Chapitre 21

Du bruit dans le couloir m'aida dans ma réflexion. Mes poursuivants allaient débarquer d'un moment à l'autre. Je m'approchai de la lucarne et levai la partie mobile de la fenêtre. Je passai la tête dehors et... Nom d'une chèvre ! Je venais de prendre une bourrasque en pleine figure. Mon acrobatie s'annonçait plus périlleuse que prévu.

J'étais à deux doigts de renoncer quand quelqu'un tenta d'ouvrir une première fois la porte de la chambre. La chaise qui la calait tint bon. Le second essai ébranla le battant. Les geôles de ce château ne m'inspiraient guère, sans doute remplies de rats et de vieux squelettes, alors je fourrai le carnet dans ma livrée et franchis l'encadrement de la fenêtre. Je me plaquai contre les ardoises et les clous qui maintenaient ces dernières offrirent de subtiles prises pour mes pieds. Ainsi agrippée au toit anthracite, ma progression débuta.

Après deux mètres sur la quinzaine que j'avais à parcourir, j'entendis des bruits sourds derrière moi. Me retourner ne fut pas une mince affaire et le vent qui me fouettait le visage contribuait à complexifier la tâche. Isis avait sorti sa tête par la fenêtre que j'avais empruntée. À travers son air affolé et ses gestes dynamiques, elle tentait de me convaincre de rebrousser chemin.

— Je préfère finir en pain de viande que torturée par votre bourreau ! criai-je par-dessus les rafales, seulement à moitié persuadée par mes propos.

Au prix de quelques efforts, je présentais à nouveau mon dos à Isis.

— Eli, ne regarde pas en bas !

— T'es bête ou quoi ? Maintenant, elle va regarder !

— Taisez-vous ! Vous ne voyez pas que je suis occupée là ?

Et il fallait que je trouve un itinéraire pour contourner les deux lucarnes sur mon chemin. Isis et les sbires des McAllow essaieraient de m'intercepter par ce biais.

Quelques coups de tonnerre grondèrent au loin. J'avançais du mieux que je pouvais, cramponnée à mes petits clous tordus. Comme prévu, la coupe courte d'Isis réapparut par la fenêtre suivante. Elle tendait les bras pour que je la rejoigne. J'ouvris la bouche pour l'apostropher, mais une violente averse m'empêcha de parler. Un déluge orageux s'abattit sur moi, en moins d'une minute, je fus trempée de la tête aux pieds. Mes doigts mouillés subirent d'autant plus la morsure du vent et les ardoises perdirent toute adhérence.

— Quand est-ce que ce plan se déroulera enfin comme prévu ?

Accepter l'aide d'Isis ne me paraissait plus une si mauvaise idée. Je te pointai les orteils vers le clou suivant. Sauf que ma main gauche ripa et mon pied dérapa. Le déséquilibre me fit perdre mes derniers appuis.

— Nom d'une fichue crotte de chèvre !

Je glissai le long des ardoises, les clous m'écorchaient sans que j'arrive à les saisir. Mon heure était venue. J'allais terminer déchiquetée sur les rochers en contrebas. Soudain, j'atterris dans de l'eau qui m'éclaboussa. Je baissai les yeux et découvris que mes pieds se trouvaient au milieu d'une pierre creusée pour recueillir le contenu des gouttières qui longeaient le bas du toit. J'avais été sauvée par une boîte à eau ! Malgré mon soulagement, je regrettai qu'elle ne fût pas taillée en forme de gargouille. Ce détail aurait embelli mon histoire quand je l'aurais racontée à Fellow.

Bien que la chute m'eut paru longue, je n'étais que deux mètres plus bas et hors d'atteinte d'Isis. Si les gouttières en zinc supportaient mon poids, je rejoindrais encore plus vite l'angle avec la tour. Delà, je devrais pouvoir escalader le toit en dépit de la pluie battante. Je posai un premier pied dans la tubulure et transférai avec délicatesse mon appui. La tôle ne fléchit pas. Tout mon corps était maintenant à l'aplomb de mon pied droit. Je décollai mon second pied pour le glisser auprès de l'autre. Le zinc tenait bon. À l'aide de pas chassée, je repris mon avancée. Je portai mon regard vers Isis. À travers la pluie qui m'aveuglait, je parvins à la voir disparaître dans la lucarne. Elle avait deviné mon plan. J'accélérai. Mon chemin était le plus court, elle devait redescendre plusieurs étages pour rattraper l'escalier du donjon. Pour autant, je ne devais pas trainer. Et Fellow non plus.

