7.

NOTE : Ce chapitre contient plus de violence que les précédents. Les lecteurs jeunes et/ou sensibles sont avertis et peuvent s'ils le souhaitent arrêter leur lecture.

Eena se leva sans un mot et quitta la passerelle par l'autre côté, elle ne devait pas savoir où le passage la menait mais s'y aventura tout de même. Eoghan la suivit le plus discrètement possible. À mi-chemin, il jeta un coup d'œil par-dessus son épaule pour s'assurer que Tobin fermait la marche. Ce dernier n'avait pas bougé, toujours agenouillé sur la passerelle, dans l'obscurité, il observait le groupe remonter les escaliers en divisions organisées.

- Il va se faire repérer cet abruti, pesta Eena qui s'était arrêtée.

Eoghan acquiesça, désespéré. Le jeune garçon prit une longue inspiration pour se donner du courage avant de revenir sur ses pas. À quelques mètres de Tobin, il se baissa et termina à quatre pattes, c'était la méthode la plus sûre pour ne pas faire trop de bruit.

À hauteur, il étendit son bras et remua Tobin de son mieux. Il n'y eut aucune réaction de la part de son ami. Pensant d'abord que quelque chose retenait son attention, Eoghan suivit le regard de Tobin, mais celui-ci se posait dans le vide, parmi la vingtaine de terroristes qui attendaient leur tour pour monter.

- Merde, se chuchota-t-il, on a cassé Tobin. Allez mec, on peut pas rester ici.

Il attrapa son avant-bras et s'efforça de le tirer, ne serait-ce que pour le faire réagir. Il n'y avait rien à faire, Tobin était dans une sorte de transe, tétanisé par la peur, voire même une émotion encore plus forte.

- Eoghan ! l'appela la gymnaste à voix basse. On dégage ! Laisse-le !

Les yeux du benjamin s'écarquillèrent, choqué des mots de leur amie.

- T'es tarée, je vais pas laisser Tobin ici. Et s'il se fait prendre ?

- Il mentira, il manipulera les gens, il se débrouillera, Tobin est intelligent, il s'en sortira.

Le regard d'Eoghan alterna entre les deux possibilités qui s'offraient à lui : rejoindre Eena et assurer sa propre sécurité, ou rester ici protéger son ami.

Une allemande cria. Dans le bruit ambiant et la panique intérieure, le garçon ne comprit pas. Il eut juste le temps de voir un doigt pointer vers leur direction. Puis plusieurs, puis même une ou deux paires d'armes. Dans son dos, Eena l'appelait de plus en plus fort. Dans un effort émotionnel, il se résolut à abandonner Tobin, se leva et courut jusqu'à l'autre bout de la passerelle. « Ne tirez pas, c'est un participant ! » cria un homme, un italien ou un portugais, il n'avait pas eu le temps d'analyser la langue, il l'avait juste comprise.

Plusieurs portes ponctuaient le mur adjacent à la passerelle, Eena ouvrit la deuxième à la volée, fit rentrer Eoghan rapidement avant de la claquer. Pour la discrétion, ils allaient devoir repasser. Ils montèrent un escalier, traversèrent un dédale de couloirs, se retrouvèrent miraculeusement à l'extérieur. Un regard pour le bâtiment qui accueillait le réfectoire, une lumière agressive en émanait. Les cinq cents autres participants ne se doutaient de rien.

- Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? interrogea la gymnaste.

- Tu vas au réfectoire, tu expliques la situation aux éducateurs. Ils donneront les instructions. Ramène Tegan et rejoins moi ici dans quatre minutes.

- Et toi ?

- Fais ce que je te dis ! se contenta-t-il de lui crier pendant qu'il partait déjà en courant.

Eena hocha la tête et fila aussi vite.

Eoghan s'arrêta pour la regarder s'éloigner, il voulait être sûr de ne pas être suivi. Une fois assuré que la gymnaste allait bien respecter les indications qu'il lui avait données, il fit demi-tour pour atteindre le bloc noir, une idée derrière la tête. Zigzaguant dans le complexe, évitant d'entrer dans les halos de lumière, il aborda enfin le bloc où il s'était rendu le matin même. En pleine nuit, il ressemblait à un trou noir, un vortex qui menaçait de l'aspirer à tout moment.

