20.

Hacen poussa la porte et déboucha sur un petit sas où attendaient deux personnes en combinaisons intégrales. Ne semblant pas reconnaître son uniforme, elles le prirent pour un de leurs soldats et lui demandèrent de se déshabiller pour passer à la décontamination. Hacen comprit alors avec joie que le plan avait fonctionné et que le virus était dans la nature.

Il ne prit pas le risque de détruire sa couverture et accepta, il suivit les instructions et enfila les nouveaux vêtements qu'on lui avait fourni. Il demanda à garder son arme, prétextant y être attaché, on le lui laissa, lui faisant confiance.

Les locaux étaient pleins et étrangement, il croisa beaucoup de participants d'ELIT. Certains qu'ils n'avaient jamais vus mais qu'il reconnut à leur jeunesse et leurs différentes ethnicités. Il se dit qu'il se fondait dans la masse. Hacen slaloma entre les silhouettes, il traversa tous les couloirs du bâtiment, dans l'espoir d'apercevoir le visage de James Sifrey, enfermé quelque part derrière des barreaux.

Mais la figure familière qu'il vit en premier ne fut pas celle de Sifrey. La jeune femme écarquilla les yeux quand elle l'aperçut, se demandant si elle ne rêvait pas. Hacen poussa un long soupir, il n'avait pas envie de lui parler, mais il fit un effort, pour garder sa couverture. Io arriva à sa hauteur et le serra dans ses bras. Malgré son envie inexistante, il lui rendit son étreinte.

- Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? demanda-t-elle en lançant un regard appuyé sur sa chevelure. Je t'avais presque pas reconnu.

- C'est une longue histoire, répondit-il pour se débarrasser de la chose, comment tu es arrivée là ?

- C'est une longue histoire également, lui avoua Io.

Il lui sourit faussement mais elle ne sembla pas le remarquer. Toutes ces démonstrations sentimentales avaient le don de lui filer la nausée.

Cependant, il décida de jouer sur la relation amicale qu'il était censé avoir avec Io pour lui soutirer quelques renseignements.

- J'ai entendu dire que Sifrey avait été capturé, lança-t-il, l'air de rien.

La jeune femme acquiesça, il pouvait lire de la joie dans ses yeux. Hacen fit preuve d'un grand self-control pour ne pas la blesser, il avait encore besoin d'elle.

- Tu crois que je peux le voir, j'ai deux ou trois trucs à lui dire.

- Je vais voir ça avec Simon Reynolds, c'est lui qui est en charge de l'interrogatoire.

Ce dernier mot ne laissait présumer rien de bon. Hacen tenta de se rassurer, James Sifrey était un homme bien trop fort psychologiquement pour parler. Il était persuadé que son patron n'avouerait rien.

Io lui désigna un couloir à emprunter et il passa devant d'un pas pressé. Derrière, il entendit la jeune femme l'interroger d'une voix blanche :

- Tobin, pourquoi tu as un flingue avec toi ?

Hacen fit de son mieux pour réprimer une grimace en entendant son ancien nom. Il avait été si naïf pendant l'époque où il était Tobin, il s'était fait pitié à lui-même. Il secoua la tête et continua ce qu'il faisait de mieux : mentir.

- C'est rien, répliqua-t-il, de la sécurité, c'est tout. Tu peux pas imaginer tout ce que j'ai fait pour en arriver là.

Elle ne répondit pas, l'air d'avoir gobé le mensonge.

Ils débouchèrent sur un corridor plus sombre, moins fréquenté, à l'écart du reste du bâtiment. Io désigna une porte au fond d'un signe de tête. Les yeux fixés sur le panneau de métal, il l'entendit annoncer :

- La salle d'interrogatoire.

Hacen allongea le pas, avec la hâte de récupérer Sifrey et terroriser tous les participants qui s'étaient crus plus malins que l'organisation.

La porte s'ouvrit lorsqu'il s'avança, munie d'un détecteur de présence. L'intérieur de la pièce était trop sombre pour qu'il puisse distinguer quoi que ce soit. Il posa néanmoins un pied dans la salle et se pencha pour mieux voir. Une pression contre son dos lui fit perdre l'équilibre et il bascula de l'autre côté du panneau qui coulissa aussitôt. Une succession de bips lui fit comprendre que Io venait de l'enfermer.

- Tu vois peut-être les mensonges, lui cria-t-elle, mais je me rappelle de tout. Y compris les mimiques des personnes, et tu n'as pas celles de Tobin.

Il l'entendit s'éloigner en courant, allant chercher à l'aide.

D'un mouvement nerveux, il tira son arme de sa ceinture et la fracassa contre la porte pour briser cette dernière. Tenace, elle ne céda pas, ne se déforma même pas un peu. Furieux, Hacen cribla le panneau de balles qui se logèrent dans le métal. La porte fragilisée, l'adolescent l'acheva à grands coups d'épaules et de pieds. Après deux minutes d'effort, le panneau céda et Hacen parvint à en arracher une partie, assez large pour le laisser sortir.

