle se rend compte qu'elle est en train de m'expliquer ce qu'elle a mangé au petit-déjeuner ou son rêve de la nuit passée.
Ce n'est pas pour autant que j'envisage quoique ce soit avec elle. Une femme - ou plutôt : un petit bout de femme - suffit pour combler ma vie pour le moment. Elya est intelligente, mais elle ne comprendrait pas une telle situation.
- D'accord ! s'exclame ma mère en levant les deux mains en signe de reddition. Comme tu veux. Mais si un jour tu veux me parler de quoique ce soit, tu sais que je suis là.
Je lui souris en soupirant de soulagement et la prends dans mes bras.
- Je sais que tu seras toujours là pour moi et pour elle. Je t'aime, Maman.
- Moi aussi je t'aime, Nathan.
J'embrasse sa joue et quitte la pièce pour aller chercher ma fille. Dans l'encadrement de la porte, je l'espionne en train de jouer avec ses poupées, insouciante, et quand je la regarde comme je le fais aujourd'hui, je ne peux pas regretter ce que j'imaginais être une connerie il y a quatre ans et neuf mois.
Coucher pour la première fois avec une fille, qui est aussi une inconnue, est censé être une erreur monumentale. Néanmoins, quand je vois ma fille, je me dis que c'est la plus belle erreur que j'ai commise. Jamais je ne pourrai regretter d'avoir joué au petit con prétentieux à cette soirée du nouvel an. Sans ça, je n'aurais jamais pu tenir ma fille dans mes bras un jour.
Est-ce trop égoïste de ma part d'être heureux que sa mère l'ai abandonnée ? Certainement. Manon aurait pu me cacher la naissance d'Elya et je n'aurais jamais été au courant. Même si ça me fait mal que ma fille n'ait pas de mère, je me dis que c'est toujours mieux pour elle d'avoir un père et une grand-mère, plutôt qu'une maternelle inconsciente et lâche.
Je n'ai pas la prétention de dire que je suis un père parfait, mais j'ai toujours fait de mon mieux. Et ça a l'air de fonctionner, puisque c'est ce que je fais depuis mes quatorze ans.
- Papa, ça va ? me demande mon petit ange.
Elle ressemble beaucoup à sa mère physiquement, si ce n'est qu'elle a les yeux de la même couleur que les miens. Je ferai tout pour que cette ressemblance ne soit que physique.
- Oui ça va, ma puce.
Je me baisse pour la porter.
- Tu sais que je t'aime, pas vrai ? lui demandé-je, comme pour me rassurer.
- Plus haut que les étoiles ? me demande-t-elle en souriant.
- Toujours plus haut que les étoiles.
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