Chapitre 5 - Roxane
«Aïe, mes yeux! Jessica, ferme les rideaux! je gémis en me réveillant, la lumière crue transperçant mes iris clairs.
- Lève toi paresseuse, m'apostropha Jessica, on est mercredi et il y a école!
- Mercredi! Déjà! je sursautai et fus alerte en une fraction de seconde.
- Oui, on est mercredi, répliqua-t-elle patiemment, il faut que tu fasses ton sac pour l'école et que tu rentres chez toi...
- Mais j'étais bien ici... Et puis je ne dois manquer à personne là-bas de toute façon...
- Roxane Marchand! D'abord, tu sais très bien que mes parents rentrent de voyage demain, et ensuite, je pense que Annabelle doit avoir envie de te voir , non? Tu sais bien qu'elle t'adore, ta sœur... Non? elle hésita.
- Elle m'aurait appelée, elle a mon numéro... » je soupirai tristement.
À ça, elle ne trouva rien à redire. Elle fit glisser mon sac sur le sol jusqu'à ce qu'il heurte le pied du lit en attendant que je remettes mes habits, les bras croisés et un sourcil haussé.
Je me dépêchai d'enfiler mon jean, incapable de retenir quelques larmes qui s'écrasèrent sur la moquette beige. Je m'étais sentie bien cette semaine, entre les batailles de nourriture et les confidences nocturnes. Je me repris rapidement. Même si la vie n'était pas toujours facile, j'avais ma philosophie: être forte c'était rester debout, tenir bon jusqu'à ce que quelque chose de meilleur arrive.
J'essuyai une larme de ma joue et adressai un petit sourire encourageant à Jessica, qui me regardait avec compassion. Sa vie à elle aussi était loin d'être parfaite, avec ses parents absents la plupart du temps et son frère qui préférait sa pension à sa famille, donc elle me comprenait complètement.
Je ne croyais plus que ce ne soit possible d'avoir une vie parfaite, et elle non plus. Nous avions appris depuis longtemps que chacun devait apprendre à surmonter les obstacles qui lui sont confrontés...
«Bon, on y va? je lui lançai d'un ton joueur lorsque j'eus fait mon sac.
- C'est ce que je te demande depuis 1h, mais tu ne voulais pas te bouger les fesses!» ria-t-elle.
Nous fîmes la course jusqu'à l'arrêt de bus, s'arrêtant hors d'haleine mais pile à l'heure.
Pendant le cours de maths, je me décidai enfin. J'avais contemplé cela pendant quelques jours déjà, mais je ne pouvais rien faire tant que Jessica me surveillait de près.
Diphékos allait se faire envahir, c'était évident. Je l'entendais, en murmures étouffés dans la rue, je le devinais, par des regards lourds de sous-entendus échangés dans les bureaux, et surtout, je le sentais, par le silence oppressant qui avait recouvert la ville après ce fameux attentat.
Il fallait que je fasse quelque chose. Avec mes yeux bleus, je vivais mieux que quiconque ce que les Diphékiens allaient vivre une fois colonisés, et je ne souhaitais cela à personne. Agissant de leur volonté propre, mes doigts trouvèrent la longue cicatrice qui zébrait mon dos.
Non! Ne pas penser au long couteau de cuisine, ne pas penser à l'air dément qui possédait son visage, ne pas penser aux paroles profanées par ma mère alors qu'elle me menaçait... et à la douleur, doublée d'abandon, quand la lame affûtée avait percé la chair tendre de mon dos... ne pas penser à ce 7e anniversaire où j'avais compris qu'on ne pouvait faire confiance à soi-même... ne pas y penser... à tout prix...
Je me forçai à respirer doucement, et à retirer ma main de mon dos, en m'efforçant de ne pas non plus regarder mes épaules où étaient gravées les traces de tous mes autres anniversaires, en lignes rageuses d'un rose vif, douloureux. Ces lignes là étaient moins profondes, et moins évidentes pour ce qu'elles étaient.
Ce flash-back soudain et brutal me convainquit encore plus. Je commencerais mes opérations le soir même. Incapable de me fournir des armes, je m'y prendrais de façon non-violente, en peignant les arrêts de bus avec des scènes de guerre et des messages de protestation, un arrêt à la fois. Il était obligatoire de prendre le bus ou de marcher pour tout déplacement, donc j'étais sûre que mes messages seraient vus. Cette décision prise, je détournai mon attention vers le cours de maths.
Une fois les cours finis, je montai les escaliers le plus vite que je pus sans faire de bruit, pour éviter de croiser ma famille. Je récupérai du dessous de mon lit ma mallette à peinture et ressortis de la maison silencieusement. La pression qu'exerçait le poids de la mallette sur mon bras me rassurait. Cette mallette, je me l'étais achetée toute seule, après avoir collectionné les petits boulots pendant des années. Avec elle je me sentais capable de changer le monde.