Il débarqua dans le couloir, son arme à la main. Il avait fini de jouer au bon petit participant ou d'épargner la vie de ses victimes en les blessant simplement. Désormais, quiconque se mettrait sur son chemin allait en subir les conséquences.

Avant même de retrouver les salles les plus peuplées du bâtiment, Hacen rencontra un duo à l'angle d'une allée. Io était accompagnée d'un homme âgé d'une trentaine d'années. Quand ils le virent, ils s'arrêtèrent. Hacen présuma qu'ils étaient en chemin pour le sortir de son placard.

- Surprise ! déclara-t-il, enjoué.

Il pointa l'arme sur le groupe et les deux acolytes levèrent les mains en l'air pour montrer qu'ils se rendaient. Cependant, l'homme tenta un pas, prudent. Hacen avait la gâchette qui le démangeait.

- Je suis Simon Reynolds, se présenta-t-il.

- J'en ai rien à faire, rétorqua l'adolescent arrogant.

Reynolds ne baissa pas le regard pour autant, ne voulant pas se mettre dans une position de dominé. Il fit un pas de plus, Hacen le menaça :

- Rapprochez-vous encore de moi, et je tire.

L'homme acquiesça et ne bougea plus.

- Je sais qui tu es, avoua Simon Reynolds, tu es la dernière arme de Sifrey. Et tu penses que grâce à toi, tout va perdurer. Mais non, ELIT est mort. Sifrey a tout avoué, à l'heure qu'il est, les Bunkers sont en cours de libération et demain, tous les participants seront de retour chez eux. Il faut se faire une raison, le programme ELIT est révolu. Nous avons gagné.

- VOUS MENTEZ ! hurla Hacen.

L'adolescent tremblait, l'arme menaçait de lui échapper des mains à tout moment. En face de lui, l'homme gardait son calme.

- Vraiment ? questionna Reynolds. Je suis en train de mentir ? Alors regarde-moi, observe mon visage et dis moi si je mens. ELIT est mort.

Hacen se concentra, contracta tout son être pour détailler chaque trait de son ennemi, y voir ne serait-ce qu'un clignement plus long que la moyenne, qu'un spasme au niveau de la lèvre, qu'un dilatement anormal des narines. Il n'en vit rien mais ne désespéra pas : Simon Reynolds pouvait dire ce qu'il pensait être la vérité, cela ne signifiait pas que cela l'était.

L'homme fit un pas de plus et les mains de Hacen tremblèrent de plus en plus, même s'il avait voulu tirer, il n'aurait pas pu.

- Je veux voir James Sifrey, ordonna-t-il d'un ton sec, essayant de dissimuler au mieux sa faiblesse. Je veux lui parler. Conduisez-moi à lui.

Simon Reynolds hocha la tête.

- Tu peux le voir, mais tu dois me promettre de ne blesser personne, négocia-t-il.

- J'ai aucun compte à vous rendre, cracha Hacen.

L'homme lança un coup d'œil à Io derrière lui et il finit par céder. D'un signe de la main, il demanda à Hacen de le suivre, ce que ce dernier fit, sans pour autant baisser son arme.

Ils le baladèrent dans les locaux de la Contre-ELIT. Dans l'entrée, l'adolescent aperçut Pita Tran, soutenue par deux de ses soldats. Il eut un rictus pervers et à travers son regard noir, il pouvait dire que la femme l'avait déjà tué des centaines de fois de son esprit.

En position de force, entouré de personnes qui le craignaient, il se sentait dans son élément. Simon Reynolds pénétra dans une pièce éclairée d'un simple spot. Dans le coin, Hacen perçut des visages familiers, quatre participants du programme américain : Cléo, Tegan – qu'il avait presque oublié – Eena et Eoghan. L'adolescent leur accorda un bref regard indifférent et se tourna vers le centre de toute l'attention.

Sous la lumière, se tenait James Sifrey, menotté au sol. Il n'avait rien pour se poser, ni chaise, ni aucun autre soutien. L'homme devait être debout depuis des heures. Pourtant, toujours impeccable dans un costume immaculé, il ne flanchait pas, la tête haute.

Hacen baissa enfin son calibre et s'avança jusqu'à l'homme qu'il avait tant cherché.

- Je vous ai trouvé, déclara-t-il avec un sourire sincère.

James Sifrey fronça les sourcils quelques secondes, puis son visages'illumina. Il avait compris, son patron lui sourit.

- J'avais confiance en toi, Hacen, lui affirma-t-il.

- Je vais vous sortir de là, dit l'adolescent.