Eoghan assura ses arrières et entra. L'homme à l'accueil n'était pas à son poste. Un fracas se fit entendre à l'étage, puis un cri. L'échine du jeune garçon se dressa, il n'était pas préparé à ce genre d'événement, on ne l'avait jamais préparé. Il avait passé son enfance à essayer de comprendre le gérondif dans sept langues différentes pas à gérer des menaces ennemies.

Il leva la tête vers l'escalier en spirale qui menait jusqu'à la mezzanine, aperçut des pieds. Dans un réflexe rapide, Eoghan se jeta à terre et se traîna derrière le comptoir d'accueil, haletant. L'individu descendit les escaliers, le jeune garçon priait de tout son être pour qu'il s'agisse de la directrice. La personne se racla la gorge, à ce simple son, il devina être en présence d'un homme. Il compta mentalement jusqu'à dix pour se calmer. Les portes du bloc claquèrent. Eoghan ouvrit les yeux.

La vision qui s'offrit à lui le fit hurler de terreur. Il plaqua sa main devant sa bouche et se mordit l'intérieur de la joue, si l'homme à l'extérieur l'avait entendu, il était fichu. À quatre pattes, il s'approcha du cadavre qui gisait juste en face de lui, mettant les mains dans une flaque de sang au passage. Le réceptionniste tchèque, abattu d'une balle dans la tête. Eoghan n'avait jamais été face à la mort, et l'être de cette façon était beaucoup trop brutale pour un enfant de treize ans.

Eoghan déglutit, comme s'il espérait avaler la boule au creux de sa gorge dans un même temps. Il prit sur lui même pour détourner les yeux du mort. Après une longue inspiration, il sortit de sa cachette, au bord des larmes. En se relevant, il baissa les yeux sur ses mains, rouges du sang d'un autre. Il les essuya sur son pantalon pour enlever le superflu avant de monter les escaliers, les jambes tremblantes. Eoghan dut se tenir à la rambarde, s'arrêta à mi-chemin pour reprendre son souffle, avant de continuer, déterminé.

Le bureau avait été saccagé. Ce fut en marchant sur une feuille volante tombée au sol et en laissant une empreinte de chaussure sanglante que le benjamin se rendit compte qu'il était sali entièrement. Un gémissement attira son attention, il accourut. Derrière son bureau, cachée par une bibliothèque qui s'était effondrée dans ce qui semblait avoir été un combat, Bo Quian Ge n'était pas morte.

Eoghan grimpa sur la bibliothèque et la rejoignit. Il s'agenouilla, elle avait une balle dans la cuisse et perdait beaucoup trop de sang. Le jeune garçon fit de son mieux pour garder son calme, le tremblotement dans sa voix le trahissait. Il plaça ses mains sur l'hémorragie et fit pression pour stopper au mieux le saignement.

- Vous pouvez tenir quelques minutes ? demanda-t-il en chinois.

Dans ce genre de situations, c'était à la fois réconfortant et rassurant de s'exprimer dans sa langue maternelle. Eoghan le savait.

La femme acquiesça pour la forme cependant lui n'était pas sûr. Ses mains avaient disparu sous un nouveau flot rouge et Bo Quian Ge était trop pâle.

- Écoutez, dit-il pour l'empêcher de s'évanouir, je vais aller chercher des participants, parmi eux, il y en a qui ont fait des études de médecine. Mais avant, j'ai besoin que vous me disiez où est Timothy, c'est vous qui l'avez vu pour la dernière fois. J'ai besoin de lui, il est le seul qui pourrait pirater le système et...

- Je suis là, Eoghan.

Comme une apparition miraculeuse, Timothy était en face de lui. Le benjamin souffla, il n'aurait pas pu continuer à gérer la situation seul.

- Timothy, il faut que tu...

- Je sais ce que j'ai à faire, t'inquiète mec.