J'arrivai devant ma première cible, et m'assurai que personne ne me regardait avant de m'attaquer à l'illustration, chaque trait de peinture vif me délivrant de ma frustration intérieure, mieux qu'aucun punching-bag.
Je me relevai 1h plus tard pour admirer mon travail. Un patchwork de touches de couleurs entremêlées formaient une scène vive, dominée par du rouge, et du bleu.
Sur le mur, étalé en jaune criard, une phrase, qui j'espérais ferait réagir les Fluxeliens de Laeluma.
En attendant, je devais rentrer avant que la nuit ne tombe et qu'il ne soit devenu trop dangereux pour moi de rester dehors. J'ajustai ma casquette d'un mouvement assuré, rangeai mon matériel dans ma mallette et marchai d'un bon pas jusqu'à la maison.
Je me glissai discrètement par la porte d'entrée, m'assurant que son grincement ne trahisse pas ma présence, et me faufilai furtivement dans les escaliers, puis dans ma chambre, où je cachai ma mallette sous le lit. Si ma mère la trouvait, j'étais certaine de ne jamais la récupérer. Elle exigeait de moi une performance académique proche de la perfection et considérait l'art comme une activité de clochard.
Encore 1 an, je me répétai intérieurement. Encore 1 an et j'aurais mon DOG, un an et je pourrais sortir d'ici, et faire ailleurs mes études de journalisme, mon but ultime. Dénoncer les travers de la société, le racisme, la violence, et enfin y mettre un terme.
«Roxane? T'es rentrée? m'interpella la douce voix d'Annabelle, assortie de trois petits coups hésitants sur ma porte.
Je me relevai rapidement et raclai ma gorge sèche avant de lui répondre, nerveuse, car je ne l'avais pas vue en 3 ans, ou plus.
- Entre, Annabelle...»
Elle poussa timidement la lourde porte, vint devant moi et prit mon visage dans ses mains, des larmes non contenues débordant de ses grands yeux verts.
Elle était encore plus belle que dans mon souvenir, et ses yeux détenaient toute la tendresse du monde. Nous avions les mêmes cheveux, qui encadraient son visage ovale en longues mèches inégalement blondies par le soleil, faisant ressortir le vert profond mêlé de marron sable de ses yeux. Elle avait la peau très claire, et de longs cils qui touchaient ses joues lorsqu'elle baissait les yeux. Ses joues et son petit nez retroussé étaient parsemés de taches de rousseur dorées. Elle balaya ma frange de mes yeux d'une main tremblante, et hoqueta, avant de me prendre dans ses bras dans une étreinte féroce.
Je me laissai aller dans la chaleur rassurante de ses bras, posant ma tête sur son épaule menue tandis qu'elle sanglotait incontrôlablement, s'agrippant à moi comme si elle avait peur que je ne disparaisse.
«Roxane, si tu savais combien tu m'as manqué, murmura-t-elle, s'écartant de moi pour mieux me voir, ses mains toujours autour de ma taille. Je m'inquiétais pour toi, ni moi ni Émile ne savions où tu étais, et maman a failli m'arracher les yeux quand j'ai posé la question... elle me montra une griffure enflée au coin de son œil que je n'avais pas remarquée.
- J'étais chez Jessica, mais tu as mon numéro, non? je rétorquai, un peu trop sèchement sans doute car elle me lâcha brusquement comme si je l'avais brûlée.
- Je ne pouvais pas, elle chuchota, un air de douleur peint sur ses traits délicats. Maman... elle me surveillait H24, et je sais que le sujet est sensible... sinon toi ça va? Elle a enfin arrêté? Ou pas? Je m'en veux tellement d'avoir dû partir, et de ne plus pouvoir te protéger...
- Oui oui, t'inquiète, je lui mentis, essayant de ne pas y penser.
- Roxane, elle soupira, son regard s'attardant sur les cicatrices de mes épaules et de mes bras, tu n'as pas besoin de me le dire, je le vois... je le vois...»
Elle prit sa tête dans ses mains et essuya ses joues baignées de larmes avant d'inspirer profondément. Elle me prit par la main et nous descendîmes manger, ensemble.
(....)
NDA: Et re-bonjour! Voici un chapitre très intense, comme promis, et super long (désolée). On a pulvérisé les 1000 mots habituels, ce chapitre en fait 1441!
J'espère que ce chapitre n'a déçu personne...
Laissez moi des commentaires pour me dire ce que vous en pensez, s'il vous plaît... (sinon je m'ennuie)
Merci à Libelluleluciole pour ses commentaires encourageants, je crois que c'est ça qui me motive à écrire plus vite.
À la prochaine ❤️
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