Chapitre 14

— Madame, Monsieur Fellow est introuvable.

Le majordome déclara cela avec un air navré. Nous étions réfugiées, avec Lady Carolyn et une femme de chambre qui nettoyait mes plaies, dans un petit salon au rez-de-chaussée. Elle avait chargé le personnel de maison de convier Fellow à nous rejoindre une heure plus tôt. Il semblait s'être évaporé.

— Il n'est pas parmi les invités ?

— Non, Madame.

— Et vous avez vérifié toutes les pièces ?

— Oui, Madame.

— Même de votre côté ?

Le majordome rougit.

— C'est que... Il n'y a aucune raison pour que...

— Allez me fouiller vos quartiers, nom d'une pipe ! le coupa notre hôte.

Il s'échappa sans un mot, après une rapide révérence. Il revint quinze minutes plus tard, essoufflé.

— Madame, nous l'avons trouvé. Mais vous devriez venir voir !

Elle soupira en levant les yeux au ciel.

— Suivez-moi, Elisabeth, je sens que je ne suis pas au bout de mes surprises.

Le majordome nous guida dans les couloirs des domestiques jusqu'à un grand placard de linge de table. S'y trouvait, ligoté au sol, un bâillon sur la bouche, mon inimitable employeur. En le découvrant ainsi, je fus prise d'un fou rire. Il me jeta un regard noir et marmonna dans son obstacle de tissu.

— Je vais vraiment avoir besoin d'explications, commenta Lady Carolyn. Détachez-le et retournons au salon.

— Serait-il possible de nous y faire porter un peu de thé ? sollicita Thomas qui venait de recouvrer la parole.

Une fois installés, Carolyn le fusil sur les genoux et Fellow tasse à la main, l'interrogatoire débuta.

— Je ne sais plus par quoi commencer... Qui êtes-vous réellement ?

— Celui que je vous ai dit, Sir Thomas Fellow. Il n'y a aucune tromperie ici.

— Oh, j'en doute. Vous n'êtes venu dans ce manoir ni pour trouver un mari à votre cousine ni pour parler archéologie.

Fellow se racla la gorge. Son aisance habituelle semblait mise à mal par cette femme perspicace. Ou par son séjour dans le placard.

— Lady Carolyn, je vous prie d'accepter mes excuses. Cette jeune demoiselle s'appelle Elisabeth Magpie. Et n'est en rien ma cousine. C'est mon apprentie et assistante.

Je m'attendais à ce qu'il révèle ma basse origine, il n'en fit rien.

— Assistante en quoi ? reprit Pennwood.

— Nous enquêtons sur un meurtre.

Les sourcils de la femme armée se froncèrent.

— Je ne vois pas en quoi cela me concerne, ni en quoi cela implique le pillage de mon cabinet. Qui est mort ?

Nous échangeâmes un regard navré avec Sir Thomas.

— C'est votre ami, le professeur Chipperfield... Je suis désolé.

Horrifiée, Lady Carolyn porta une main à sa bouche. Ses doigts tremblaient.

— Qui pourrait vouloir l'assassiner ? demanda-t-elle les yeux brillants de larmes retenues. Comment un homme comme lui pourrait-il avoir des ennemis ?

Thomas posa sa tasse, se rapprocha et attrapa délicatement le bras de la jeune femme.

— Nous ne pensons pas qu'il en ait. Notre hypothèse serait liée au sujet de ses recherches. Plus notamment celles sur des cristaux particuliers.

Je guettai les réactions de la lady et de mon tuteur.

— Je vois de quels cristaux vous parlez. Continuez.

— Il se trouve que, reprit Fellow, j'ai moi-même quelques-uns de ces cristaux en ma possession. C'est ainsi que j'ai rencontré le professeur. Nous étudiions tous les deux ces gemmes. Il allait m'évoquer ses découvertes. Malheureusement, il n'en a pas eu le temps.

Il attendit quelques instants de recueillement avant de poursuivre.

— J'ai émis l'hypothèse que l'assassin en avait après ses recherches, mais que le professeur n'avait rien révélé. Cette théorie s'est précisée en apprenant l'existence d'un carnet de notes, dans la lettre que vous lui aviez envoyée. Votre utilisation d'une encre ne se dévoilant qu'à la lumière d'un cristal prouve la sensibilité des informations qui y sont consignées.

La mine de Lady Carolyn se fit plus grave, sa main resserra sa prise sur la crosse du fusil.

— Et donc vous vous êtes dit « Courtisons la naïve Carolyn, le meurtrier finira bien par venir voler le calepin » ?