Le génie de l'informatique enjamba les feuilles et déchets sur le sol, grimpa sur le bureau et retomba de l'autre côté. Eoghan se décala sur le côté pour permettre à son ami de prendre le relais le temps qu'il aille chercher quelqu'un. Mais Timothy ne semblait pas le voir de la même manière. D'un geste très rapide, il sortit une arme à feu qu'il avait dû voler à un terroriste de sa poche arrière et tira sur Bo Quian Ge sans trembler. Elle mourut sur le coup. Eoghan sursauta et se recula précipitamment, terrorisé.

- какого чёрта TIMOTHY, QU'EST CE QUE TU FOUS ?

- Dépêche-toi, Eena et Tegan t'attendent déjà.

Le garçon ne bougea pas, dévisageant la personne qu'il avait pensée être son ami.

Timothy s'avança et tendit la main qui ne tenait pas l'arme chargée.

- Allez mec, je te jure que je t'expliquerai pourquoi j'ai fait ça, fais moi confiance.

- Est-ce que tu es du côté de ces gars ? Du côté des terroristes ?

Il fronça les sourcils, retenant même un rire, comme si c'était la chose la plus stupide qu'on lui ai dit de la journée, voire de sa vie.

- Quoi ? Non ! Ces mecs sont des enflures. Je ne mens pas. S'il te plaît, tu pourras me reposer la question en présence de Tobin si tu veux.

L'adolescent secoua sa main pour encourager Eoghan à la prendre. Ce dernier ne lui faisait toujours pas confiance mais sa raison le poussa à la saisir. Il valait mieux être du côté de la personne qui possédait l'arme.

Eoghan emprunta les escaliers puis sortit du bloc machinalement et couvert de sang de personnes différentes. Peut-être y avait-il même un peu du sien ? Tegan et Eena les attendaient cachés dans l'ombre du bloc noir. Les rues du complexe grouillaient de participants qui criaient, paniquaient, d'autres se battaient, ayant sûrement attendu ce moment de gloire toute leur vie. Eoghan ne les entendait pas. Il comprit soudain pourquoi Tobin n'avait pas bougé. Ce monde était trop difficile pour agir. La passivité était une solution bien plus tranquille.

Timothy tendit l'arme à Tegan qui aussitôt s'exerça. Peut-être tua-t-il un des terroristes, Eoghan savait juste qu'il avait tiré. Tegan était très doué, la balle atterissait toujours dans un endroit mortel. Le jeune garçon avait déjà assisté à un de ses entraînements de tirs. Le terme tireur d'élite prenait tout son sens, il était un tireur d'ELIT.

Eoghan reprit ses esprits un court instant, il était sur un lit, on lui avait donné un nouveau tee-shirt et Tabatha était en train d'essuyer le sang sur son visage. Il lui sourit et replongea dans son mutisme.

Tobin avait bougé. En vérité, il s'était levé quelques secondes après qu'Eoghan et Eena s'étaient enfuits. Il avait voulu les suivre mais n'avait pas eu le temps de distinguer par quelle porte ils étaient passés. Il avait donc pris la troisième, dans un grand calme. Les terroristes n'avaient même pas essayé de le poursuivre, ils avaient continué leur sortie en divisions. La troisième porte débouchait sur un local, large de deux mètres sur deux avec un aspirateur électronique et des serpillières autonomes. Comme il n'avait pas envie de faire demi-tour et qu'il n'avait pas les idées très claires, il souleva la grille d'aération, monta sur un aspirateur et se hissa à l'intérieur du conduit.

Tobin rampa sur une dizaine de mètres, puis quand il sentit que le couloir était assez large, il se redressa en position assise. Il ne sut jamais combien de temps il resta dans cette position, tout était si calme dans cet endroit, il manqua de s'assoupir.

À l'instant où Morphée était sur le point de l'emporter, un coup contre les parois d'aluminium du conduit le fit sursauter. Il se cogna contre le plafond

- Aïe ! se plaignit-il.

- Eileen ? répondit quelqu'un. Eileen c'est toi ?

- Est-ce que j'ai vraiment la voix de quelqu'un qui s'appelle Eileen ?

- Tobin !

Dans l'obscurité, le jeune homme ne voyait rien. Cependant, il sentait une présence se rapprocher calmement. Dans sa mémoire encore somnolente, il essaya de raccorder la voix à un visage. Il s'agissait sûrement d'Io. Elle continua d'avancer à tâtons jusqu'au moment où elle heurta le corps de l'adolescent. Elle s'arrêta alors et il la sentit s'asseoir à ses côtés.

