Chapitre 31
— Où est Thomas ?
Eugenia appuya plus fort son pistolet sur ma tête, comme pour s'assurer que je n'oubliais pas sa présence. Comme si on pouvait oublier ce genre de détail, mon cœur n'avait fait qu'accélérer depuis le premier contact.
— Je n'en sais fichtrement rien !
Ce n'était pas une réponse satisfaisante pour elle. Elle devrait s'en contenter, je n'avais pas mieux.
— Donc il vous a envoyée creuser seule avec Pennwood pendant qu'il se terre Dieu ne sait où ?
L'information intéressante de cette question était qu'elle pensait que nous travaillons toujours avec Fellow.
— Il a certes ses défauts, mais s'il se terre, c'est parce qu'il avait prévu que vous viendriez. Il ne se cache pas, il a simplement préparé un de ses plans tordus pour damer le pion.
— Je n'en doute pas, c'est bien pour cela que je vous prends en otage. Allez, avancez, que Lady Pennwood puisse nous rejoindre. Isis, récupère le coffre.
Mon cœur tapa si fort dans ma poitrine quand je l'aperçus que j'en avais mal. Je ne l'avais pas revue depuis la cabane de pêche et malgré une situation plus que délicates, nos adieux surprenants se mirent à occuper mon esprit. J'avais presque envie de tous les envoyer se faire cuire un œuf avec leurs pierres magiques, juste pour être libre d'apprendre à connaître Isis. Cette dernière rassura mon cœur en me décochant furtivement un sourire bien veillant.
— Lady Pennwood, je vous remercie de vous joindre à nous, déclama Eugenia alors que la noble anglaise sortait du sol. Je vous prie de croire que je suis véritablement navrée que vous ayez été entraînée dans cette histoire. Vos recherches et votre opiniâtreté pour vous imposer dans ce monde d'hommes sont impressionnantes. J'aurais aimé faire votre connaissance dans de meilleures conditions. Hélas...
Soudain, nous nous retournâmes de concert vers la galerie d'entrée du Grianan, surprises par un étrange grincement. Nous aperçûmes une vieille charrette en bois par l'ouverture. Le vieux paysan vouté de la veille, toujours vêtu des mêmes habits élimés, en descendit en grognant et vint à notre rencontre.
— Qu'est-ce qui se passe ici ? Je n'ai jamais vu autant de monde dans cette ruine. S'il y a un trésor, ce sont mes terres ! Je veux ma part !
J'allais crier à l'homme de fuir, quand je le reconnus. Et je ne fus pas la seule.
— Qui crois-tu tromper, Thomas ? ricana la voix dans mon dos. À cette distance, je reconnaîtrais toujours tes yeux de fouine.
— Tu n'as pas changé, Eugenia, répondit Fellow en se redressant. Lady Carolyn, excusez mon retard, c'est un plaisir de vous revoir. Et rassurez-vous, dans quelques minutes, je nous aurais tirés de ce mauvais pas.
Le fourbe ne savait donc pas ce que nous avions découvert et s'apprêtait à nous sauver. Intéressant.
— Mademoiselle Magpie, même si je n'ai jamais douté que vous vous en sortiriez, je suis épaté par votre débrouillardise. Vous avez de plus résolu l'énigme. Je...
— Stop ! l'interrompit Eugenia. Tu es toujours aussi insupportable à faire ton spectacle. En attendant, j'ai une arme pointée sur la tête de ta protégée, donc arrête ton numéro et admets que tu as perdu, petit frère.
Petit frère ! Fellow était un McAllow ! Eugenia n'avait donc rien d'une ancienne amante, elle était la sœur pour qui son père lui avait refusé l'héritage ! Il y a bien de l'amour et de la haine qui se confondent.
— Je vois à votre expression, Mademoiselle Magpie, que vous venez de comprendre. C'est dommage, ma sœur a tout gâché, vous n'étiez vraiment pas loin de percer mon identité. J'espérais tellement que vous trouviez seule.
Fellow retira alors sa casquette plate et sa perruque, puis tenta de se débarbouiller de son maquillage, sans se presser.
— Chère sœur, je suis au regret de t'annoncer que, bien que tu aies brillamment mené la partie, aujourd'hui, je ne suis pas le perdant.
Il siffla et une demi-douzaine d'hommes armés de carabines enjambèrent le garde-corps de pierre du dernier étage de la muraille.
— C'est fou ce qu'on peut faire avec quelques livres et quelques échelles. Lady Carolyn, Mademoiselle Magpie, vous êtes libres. Et nous allons emporter ce coffre au passage.
J'échangeai un regard inquiet avec Lady Carolyn. Devions-nous jouer le jeu, faire comme si nous ignorions son crime pour mieux lui fausser compagnie ensuite ? Cela nous permettrait dans un premier temps d'échapper aux griffes d'Eugenia.
— Sale petit vaurien ! siffla Eugenia. Quand je pense que Père ne demande qu'à discuter avec toi, à trouver un moyen de te pardonner.
— Il me rendra mon héritage ? Non, alors il n'y aura pas de pardon.
— Tu es prêt à sacrifier notre cause pour ta simple vengeance !
— Je ne sais pas si déclencher une guerre pour obtenir l'indépendance de l'Écosse est une juste cause.
Toutes les têtes se tournèrent vers Lady Carolyn dont les mots venaient de suspendre la querelle. Puis Eugenia revint vers Fellow.
— C'est ce que tu leur as dit ?
— Vous allez donner les cristaux à la France pour affaiblir la Reine ! criai-je. Et plonger l'Europe dans le conflit, seulement par ego.