Elle en pinçait bien pour Tom. Dommage pour nous, froisser le cœur d'une dame représente bien des périls. Gagner sa confiance après ça ne sera pas une mince affaire.

— Hé Rond de cuivre, t'as déjà vu un noble ramer ?

— Ouh, je sens qu'il va transpirer.

Fellow posa un genou à terre, au pied de Pennwood.

— Ces mensonges n'avaient qu'un seul but, Mademoiselle, ne pas vous impliquer davantage pour vous protéger.

— Oh oh, jouer le chevalier protecteur devant une femme qui sait se servir d'un fusil, mauvaise idée.

— Aujourd'hui, reprit-il, je le déplore. Quand je vois votre bravoure et votre détermination, je regrette de ne pas vous avoir mis dans la confidence dès notre rencontre. Nul doute que ce soir, nous aurions appréhendé les meurtriers.

— Oui, vous auriez été plus avisé de m'en parler et ce fusil serait braqué sur ces assassins, le sermonna Lady Carolyn.

Malgré ses mots, j'aperçus un subtil relâchement dans sa posture. Fellow avait réussi à naviguer en eaux troubles.

— Et pour vous prouver que je ne referais pas la même erreur, je vous propose de vous révéler ce que j'ai appris ce soir.

— J'espère que vous nous direz également comment vous avez fini bâillonné dans un placard.

J'explosai de rire devant la répartie acerbe de Carolyn. Non, définitivement, cette femme n'avait pas besoin d'un homme pour se défendre.

— Puis-je me permettre une hypothèse ? lançai-je pendant que Fellow encaissait le coup. Je dirais que notre ami a été drogué. J'intitulerai volontiers cet épisode « La soirée où la gent féminine malmena Sir Thomas Fellow ».

Lady Carolyn rit avec moi à mon trait d'esprit, et Fellow, beau joueur, nous accompagna.

— Mademoiselle Magpie, votre impertinence est toujours aussi délicieuse. Et vos observations s'affinent. J'en suis fort aise. Poursuivez, je suis curieux.

Je pris une tasse de thé avant de me lancer.

— Il nous faut repartir au théâtre. Les meurtriers n'avaient probablement pas déchiffré le courrier. Ils ne savaient pas que vous étiez en possession du carnet. Mais ils ont dû nous suivre. Nous avons repéré une jeune femme accompagnée d'une autre plus âgée. Je n'ai pas pu voir cette dernière. À bord du train pour rejoindre Bath, j'ai de nouveau aperçu la jeune femme.

Ses yeux verts si troublants apparurent dans mon esprit.

— Elles se sont surement renseignées sur vous, après le théâtre et ont estimé que le professeur pourrait vous avoir confié ses recherches. Ou bien, elles nous suivaient encore. Leur plan pour ce soir était bien préparé, comme le suggère l'usage de la montgolfière. La femme plus âgée se trouvait au milieu de la fête, en train de s'occuper de Sir Thomas, pendant que l'autre fouillait votre bureau.

— Et pourquoi pensez-vous à de la drogue ?

— La femme s'est révélée à Sir Thomas après qu'il a bu en lui portant un toast. Dans la seconde, Sir Thomas a paniqué et m'a demandé de courir à votre cabinet. J'en déduis également qu'il connait l'identité de son empoisonneuse. Je me risquerai à dire qu'il la connait intimement. Une fois drogué, il me paraît assez simple qu'elle ait pu, aidée d'éventuels complices, l'attacher et l'enfermer dans un placard.

Fellow se leva et applaudit.

— Vous êtes vraiment née pour cela, Mademoiselle Magpie. J'avais envisagé quelques suspects, maintenant, j'en ai le cœur net.

Il nous laissa le dévisager, pendues à ses lèvres. Il prenait plaisir à jouer avec nos nerfs.

— Oh, vous attendiez son nom ? s'étonna-t-il faussement avec un sourire narquois. Eugenia McAllow, fille ainée de Callum McAllow, Laird du clan McAllow.

Je me tournai vers Lady Carolyn, les sourcils levés. Devions-nous réagir à l'évocation de ce nom ?

— Non ? Rien ? Cela ne vous dit rien ? insista Fellow visiblement déçu. C'est pourtant l'avenir du royaume britannique qui est en jeu...

Il se laissa retomber dans un fauteuil.

— Si je dois vous donner un cours de géopolitique, pouvons-nous au moins le prévoir après un peu de repos et un petit déjeuner ?

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