Ella

     Je te regarde, perdue dans ton pull trop grand, comme pour te cacher du monde. Ella. Je savoure ton nom, fais rouler lentement les -l, et résonner les voyelles. Je l'adore ton nom, il m'évoque un oiseau déployant ses ailes et s'envolant. Un nouveau voyage à chaque fois que je le prononce. Tu m'attends sur notre banc, celui surmonté par les branches du vieux chêne, comme un abri. Celui de la première fois. Ton visage délicat est illuminé par un rayon de soleil inespéré en ce matin de novembre. Mon cœur accélère, je ne t'ai pas encore saluée que déjà, tu as embelli ma journée. Je m'approche discrètement, l'herbe mouillée dessine des traces sombres sur mes chaussures. Je sors mon instantané et prend un cliché. Ella, Ella, tu es magnifique, penchée sur ton bloc à dessin ! Cet instant volé ira rejoindre les autres, sur le mur au dessus de mon lit, envahissant peu à peu tout l'espace. Un mur dont chaque brique est un souvenir. Immortalisé là il y a des rires entre amis, des portraits de nous deux mais, surtout, il y a toi. Ici Ella regardant l'objectif et souriant à pleines dents, là Ella concentrée sur un exercice de mathématiques particulièrement difficile, là encore une Ella figée qui rêve en fixant la lune... Ella... mon amour...

     Je suis enfin à ton niveau. Sur ton bloc, par dessus ton épaule, je découvre un portrait de moi. Tu es tellement occupée à insuffler de la vie à mes traits que tu ne sens pas ma présence. Je retiens mon souffle pour ne pas te déranger. Je pourrais rester des heures à t'observer dessiner. Finalement, je dépose un baiser dans ton cou. Tu n'es même pas surprise, tu as tout de suite compris que c'était moi, tu devines toujours. Tu ne me salues pas, tu n'es pas une bavarde mon cœur. Non, tu tends un peu le cou, comme un chat qui se gonfle sous une caresse, ta joue effleure la mienne, pas besoin de paroles.

     Il s'écoule plusieurs minutes avant que tu sois satisfaite de ton oeuvre. Je ne bouge pas, j'attends. Quand tu relèves enfin la tête pour me regarder, tes yeux brillent d'un "je t'aime" silencieux. Il n'y a rien d'autre à dire...

     Je m'assieds à tes cotés, coule ma main dans la tienne. Je me penche, nos lèvres se frôlent, doucement. Je sais, je sais, tu n'aimes pas te laisser aller en public, mais mon cœur, il n'y a personne ici.  Personne pour te faire les gros yeux, te juger ou se moquer. Enfin tu sais ce que j'en pense, tu n'as pas à avoir honte d'être amoureuse...

     Après encore quelques instants nous nous levons. Nous allons chez toi, tu dois me présenter à tes parents, enfin. Calme toi mon Ella, tout va bien se passer ! Je serre ta main un peu plus fort, je veux te rassurer. Nous déambulons dans les rues, sans nous presser, nous avons le temps. La ville bruisse autour de nous, vivante. Ne t'inquiète pas, je ne te lâcherai pas, je ne veux pas te perdre, dans la foule comme dans la vie. Oui, mon cœur, certains passants nous fixent un instant, mais, ne fais pas attention. Pense plutôt à l'air frais sur nos visages, au bonheur de marcher ensemble, main dans la main. Ou, non, sert toi de notre amour comme protection. Notre amour solide comme armure. Notre amour éclatant comme bannière. Notre amour. Sois-en fière, ne baisse pas les yeux et souris. Aime et vis.

     Au détour d'une rue, nous nous arrêtons. Il n'y a personnes autour de nous ici, je peux te prendre dans mes bras, le temps que ta respiration apeurée ralentisse. Doucement. Ella, Ella... Je suis là, tout va bien. Je vais t'aider à l'apprivoiser cette peur !

     Et tandis  que je te tiens, petit oiseau, au creux de mes bras, mon Ella, je nous aperçoit dans une vitrine, enlacées, amoureuses. Libres.

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