- Oh ça m'étonnerait.

Hacen dévisagea l'auteur de ces propos avec mépris. C'était Tegan. Sans hésiter, il brandit son arme et tira sur l'ancien participant. Avec précision et rapidité, le garçon plaça son bras dans la ligne de mire, la balle rebondit sur l'espèce de squelette en métal qui l'enveloppait et alla se loger dans un des murs.

Hacen resta de marbre mais ne fit aucune autre tentative. Il était assez intelligent pour savoir qu'il ne pouvait rivaliser avec Tegan, il devait sauvegarder ses munitions pour plus tard. Le jeune homme se retourna vers James Sifrey.

- Ils disent que vous avez avoué, ce n'est pas vrai, n'est-ce pas ? ELIT n'est pas mort, ELIT ne peut pas être mort tant que vous serez toujours en vie.

Voyant que la conversation n'allait pas dans le sens qu'il l'aurait voulu, Simon Reynolds s'avança pour faire sortir Hacen. Celui-ci lui tira dans l'épaule d'une seule main, le visage neutre. Eoghan et Io se précipitèrent à ses côtés pour lui porter secours.

James Sifrey n'avait toujours pas répondu. Agacé, Hacen répéta, en haussant le ton :

- Vous n'avez pas avoué ?

L'homme se cantonna dans son silence et Hacen commençait à comprendre qu'il avait cédé et tout livré à la Contre-ELIT. Il refusa d'y croire.

- RÉPONDEZ ! hurla Hacen, sur les nerfs.

- Non, je n'ai pas avoué.

James Sifrey l'avait regardé dans les yeux, sans flancher. Hacen se contracta, comme réprimant un mouvement, il luttait contre lui-même pour ne pas parler. Mais c'était plus fort que lui, il avait été programmé pour, il ne pouvait pas combattre son destin.

Sur le point d'exploser, la veine de sa tempe plus bleue que jamais, il finit par ouvrir la bouche.

- Mensonge, articula-t-il.

Il exécuta James Sifrey d'une balle dans la tête qui s'écroula.

Un silence pesant tomba sur la petite pièce. Hacen observa le corps sans vie et tomba à genoux sur le sol, ayant du mal à réaliser ce qu'il venait de faire. Il lâcha son arme en même temps qui rebondit une ou deux fois sur le lino.

Le regard vide, il fit abstraction de tout son environnement, encore sous le choc. S'il avait pu pleurer, il l'aurait fait, mais son apathie programmée l'en empêchait. Il reprit conscience quand il sentit une présence dans son dos. Une pointe d'aiguille vint lui chatouiller le cou et dans un réflexe parfait, il fit voler la seringue et attrapa le poignet de sa propriétaire, Io.

Il se retourna et serra le bras de la jeune femme pour l'immobiliser. Il s'adressa au reste des personnes présentes, Eoghan avait disparu pour soigner Simon Reynolds.

- Il est mort, dit Hacen en désignant le cadavre de James Sifrey, pas moi. Et tant que je serai encore en vie, ELIT survivra.

Il tordit le poignet d'Io et un craquement retentit, puis une longue plainte de douleur de la part de la jeune femme.

Eena fut la plus rapide à réagir. Dans un mouvement prompt, elle força Hacen à lâcher le poignet d'Io, lui assénant un coup de pied dans le bras. Elle se recula et le dévisagea, en position d'attaque.

- Touche à ma sœur, cracha-t-elle, et on verra si tu seras longtemps en vie.

L'adolescent le prit comme une menace directe. Il poussa violemment Io contre le mur, pour qu'elle s'écarte de son passage. Cléo et Tegan coururent à sa rencontre pour lui venir en aide.

Hacen toisa Eena, qui malgré sa carrure beaucoup plus petite ne se démontait pas.

- C'est vraiment ce que tu veux ? lui demanda-t-il d'un ton moqueur. Te battre avec moi ? Tu n'as pas peur.

La jeune fille donna un coup de pied dans l'arme qui traînait au sol, cette dernière glissa dans un coin. Hacen savait ce que cela signifiait : elle voulait lutter à armes égales, au corps-à-corps.

Eena plaça ses poings devant elle, prête à commencer le combat ; fidèle à son attitude provocatrice, elle ajouta avant d'attaquer :

- Tu as oublié d'où ça te venait ? l'interrogea-t-elle. Tu penses avoir été créé directement avec la capacité de te défendre ? Je t'ai tout appris. Je t'ai formé au combat.

- C'est l'heure de voir l'élève s'élever et le maître tomber, métaphorisa-t-il.