L'averse ne se calmait pas, le vent ne faiblissait pas non plus et de nombreux éclairs déchiraient le ciel. Atteindre l'angle avec la tour fut un réel soulagement. Je pris appui d'un côté sur les clous et les ardoises, de l'autre dans les jointures des pierres. J'escaladai les quelques mètres qui me séparaient de la sécurité avec aisance. Les corneilles des remparts avaient déserté la terrasse circulaire, effrayées par la météo. J'enjambai les meurtrières pour atterrir à pieds joints. Dans la foulée, je fonçai vers la porte et l'ouvris. Des pas résonnaient dans l'escalier. Je décrochai sur le petit palier un flambeau prêt à l'emploi. Coincé entre le sol et le bas de la porte, il bloquerait quelques instants cette dernière. Du moins, c'était ce que j'espérais.

Cramponnée au rebord de pierre, je balayai l'horizon à la recherche d'un ballon salvateur.

— Nom d'une chèvre, Fellow ! Où êtes-vous ?

Avec le déluge en cours, la visibilité ne dépassait pas la cinquantaine de mètres et, rien en vue.

Un premier coup ébranla la porte d'accès au toit. Elle était épaisse, seulement il ne fallait pas que le bout de flambeau l'entravant glisse. Tout à coup, un morceau de montgolfière apparut. Elle remontait le long de la façade. Fellow, enfin !

Quand le panier arriva à ma hauteur, il ne put réprimer sa nature et lâcha un commentaire cynique :

— Vous auriez pu vous en tenir au plan !

— J'ai dû improviser ! Ils avaient deviné votre plan soi-disant génial. Aidez-moi à grimper au lieu de faire le malin.

— Vous avez le carnet ?

— Évidemment, je suis votre meilleur élément.

Je sortis le calepin en cuir de ma veste et lui tendis. À ce moment, la porte céda sous la ruée d'un grand domestique chauve et barbu, qui s'écroula au sol. Isis l'enjamba.

— Flûte !

J'attrapai la main que Fellow m'offrait et me hissai dans la nacelle.

— Vite ! Décollez !

Alors qu'il s'activait sur les volets du dispositif contenant le cristal, la jeune femme s'élança vers nous. Le panier d'osier commençait à s'écarter du bâtiment, ce qui n'entama pas sa détermination. Au contraire, elle accéléra. L'espace augmentait, je criai, giflée par la pluie.

— Non !

Malgré la distance qui nous séparait, elle prit appui sur une meurtrière et sauta. Tout se déroula en une fraction de seconde, pourtant dans ma mémoire, le temps sembla suspendre son cours. L'envol d'Isis manqua de puissance, elle réussit néanmoins à saisir le bord de la nacelle, déséquilibrant cette dernière. Elle s'inclina et me projeta contre l'osier. Une des mains d'Isis laissa échapper sa prise. Je ne réfléchis pas, mes réflexes agirent pour moi. Je me penchai par-dessus le vide et attrapai ses poignets. L'angle de notre barque des cieux s'accentua dangereusement.

— Tient bon Isis ! Fellow, ça serait bien si vous pouviez nous ramener à terre assez vite.

— Je fais ce que je peux avec les bourrasques.

— C'est vrai que la montgolfière en pleine tempête était une idée assez géniale !

Sans compter que la foudre continuait de s'abattre autour de nous.

— Ça serait pratique de connaitre la météo à l'avance pour vos plans foireux, hurlai-je entre deux coups de tonnerre.

— Il se trouve que justement...

— Pas maintenant Fellow !

J'essayais de hisser ma rivale, sans succès. Encore pire, je sentais que son poids m'entrainait, mes pieds se soulevaient du fond du panier.

— Fellow, j'ai un problème !

— Attendez, la flamme s'est éteinte. Il faut que je la rallume vite avant qu'on s'écrase en mer !

Je lisais la peur dans les yeux d'Isis. Elle s'agrippa plus fort à moi. Je tirai une nouvelle fois de toutes mes forces.

— Nom d'une...

Mes hanches venaient de franchir le point de non-retour et je basculai en direction des flots tumultueux de la mer d'Écosse.

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