Chapitre 30

Malgré la protection offerte par la toile de tente, mes cheveux étaient humides et ma couverture sentait la brebis mouillée. La rosée s'était déposée sur toute la campagne environnante et personne n'y échappait. Je sortis grelottante de mon refuge. Le ciel d'un bleu profond s'éclaircissait à l'est, preuve que le jour se rapprochait.

Lady Carolyn s'affairait à couper quelques tranches de lard et de pain en guise de petit-déjeuner.

— Juste à temps ! Le soleil ne va plus tarder. Vous avez pile le temps de vous sustenter avant cette journée... imprévisible.

J'attrapai la nourriture qu'elle me tendit et l'avalai sans grand plaisir. Lady Carolyn avait déjà préparé les pioches et pelles. Je sentais toute la passion qu'elle éprouvait pour ce genre d'aventure.

— Regardez, ça y est, l'horizon devient orange. Les premiers rayons arrivent.

En effet, un premier arc du disque solaire apparut. La lumière était encore trop rasante pour laisser une ombre exploitable.

— Comment saurons-nous à quel moment nous devons la prendre ? m'inquiétai-je.

— J'y ai réfléchi cette nuit. D'après mes estimations, en se tenant sur cette dalle centrale, le soleil devrait venir s'inscrire à la perfection dans la galerie d'entrée. Je pense que c'est à ce moment-là qu'il faudrait repérer l'ombre.

Sur ces paroles, nous allâmes nous placer sur la pierre. Le soleil dépassait à présent de plus de la moitié. Ses rayons devenaient plus puissants et je détournai les yeux pour ne pas être aveuglée. L'ombre du Grianan se précisait. La lumière qui passait à travers la porte dessinait une colonne sur la pelouse. Plus que quelques secondes et nous saurions où creuser. Et toujours pas de signes de Fellow ou des McAllow. C'était trop calme, je n'aimais pas cela.

— C'est ici ! s'écria Lady Carolyn qui courrait armée d'une pelle.

Je la rejoins tout en balayant du regard les environs. Elle traça dans l'herbe la zone à fouiller et attaqua. La terre était grasse et ne s'avéra pas aussi difficile à creuser que ce que j'imaginais. Sans être facile pour autant.

À bout d'un quart d'heure, nous suions à grosses gouttes et n'avions creusé que sur une grosse dizaine de centimètres, sans rien découvrir.

— Ne vous découragez pas, il faut souvent creuser bien plus !

C'était sans doute pour ce motif que Fellow n'était pas encore sorti de sa cachette, il attendait que nous fassions le boulot à sa place. Il avait raison le bougre, nous piochâmes sur trente centimètres de plus avant de buter sur quelque chose.

— C'est peut-être juste une pierre, Eli, me prévint Lady Carolyn.

Pour autant, elle se jeta à quatre pattes en même temps que moi pour essayer de dégager la terre et découvrir ce qui s'y cachait. Nous grattâmes avec nos mains, nous cherchions le contour de l'objet. Il s'agissait d'une dalle de pierre, similaire à celle au centre de la cour herbeuse. Je ne dissimulai pas ma déception.

— Ce n'est pas un coffre, ça ! Le Professeur s'est trompé.

— Venez m'aider au lieu de râler. C'est mieux qu'un coffre, c'est surement l'entrée d'un caveau. N'oubliez pas que Dagda est censé y avoir enterré son fils adoré. Il a dû y mettre plus de soin qu'un simple cercueil.

— Et plus de trésors que des cristaux magiques !

— On va être riche !

Nous déblayâmes toute la pierre avant de l'observer avec une certaine appréhension. Elle se révéla imposante, assurément trop pour que nous envisagions de la soulever.

— Un coup de pioche bien placé ?

— Je crois, hélas, qu'il va falloir que je sorte le burin et la masse. En l'attaquant au centre, elle va peut-être se fendre.

— Ou on peut tenter de la découper avec le cristal concentrateur.

Cette solution, jugée moins fatigante, obtint la faveur de Lady Carolyn. J'allumai la lampe à huile et brandis mon cristal jaune. Le rayon entama bien la pierre, malheureusement pas aussi aisément que nous espérions. Je perçai un premier trou qui nous permit d'estimer l'épaisseur de la dalle à quatre centimètres. Je l'entaillerai ensuite sur toute la largeur. La gorge créée la fragiliserait et un coup de masse devrait suffire à la briser. Dit comme ça, cela paraissait simple. Dans les faits, je passai plus d'une heure sur ma rainure.