- Qu'est-ce que tu fais ici ? L'interrogea-t-il.

- Je cherche Eileen.

Il fronça les sourcils, intrigué. Puis il se rappela qu'elle ne pouvait pas le voir, et donc qu'elle ne pouvait remarquer son expression perplexe, il traduisit ses pensées :

- Pourquoi tu cherches Eileen dans un conduit d'aération ?

- Tu es la preuve qu'on peut trouver des personnes dans un conduit d'aération, non ?

- Plus un pour toi.

Il se tut. Pendant plusieurs minutes, il n'entendit que le bruit de leur deux respirations alternées. Il avait oublié à quel point les conversations avec Io étaient silencieuses. Sans le contrôler, il se rappela qu'il lui avait promis qu'il reviendrait la voir après les exercices de la journée. C'était une semaine auparavant, il ne l'avait jamais fait. Tobin se sentait idiot. Finalement, il brisa la glace :

- Comment c'est dehors ?

Elle marqua un temps avant de répondre.

- La folie, finit-elle par souffler. C'est la folie. Les brésiliens et les autrichiens ont commencé à donner leurs propres ordres pour ramener le calme. Les italiens ont gueulé parce qu'ils ne voulaient pas être dirigés. Finalement, les brésiliens ont eu gain de cause, ils ont regroupé tout le monde dans les dortoirs, fermé à double-tour et placé toutes les personnes de tous les groupes 2 aux fenêtres ou en patrouilles dans les rues.

- Pourquoi le groupe 2 ?

- Le groupe 2 ce sont ceux qui possèdent des dons physiques ou du moins des dons qui en font des bons guerriers.

Il acquiesça pour lui-même, puisqu'elle ne pouvait le voir. Il se dit qu'au moins, le programme payait, ils étaient cinq cents des personnes les plus intelligentes au monde et cela se faisait ressentir. Pas sûr que d'autres auraient eu une meilleure organisation en si peu de temps... En vérité, il ne savait pas, peut-être que si.

Une pensée nettement moins rassurante lui traversa l'esprit.

- Il y a des morts ?

- Pas du côté des participants. J'ai pas l'impression que la Contre-ELIT veuille nous atteindre. Ils n'ont jamais tiré dans notre direction.

C'était très probable. Tobin avait du mal à se remémorer les événements des dernières vingt minutes mais il n'avait été victime d'aucune marque d'agression. La Contre-ELIT l'avait même ignoré.

- Qu'est-ce qu'ils font là alors ?

Io ne répondit pas directement à sa question. Il attendit une trentaine de secondes qu'elle continue la conversation.

- Les directeurs, pour tuer le programme, déclara-t-elle simplement après un silence étrange.

- Hein ?

- Tu m'as demandé s'il y avait des morts. Oui, chez les directeurs. Trois, l'australien, le portugais et l'indien. Après tu m'as demandé pourquoi ils faisaient ça, pour tuer le programme. Enfin, j'imagine.

- On est l'avenir, répéta Tobin en se rappelant les mots d'un des discours entendu le matin-même. Pourquoi vouloir tuer l'avenir ?

Une nouvelle fois, Io le laissa à ses méditations, préférant ne pas s'aventurer sur le sujet.

Elle posa sa main sur le genoux de Tobin.

- On devrait sortir d'ici. Au moins retourner avec les autres participants.

- D'accord.

Il n'était pas sûr que ce soit une bonne idée, il avait passé presque une demi-heure dans le plus grand des calmes et s'apprêtait à rejoindre le chaos. Mais c'était la seule chose à faire, il n'allait pas pouvoir rester dans son conduit indéfiniment.

Il suivit Io à l'oreille, elle était beaucoup plus rapide que lui, Tobin supposa qu'elle s'était même arrêtée une ou deux fois pour l'attendre. Ils trouvèrent enfin la fin du conduit, Io poussa la grille d'aération qu'elle avait due replacer après son entrée, celle-ci tomba dans un fracas métallique. Une fois libéré, Tobin mit un temps à s'habituer à la lumière ambiante. Ils se trouvaient toujours dans le bâtiment d'accueil.

