Chapitre 4 : Faire la lumière

La pièce baignait dans une clarté que le soleil londonien n'égalerait jamais. Les cristaux fractionnaient les rayons lumineux en une myriade d'arcs-en-ciel qui dansaient sur les murs. J'essayais de diriger mon regard vers le centre du lustre pour comprendre ce phénomène, mais mes yeux brulaient face à l'éclat de la demi-sphère.

— Épatant n'est-ce pas ?

Fellow jubilait devant mon air éberlué. Même son nez de rapace se moquait de moi.

— Je n'y connais rien en physique, mais il y a un truc de pas très orthodoxe dans ce lustre.

— Laissez l'église où elle est, pour une fois, je pense qu'elle n'a rien à voir. Soufflez la bougie, voulez-vous. Je vais vous montrer.

J'obéis avant de lui céder ma place, perchée sur la chaise. Il y grimpa et plongea sa main dans le globe de cristaux. Malgré la faible lueur de la chandelle restante, le cristal qu'il sortit brillait de manière exagérée.

— Voilà le coupable.

Il l'approcha de la petite flamme et la pierre se remit à inonder l'appartement de lumière.

— Mais... Qu'est-ce que... c'est magique ce truc ? Comment ça marche ?

— Si, je le savais...

Il attrapa ma main pour y déposer le cristal. Il ressemblait à un gros diamant, du moins tels que je les imaginais, taillé avec finesse d'une multitude de facettes.

— C'était le sujet des recherches du Professeur. Il les appelait les cristaux de lumière, du fait qu'ils réagissent en sa présence.

— Cela vaut si cher qu'on l'aurait tué pour ça ?

— Pour celui-ci, non, je ne pense pas. Voyez-vous, à en croire Chipperfield, tous les cristaux n'ont pas les mêmes effets. Celui que vous tenez est un des plus courants, si l'on peut dire vu leur rareté. Il multiplie la lumière reçue dans toutes les directions. Vraisemblablement, ils ne sont pas tous si inoffensifs. Mon ami, à travers les témoignages de l'histoire, essayait de repérer d'autres cristaux, leurs effets et leurs propriétaires. Ces derniers gardent bien leur secret.

— En les plaquant dans des lustres ? ironisai-je.

— Vos railleries ne tombent pas si loin de la vérité. Si je vous dis que parmi les détenteurs, on retrouve plusieurs familles royales d'Europe ?

Je n'avais jamais eu l'occasion d'apercevoir la Reine ou sa famille, mais tout le monde savait qu'ils étaient parés de bijoux de la tête aux pieds.

— Cacher des cristaux au milieu de joyaux, astucieux, n'est-ce pas ?

C'était une avalanche d'informations et de questions pour ma modeste cervelle, touchant des sujets qui ne concernaient guère la survie dans la rue.

— En gros, ce que vous dites, c'est que les rois et reines ont des pouvoirs magiques et qu'ils ont tué votre ami pour ne pas qu'il le révèle ?

Il me rit ouvertement au nez.

— Par le grand architecte, non ! Nos puissants ont mieux à faire. Et le Professeur voulait étudier et répertorier les cristaux. C'était un scientifique, pas un conspirateur. Il était inoffensif.

Je ne comprenais pas où Fellow souhaitait en venir.

— Non, je pense qu'il a découvert quelque chose sur ces pierres, quelque chose qui aurait attiré des convoitises. Et j'ai besoin de connaître cette découverte pour trouver le mobile du coupable.

— Logique. Donc vous cherchez un bout de papier sur lequel il aurait griffonné sa grande découverte ?

Il me toisa et je sus que j'avais poussé trop loin le sarcasme.

— Il tenait un carnet de notes sur les cristaux. C'est ce carnet que je cherche, ou tout indice qui me permettrait de le dénicher.

— Le tueur l'aurait pris ?

— J'y ai pensé. Difficile à dire, l'appartement n'a été que partiellement fouillé. A-t-il trouvé son but ? A-t-il été dérangé ?

Il reprit son exploration des montagnes de documents. Il grognait, déplaçait des piles, jetait des papiers. En somme, il piétinait. Pendant ce temps, j'ouvris le tiroir de la table de chevet. J'en extirpai un tas d'enveloppes. C'était là que le Professeur rangeait sa correspondance. Malgré l'aspect personnel de la chose, j'y découvrirai peut-être un indice. Il aurait pu faire part de sa trouvaille à un confrère. Après plusieurs lettres sans grand intérêt, l'une d'entre elles capta mon attention.

— Sir Thomas ? Est-ce que vous connaissez une certaine Lady Carolyn Pennwood ?

— Pas que je sache. Vous avez quelque chose de pertinent ?

— Ce n'est peut-être rien, elle a envoyé une lettre au Professeur, mais c'est une simple feuille blanche.

Fellow traversa la pièce tel un courant d'air et saisit la page. Il l'examina et fronça les sourcils.

— Nous allons avoir besoin du cristal et de la bougie, Mademoiselle Magpie.