— Si Fellow nous espionne, j'espère qu'il s'ennuie autant que nous !

— Amen, Demi-livre.

— C'est bon, j'ai terminé. À vous l'honneur, Lady Carolyn !

Cette dernière saisit la masse à deux mains, la leva presque au-dessus de sa tête et l'abattit avec la prestance d'un dieu viking. La pierre se fendit et plusieurs morceaux tombèrent dans l'accès qu'elle cachait. Lady Carolyn m'aida à retirer les blocs qui obstruaient encore le passage. Ainsi, nous libérâmes les premières marches d'un escalier qui s'enfonçait vers le centre du Grianan. J'approchai la lampe de l'ouverture, espérant apercevoir ce qui nous attendait. Une odeur d'humidité et de vieille cave s'immisça dans mes narines. Cela me rappela certains de mes refuges londoniens.

— Tu fais ce que tu veux, Eli, mais moi, je ne descends pas en premier là-dedans.

— Il y a surement plein d'araignées !

— Et des squelettes !

— Et des pièges !

— Ou de l'or.

— ...

— Argument intéressant...

Avec une certaine appréhension, je m'engageai dans l'escalier. Il s'engouffrait dans le noir jusqu'à environ trois mètres sous le sol. De là, il débouchait sur une vaste cavité dont je ne devinais que le début. Le reste était plongé dans une obscurité que la lueur de ma flamme peinait à repousser. À mes pieds démarrait un pavage irrégulier.

— Tout va bien en bas ?

— Il fait un peu sombre, je regrette mon cristal multiplicateur. Mais sinon, ça va.

— Je vous rejoins.

Je lui éclairai les marches. Une fois, réunies, je me tournai sur ma droite. Je venais d'apercevoir comme un support sur le mur en pierre. Alors que je m'approchais avec ma lampe, un petit cristal s'illumina au-dessus du support et émit un rayon qui se propagea le long de la voute, vers le centre de cette dernière. Il frappa un deuxième cristal qui s'illumina à son tour et envoya d'autres rayons sur des cristaux disposés sur tout le pourtour de la cavité. En quelques secondes, nous y vîment comme en plein jour.

— Ingénieux ! lâcha Lady Carolyn. Si nous avions besoin d'une preuve que nous étions au bon endroit, nous l'avons.

Sous ce nouvel éclairage, nous prîmes le temps d'observer les lieux. Nous nous trouvions dans une sorte de cave maçonnée, avec la même pierre que le reste du Grianan d'Aileach. Les dimensions m'impressionnaient, surtout pour l'époque de construction près de quinze mètres de long et presque autant de large. Le clou du spectacle trônait au centre de la pièce, sur une épaisse plateforme en granit orné de motifs typiques aux lignes entrelacées. : un somptueux char à quatre roues. Des inserts de cuivres, ouvragés avec les mêmes arabesques que le socle, embellissaient encore le riche travail du bois. Les flans arboraient des gravures qui semblaient raconter une histoire, à la manière de bas-relief. Certainement l'histoire du squelette paisible qui dormait en armure, mains sur la poignée de son épée, dans ce chariot.

Lady Carolyn sortit un carnet et un crayon de sa sacoche et commença à prendre des notes.

— Excusez-moi, Eli, je ne résiste pas aux besoins de faire quelques croquis. C'est une découverte archéologique majeure. J'ai entendu parler de chars mortuaires dans les tribus celtes d'Allemagne, mais jamais en Irlande !

Elle s'affaira alors à détailler scrupuleusement chaque élément de la sépulture, tandis que je dansais d'une jambe sur l'autre.

— Oui, mais Fellow et les McAllow ? Nous n'avons peut-être pas le temps pour cela.

— Je fais vite ! Commencez à chercher les cristaux.