Io poussa une porte coupe-feu, ils arrivèrent dehors. La température basse saisit Tobin, il essaya d'ignorer le froid. Les deux participants allaient entamer leur chemin vers les dortoirs situés juste en face d'eux quand ils surprirent une conversation. Par réflexe, ils se plantèrent tous les deux contre le mur, cachés dans l'obscurité. Deux terroristes passèrent devant eux sans les remarquer.

- Il nous reste qui ? demanda l'un avec un fort accent britannique.

- Probablement la plus grosse enflure de toutes, lui répondit son compagnon, James Sifrey. Je te jure que celui là je lui fais sa fête dès que je...

Soudain, il s'écroula. Tobin écarquilla les yeux, hésitant entre profiter de cette diversion pour courir et rester immobile pour comprendre ce qu'il s'était passé. Io ne bougea pas et prit la décision à sa place.

L'autre homme se retourna, saisit son arme et cria à l'intention des dortoirs.

- BANDE DE PETITS CONS !

Il tira. Le coup ne fit aucun bruit, ou juste une très légère détonation, les fusils ne faisaient pas de bruits comme dans les vieux films que Tobin devait regarder pour ses exercices. Mais l'adolescent était sûr que le terroriste avait tiré, à la fenêtre du dortoir, une silhouette s'effaça, sûrement tombée au sol.

Pour la première fois depuis le début de l'invasion, un participant avait été touché.

Io sortit de l'ombre et s'élança vers l'homme en question. Tobin voulut crier pour l'en empêcher mais le son resta bloqué dans sa gorge. La jeune femme prit le membre de la Contre-ELIT par surprise, d'un coup de pied, elle fit voler l'arme qui rebondit sur le sol. Lorsque l'homme voulut répliquer, elle démontra une souplesse étonnante, se baissa rapidement pour passer entre les jambes de l'ennemi. Elle se releva et lui asséna un nouvel heurt du pied dans le dos. Le terroriste tomba à la renverse, mangeant le béton au passage. Il n'avait même pas eu le temps de comprendre ce qu'il lui était arrivé. Tobin non plus.

Encore perplexe, il rejoignit sa camarade essoufflée.

- Où tu as appris à faire ça ? interrogea-t-il à la fois impressionné et effrayé.

Note à lui-même : ne plus jamais vexer Io.

- Pour la faire courte, j'ai eu une sœur qui voulait devenir la plus grande guerrière que le monde ait connu. J'étais son coach, il y a quelques trucs que j'ai pas oubliés. Viens, si quelqu'un a été touché, ça doit être la folie là-haut.

La voix d'Io s'était brisée quand elle avait mentionné sa sœur, Tobin l'avait entendue, il ne posa donc pas plus de questions.

Ils traversèrent les quelques mètres qui les séparaient de l'entrée du dortoir. En les voyant, les participants qui montaient la garde leur ouvrirent rapidement. En entrant, Tobin remarqua que son amie était restée dehors.

- Eileen est toujours quelque part dehors, expliqua-t-il avant qu'il ne la questionne, s'ils commencent à tirer sur les participants, elle est pas en sécurité.

Sans attendre de réponse, elle fit demi-tour. Tobin la regarda s'éloigner avant de monter les escaliers qui menaient aux différents niveaux du dortoir. Une part de lui se sentait coupable d'avoir laissé partir Io sans même lui proposer son aide, mais une autre lui assurait qu'elle pouvait se défendre, contrairement à lui.

Plus les jours parmi les participants défilaient, plus Tobin se sentait comme un poids. Ce n'était pas le sentiment le plus agréable.

Arrivé en haut des escaliers, il eut du mal à trouver des visages familiers parmi le flot d'étrangers. Après avoir jeté un rapide coup d'oeil dans toutes les chambres pour ne trouver que des petits groupes enfermés, certains dans la peur, d'autres enjoués à cause de l'adrénaline, il décida de monter au deuxième étage. Il tomba nez à nez avec Eena. Sa petite amie le dévisagea une paire de secondes, puis d'un mouvement vif, le gifla.

- Tu es un idiot, cracha-t-elle.