Je mis plusieurs secondes à intégrer qu'il me demandait d'aller les chercher. Un S'il vous plait m'aurait bien aidé. En revanche, je n'eus pas besoin de son aide pour comprendre ce qu'il comptait faire. Pendant qu'il maintenait la feuille, je brandis la bougie et vins placer le cristal entre les deux. La lumière nous éblouit et quand mes yeux furent habitués, une belle écriture cursive apparut miraculeusement sur le papier que tenait Fellow.

— Mademoiselle Magpie, vous nous offrez la plus belle piste de la soirée !

Il me tendit la missive pour que je lise. Moins habituée, cela me prit deux bonnes minutes pour parcourir les quelques lignes.

Cher Professeur Chipperfield,

Je vous remercie pour votre confiance.

J'ai étudié vos notes avec grand intérêt, même si je dois avouer que sans votre cadeau, il m'aurait été difficile d'y croire.

Je serais bien entendu ravie d'en discuter plus longuement.

Je rends visite à une amie sur Londres la dernière semaine de février.

Je vous préviendrai et vous ferai quérir.

Lady Pennwood

— Donc c'est elle qui aurait le carnet que vous cherchez. Il ne reste plus qu'à trouver cette Lady.

— Oui. Nous avons notre occupation pour demain. D'ici là, un peu de repos nous sera bénéfique.

Il s'éloigna avec la bougie et la lettre redevint vierge. Comme il se dirigeait vers la porte, il me sembla que c'était le bon moment pour demander pour la couverture.

— Hors de question ! s'indigna-t-il. En tant qu'apprentie, vous logerez dans mes appartements et demain, nous remédierons à votre garde-robe.

Je baissai les yeux sur mes habits tachés, glanés dans les artères de la capitale. Je m'interrogeais sur l'effet que cela me procurerait d'enfiler de vrais vêtements. Fellow ne me laissa pas m'attarder sur cette pensée et m'entraina hors de l'appartement. Il jeta un rapide regard dans la rue avant de sortir. Nous nous dirigeâmes vers une intersection et après avoir pris à droite, je découvris un carrosse.

Évidemment, comment avais-je pu m'imaginer qu'un Sir traverserait Londres à pied ?

Thomas s'adressa au cocher, puis m'ouvrit la porte de la voiture. Je grimpai et m'installai sur la banquette, aussitôt rejointe par mon nouveau mentor. Malgré toutes les écuries nettoyées, je n'étais jamais montée dans un de ces véhicules. L'assise en velours vert et les rideaux en satin brodés de dorure témoignaient du luxe dans lequel devait vivre Fellow. L'attelage s'élança sur les pavés, malmenant mon postérieur. Le raffut du cerclage des roues sur les pierres nous empêchait d'avoir une conversation.

Au bout d'une vingtaine de minutes, les cahots se calmèrent. J'écartai le rideau pour regarder à l'extérieur. Nous avions atteint un quartier cossu de la ville. De magnifiques hôtels particuliers s'alignaient le long d'un trottoir large, propre et régulier. Les lampadaires ouvragés paraissaient neufs et bien plus performants qu'à Bakerstreet. Les flammes qui dansaient derrière le verre et je remarquai alors que, pendant tout le trajet, mon poing était resté serré autour du cristal, au fond de ma poche. Combien pouvait-il valoir ? Qui l'achèterait ? Est-ce que j'aurais des problèmes ? Fellow m'en voudrait sûrement.

— Nous voici arrivés ! s'exclama-t-il soudain, en s'extirpant de la banquette.

L'air était tout aussi frais dans les beaux quartiers, mais il me parut plus propre, débarrassé de la puanteur des bas-fonds.

— Vous venez ?

Fellow se tenait en haut d'un escalier blanc de quelques marches, dos à une lourde porte en bois.

— Vous avez un appartement ici ?

— Diable, non. Un ami me prête sa résidence quand je descends à Londres et qu'il ne s'y trouve pas. Nos demeures familiales sont en province.

Il frappa et malgré l'heure, un domestique au visage ridé et aux sourcils broussailleux nous ouvrit.

— Me voilà de retour, Stenson. Pourriez-vous dire à Margareth de préparer une chambre pour Mademoiselle Magpie ?

— Mademoiselle ?

Malgré le contrejour, je devinais ses petits yeux noirs écrasés par ses lourdes arcades qui me jugeaient, mes guenilles et moi.

— Oui, une chambre individuelle à l'étage des servantes.

Mon enthousiasme d'avoir une chambre à moi, avec un vrai lit, se trouvait tempéré par ma fierté. Quelque part au fond de moi, j'avais espéré avoir le droit à une chambre d'invité, avec des draps en soie. Je n'avais jamais touché de soie, mais je savais que j'adorerais.

— Dois-je lui demander de préparer un bain également, Sir ?

Fellow m'adressa un rapide coup d'œil et son sourire en coin.

— Bonne idée, Stenson. Et trouvez-lui une tenue de nuit, Mademoiselle Magpie n'a malheureusement pas ses bagages avec elle.

Sur ses mots, il s'engagea dans la demeure et je le suivis comme son ombre.

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