Il donna le premier coup, faisant voler son poing dans la direction de la gymnaste. Elle l'esquiva avec agilité en se baissant et fit une roulade arrière. Hacen secoua la tête, trouvant tout ce spectacle inutile. Eena se releva et lui asséna un coup de pied dans le ventre, il se plia en deux sous le choc et elle tenta de balayer ses jambes pour le faire tomber. Mais Hacen était robuste et bien campé sur ses deux pieds. Énervé, il attrapa la jeune fille par son tee-shirt et la lança contre le mur. Son crâne s'y heurta brusquement et elle s'écroula sur le sol, sonnée.

L'adolescent ne pouvait pas la laisser ainsi. N'ayant pas fini de lui régler ses comptes, il s'approcha d'elle et la força à se relever. D'une main, il lui agrippa le cou, elle grogna et tenta de se défaire de son emprise. Elle étouffait.

- Tu pensais avoir ta chance ? questionna-t-il avec haine.

Elle porta les mains à son cou et enfonça ses ongles dans la peau de son agresseur, Hacen ignora la douleur. Le visage d'Eena vira rapidement au violet et dans son dos, il entendit les cris déchirants d'Io. Cléo la retenait de se jeter sur Hacen, cherchant à la protéger de la personne qui avait un jour été son meilleur ami.

La brute ne vit pas Tegan ramasser la seringue laissée sur le sol, viser sa veine jugulaire et lancer l'objet avec la précision parfaite qui lui était propre. Hacen sentit une aiguille se nicher au creux de son cou. Eena vit l'occasion qui se présentait à elle et sacrifia ses dernières forces pour appuyer sur la seringue. Le liquide pénétra dans le corps de Hacen et agit aussitôt. Sa vision se flouta et il lâcha sa prisonnière qui prit une longue inspiration sifflante.

Le jeune homme s'écroula à son tour et les quatre participants échangèrent un regard perplexe. Cléo fut le premier à prendre les paroles :

- Je crois que je vais parler pour tout le monde : c'est quoi ce bordel ?

Io, qui était retournée aux côtés de sa sœur, secoua la tête,incrédule.

- Au fait, mec, reprit le rouquin à l'attention de Tegan, joli lancer.

- Merci, on fait quoi ?

Leurs yeux se posèrent sur Hacen, puis sur le corps de James Sifrey.

- On prévient Simon, annonça Cléo. Et on menotte le gars, je préfère pas qu'il ait les mains libres quand il va se réveiller.



Hacen sortit de son état inconscient et remua. Il comprit rapidement qu'il était menotté, à la place de son ancien patron. Il se débattit, avec l'espoir infime de parvenir à briser ses liens. Il capitula après trente secondes, s'épuisant pour rien. Ce n'est qu'en relevant la tête qu'il aperçut trois silhouettes, dans l'obscurité, l'observant.

- Où sont les autres ? interrogea Hacen sans savoir à qui il s'adressait.

La voix de Simon Reynolds résonna :

- Chez eux. Ils ont tous été renvoyés dans leur famille. Les Bunkers ont été libérés dans la nuit, grâce aux informations de Sifrey. Il faut faire face à l'évidence, ELIT est terminé. Tu peux te rendre aussi, je sais que tu connais le moyen de retourner à ta première personnalité. Dis-le nous.

Hacen sourit avant de secouer la tête doucement.

Les deux silhouettes en retrait s'avancèrent dans la lumière : Cléo, qui ne semblait pas décidé à rentrer sans lui, et Tilya. En voyant cette dernière Hacen haussa les sourcils.

- Je dois avouer que la sécurité de ce Bunker laissait à désirer... cingla-t-il.

Tilya s'approcha, tout en gardant ses distances, comme si elle voulait caresser un chien qui montrait les crocs.

- Je suis désolée, dit-il, c'est ma faute si tu t'es fait ça. Mais je sais que quelque part, Tobin est encore là, il faut juste qu'il reprenne le contrôle.

Hacen plongea son regard dans les yeux sombres de la jeune fille. Pendant un instant, elle crut qu'il allait se repentir et tout livrer, mais il explosa d'un rire mauvais.

- Non ! s'exclama-t-il, moqueur. Tobin est mort, Tobin n'était pas assez fort pour me résister, c'était un gamin perdu, un petit chiot.

- Donc Tobin n'est pas récupérable, récapitula Cléo, mais Sym l'est sûrement ?

Le visage de l'adolescent menotté se ferma. Il resta quelques secondes en silence avant de hausser les épaules et avouer :

- Peut-être. Mais vous ne savez pas comment faire, donc je gagne, et vous perdez.

Cléo se tourna vers Simon Reynolds, celui-ci croisa les bras dans une moue pensive.

- On finira par trouver, affirma-t-il.

Le trio quitta le prisonnier, le laissant seul avec lui-même. Dans un spasme nerveux et désespéré, Hacen tira sur ses menottes pour signifier sa colère. Il eut le mérite d'attirer l'attention de Tilya, elle l'observa longuement, les yeux éteints.


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