Tobin se massa le côté droit du visage, ankylosé. Eena déglutit, elle tremblait et si étonnant que cela pouvait paraître venant d'elle, ses yeux brillaient de larmes qu'elle s'efforçait de ravaler.

- Eoghan est revenu en sang, il ne veut pas parler, mais Timothy dit qu'il a manqué de se faire tirer dessus. ET TOI TU ÉTAIS OÙ ?

Il ne répondit pas.

- Si j'avais su, je serais allée avec lui, mais je ne pouvais pas, pourquoi ? Parce qu'on était que deux ! Pourquoi ? PARCE QUE TU ES UN LÂCHE ! Tu es le plus âgé, c'est ta responsabilité de t'occuper des plus jeunes. Eoghan est beaucoup plus fragile qu'il le laisse paraître. Que tu flippes, je comprends, j'étais pas fière non plus, mais ne le montre pas, sois un meneur.

Eena allait tourner les talons, mais Tobin l'interpella, la main toujours sur sa joue.

- Pourquoi c'est moi qui doit être le meneur ?

- Parce que tu le peux.

Il n'était pas d'accord. Il n'avait rien d'un meneur. Les gens ne pouvaient pas le fréquenter et attendre de lui qu'il prenne des décisions pour eux et les protège. Ce n'était pas juste, il ne pouvait pas le faire, il ne savait pas le faire.

Eena avait disparu. Tobin était perdu. Autour de lui, un mouvement général se créait vers la chambre au bout du couloir. Des murmures incompréhensibles s'ajoutaient les uns aux autres pour créer un véritable brouhaha. Comprenant que l'action se passait à cet endroit, Tobin joua des coudes pour se frayer un chemin dans la foule. À l'entrée de la chambre, il aperçut Tabatha qui faisait de son mieux pour repousser les personnes indiscrètes, quand elle remarqua son ami, elle le laissa passer, ce qui entraîna une vague de protestations générale.

Une vingtaine de personnes se trouvaient dans la chambre, la plupart portait des tee-shirts de couleur différentes. Au milieu, un garçon était allongé sur le ventre, à moitié inconscient. On l'avait placé entre les mains d'une fille plus jeune que Tobin, elle portait un tee-shirt saumon, d'après ses souvenirs, elle était suédoise. Elle avait dans ses mains une fourchette et un couteau récupérés au réfectoire.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda Tobin à Tabatha.

- On a tiré sur Tegan alors qu'il se retournait, il a une balle logée dans le cou, assez profond. Il faut la retirer en vitesse.

La jeune fille parla à l'attention du blessé. Un français lui tendit une bouteille d'alcool, elle s'en badigeonna les mains, puis le cou de Tegan. Elle prit ensuite son couteau pour faire une incision plus profonde.

La victime cria de douleur. Tobin détourna le regard quand la suédoise commença à fouiller la chair humaine avec la fourchette. Il préféra aider Tabatha à contenir les curieux. L'opération sembla durer des heures. D'après ce qu'il comprenait, la balle était bien plus enfoncée que prévu. À un moment, Tegan cria :

- JE SENS PLUS MES JAMBES !

Il y eut des regards inquiets parmi les cinq personnes à son chevet qui devaient être les cinq génies de la médecine du programme.

Même Tobin savait ce que cela signfiait : la balle avait atteint la moelle épinière.

Peu à peu, les participants retournèrent dans leur chambre, mais un calme presque malsain s'était installé dans les dortoirs. Le seul bruit persistant était les hurlements de douleur de Tegan. Io n'était toujours pas revenue, ce qui n'arrangeait pas l'état de Tobin. Dans un coin de la pièce, Eoghan était allongé sur un lit, absent. Parfois, il sursautait aux cris.

Soudain, on entendit les cris d'un des gardes brésiliens postés à l'entrée. À la simple entente du ton qu'il avait pris, Tobin pouvait dire qu'il s'agissait des bonnes nouvelles. Son coeur se desserra un peu.

- Qu'est-ce qu'il a dit ? demanda Lillian qui se sentait inutile.

- La Contre-ELIT s'est retirée, dit Eoghan d'une voix blanche. La Contre-ELIT s'est retirée et on rentre à la maison. Les directeurs annulent le congrès.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top