Je soupirai avant de me concentrer sur le contenu du chariot. La première chose qui m'attira et que je n'avais pas remarquée jusqu'ici était l'aura lumineuse qui semblait émaner de l'armure du défunt. Rien de très aveuglant, une simple luminescence intrigante. Je me penchai pour observer de plus près. Un vernis incrusté de petites paillettes lumineuses recouvrait la surface de la cuirasse. Chacune de ces dernières étincelait d'une clarté familière. En fait de paillettes, il devait s'agir de poussière de cristal qui se mettait à rayonner sous l'effet de la lumière ambiante. Ingénieux et un brin mégalomaniaque sur les bords. Pas si étonnant que ces types soient passés pour des dieux.

À côté du squelette, des lances, arcs et flèches étaient disposés, ainsi qu'un chaudron...

— Lady Carolyn, pourquoi est-ce qu'il y a toute une batterie de cuisine ? C'est étrange, non ?

— Cela fait partie de leurs rites. Le mort doit partir vers l'au-delà avec tout ce qui pourrait lui être utile et qu'il ne trouvera pas dans l'autre monde.

— J'imagine que dénicher un bon chaudron ne doit pas être facile.

La noble anglaise me rejoignit dans l'inspection des objets. Elle les lista dans son calepin avec application. Je finis par me demander si elle faisait durer son plaisir d'archéologue, car elle semblait ignorer le coffre en bois aux pieds du corps. Pourtant, il nous hurlait très clairement qu'il contenait les cristaux.

— Eli, est-ce que vous avez contrôlé ses bijoux ?

Non, je ne les avais pas remarqués, préférant ne pas trop m'attarder sur le cadavre. Ses doigts, ou ce qu'il en restait, arboraient des bagues et chevalières, montées de pierres précieuses pour la plupart. Elles iraient très bien dans ma bourse avec mes pièces. J'affrontais mon dégoût pour les dégager de ces phalanges antiques. Dès la première bague, l'articulation céda quand je tirai et l'os vint avec. Je poussai un petit cri de répulsion.

— Qu'est-ce que vous fabriquez ? s'inquiéta Lady Carolyn.

— Je... pense que... ça serait mieux que nous emportions les bijoux avec une pierre, nous n'avons pas le temps de toutes les tester. Elles sont peut-être magiques.

— Hum. En effet, c'est malin. Nous pourrons les essayer dans un lieu sûr.

Dans le doute, j'arrachai également celles sans joyaux, en détournant le regard au moment de tirer. Elles compenseraient le salaire que je ne toucherai jamais. Je glissais mon butin avec le reste de ma fortune.

— Hello jolie chevalière ! C'est la première fois que vous venez ici ?

Le résultat de mon travail, un petit tas de phalanges jaunâtres, me donna un haut-le-cœur. Je me concentrai sur le coffre pour ne plus y penser. Il était de taille moyenne, en bois terne et séché par le temps et fermé par un loquet en forme de soleil.

— Prenez garde si vous l'ouvrez ! m'alerta Lady Carolyn. Nous ne connaissons pas le pouvoir des cristaux qu'il contient, ne les exposez pas à une lumière trop vive.

Sage recommandation. Je soulevai très légèrement le couvercle, juste assez pour ce que renfermait ce coffre.

— Lady Carolyn ! Je comprends que cette vieille charrette puisse vous passionner et loin de moi l'idée de vous frustrer dans votre découverte. Mais je pense que nous devrions y aller. Vite !

— Il y a des cristaux dans le coffre ?

— Pire, il est plein à craquer. Peut-être que ce ne sont que des saphirs et des rubis, mais cela ne me rassurerait pas beaucoup plus de me promener avec une telle richesse.

Lady Carolyn hésita, elle jeta un regard circulaire sur la pièce avant de répondre.

— Vous avez raison, je me laisse emporter. Allons-y, mettons ces cristaux en lieu sûr, je pourrais revenir plus tard ici. En espérant que cela ne soit pas pillé entre temps.

Pressée, je soulevai le lourd coffre sans attendre une seconde de plus et titubait péniblement vers la sortie. Je n'avais imaginé qu'il pèserait autant. Néanmoins, marche par marche, je parvins à gravir l'escalier. L'air frais et pur de l'Irlande emplit à nouveau mes poumons. Son parfum fleurait si bon en comparaison de celui de la sépulture souterraine. À peine échappée de l'escalier, je déposai mon fardeau dans l'herbe, puis me redressai. Tout à coup, je sentis une pression circulaire et froide sur l'arrière de mon crâne.

— Ai-je besoin de vous préciser qu'il s'agit d'un pistolet ?

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