La bouche de l'Écossaise resta ouverte quelques instants. Elle semblait interdite par nos paroles. Comme si elle découvrait l'horreur de son plan. Si tant est que ce soit son plan.
— Quel fieffé menteur j'ai pour frère... Je ne sais même plus quoi dire.
— Alors, ne dis rien. Mademoiselle Magpie, venez, ne tardons pas trop, ces messieurs avec les fusils risquent de me demander plus d'argent.
Je commençai à approcher, déboussolée, est-ce qu'en voulant échapper à Eugenia, je ne plongeai pas vers un plus gros danger. Je savais de quoi Fellow était capable. Une tension sur ma manche me stoppa. Isis m'agrippait pour m'empêcher d'avancer.
— Ne faites pas confiance à mon frère, entama Eugenia en prêtant sa voix. Il ne cherche qu'à se venger de notre père. Ce n'est qu'un enfant gâté frustré par une punition. En réalité, nous financions en partie le Professeur Chipperfield dans ses recherches, non pas pour nous servir directement de leurs propriétés, mais pour en apprendre plus sur ceux que possèdent les grands de ce monde. Nous pensons que les monarques les ont utilisés par le passé pour contrôler et réprimer les peuples, pour conquérir de nouvelles terres... Que pouvaient-ils opposer en face ? Nous considérons que l'ordre mondial a été biaisé par ces cristaux. Ce coffre, c'est notre espoir pour créer un contre-pouvoir, pour pousser la Reine à nous écouter.
— Et si elle refuse ? intervint Lady Carolyn. Vous lancerez une guerre meurtrière ? Le régime en place n'est pas parfait, mais il n'est pas si mauvais. Nous n'avons pas connu de guerres depuis Napoléon, la science et la médecine avancent, et même si cela prend du temps, la société évolue. Rendez-vous compte, Elisabeth sait lire ! Et quel régime imposerez-vous ? Le système des lairds n'est pas plus juste. Morceler l'Europe ne fera que multiplier les querelles et les guerres.
Je savais lire, certes, je savais aussi que discuter de politique pendant que des fusils braquaient leurs gueules sur nous était inapproprié.
— Lady Pennwood, nous pouvons avoir une divergence d'opinions, j'entends vos convictions. Cependant, savez-vous ce que Thomas compte réellement faire des cristaux ?
— Il nous a dit vouloir empêcher cette guerre...
— Alors, laissons-le nous expliquer pourquoi il s'entretient régulièrement avec deux Américains. Un certain Monsieur Lincoln et un Monsieur Lee, responsables d'un groupe pour l'indépendance des colonies américaines.
Pour la première fois, je vis l'apparente outrecuidance de Fellow se fissurer. Il garda son léger sourire prétentieux, cependant ses doigts tremblaient.
— C'est vrai, je vous ai menti, Lady Carolyn, pour m'assurer votre concours. Mon véritable dessein est tout autre et je suis sûr qu'il convaincra Mademoiselle Magpie.
Pourquoi cette conversation revenait-elle toujours à moi, qui n'avait rien dit depuis l'arrivée de Fellow ?
— N'avez-vous jamais rêvé, Mademoiselle Magpie, d'une société sans noblesse, où seuls votre mérite et votre travail conditionneraient votre futur ? Chacun serait libre de travailler et devenir riche. Pas de jugement sur votre naissance, sur vos origines. Juste la liberté. C'est la société que veulent construire Lincoln et Lee. Venez avec moi, traversons l'Atlantique et aidons-les à se séparer de l'Angleterre pour bâtir ce monde idéal.
— Eli, ne l'écoute pas, il te manipule.
— Et toi ma sœur, que penserais-tu d'un pays où tu n'aurais plus à cacher ta fille illégitime ? Un pays où tu n'aurais pas à la faire passer pour une orpheline adoptée devant ton propre père ?
Isis ? Cette dernière me lança un sourire d'excuse quand un rire sonore résonna dans l'enceinte millénaire du Grianan. Eugenia essuya une larme.
— Un pays dont un des pères fondateurs serait un menteur, un maître chanteur et un meurtrier ?
Maître chanteur ? Quelques nouvelles pièces du puzzle s'assemblaient dans ma tête.
— Ce n'est pas votre père qui vous donne votre argent ! Vous monnayez les secrets appris dans votre taverne contre votre silence !
Fellow applaudit.
— Bravo, Mademoiselle Magpie ! Mais pouvez-vous m'en vouloir de prendre un peu d'argent à ceux qui vivent dans l'opulence ? Il y a plus grave.
— Oui, comme assassiner le Professeur Chipperfield ! l'accusai-je.
Il n'attendait probablement pas cette attaque de ma bouche.
— Quoi ? Non ! Je n'ai pas tué le Professeur, que racontez-vous ?
Je n'y tins plus.
— Arrêtez de vous moquer de moi, Fellow, McAllow ou qui que vous soyez. Je sais très bien que vous l'avez tué ! Je l'ai vu !
Ce ne fut qu'une fois les mots sortis de ma bouche que je compris mon erreur. Lady Carolyn me lança un regard désespéré.
— Oh la gaffe !
— Vous l'avez vu ? Mais vous ne pouviez pas être là... Oh... Mais bien sûr. Ce cristal existe donc bien. Sacré cachotier de Chipperfield. Un tel pouvoir...
Un rictus malsain se forma sur son visage tandis qu'il s'approchait, tirant un couteau dissimulé de son dos.
— Et peut-être avez-vous ce cristal avec vous...
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