Chapitre 10

— Prenez votre valise et suivez-moi !

Facile à dire, ce n'était pas lui qui venait de passer cinq minutes à la hisser. Fellow traversa le wagon et m'attendit à la porte. Il l'ouvrit quand je le rejoins. Je ne m'étais pas préparée à ce qu'elle donne sur une plateforme entre les wagons, en plein air, les rails défilant sous nos pieds.

— Est-ce bien prudent ? criais-je par-dessus le vent.

— Tant que vous faites attention, il n'y a aucun risque. Venez.

Il détacha la chainette qui fermait la rambarde de notre plateforme, fit de même avec celle de la voiture suivante et enjamba le vide. En m'approchant du bord, je ne pus résister à l'envie de regarder en bas. Mauvaise idée. Avec la vitesse, le ballast m'apparaissait sous la forme de raies grises ou beige.

— Il paraît qu'une simple pièce sur un rail peut suffire à faire dérailler un train.

— Tu veux dire que si elle nous faisait tomber on pourrait provoquer une catastrophe ferroviaire ?

— Oh ! Taisez-vous un peu !

— Kathy ! Ce ne sont pas des façons de parler à votre père alors qu'il vous encourage ! me gronda Fellow.

— Ce n'est pas à... Laissez tomber.

Je jetai ma valise de l'autre côté avant de sauter la rejoindre. Thomas pénétra dans le nouveau wagon. Dans celui-ci, le couloir était latéral et desservait une série de portes sur la droite. Mon faux père en ouvrit une pour entrer dans le compartiment. Je le suivis et découvris comme un minuscule salon, avec ses banquettes, sa petite table, sa moquette épaisse et ses rideaux en satin.

— Bienvenue à première classe !

— C'était ça votre plan ? Changer de classe ?

Il me lança un regard désapprobateur.

— Gardez votre sarcasme. Mon plan s'appuie sur un de vos atouts. Ouvrez votre valise, vous y trouverez un costume idéal pour un jeune bourgeois. Vous serez maintenant mon fils, Edgar Brown.

S'il savait le plaisir qu'il m'offrait en me permettant de renfiler un pantalon... Même si parfois j'avais pu éprouver quelques satisfactions dans la coquetterie féminine, je me sentais bien plus moi-même déguisée en homme. Je ne me fis pas prier pour fourrer ma perruque dans la malle en cuir.

Il défit les boucles de son propre bagage et en sortit une tenue bien plus luxueuse. Nous nous tournâmes le dos le temps d'enfiler nos nouveaux déguisements. Thomas avait bien plus fière allure ainsi. Il compléta son apparence avec une paire de favoris et une lavallière en soie vert forêt.

— Vous aviez également acheté des billets de première ? demandai-je une fois assise sur la banquette en cuir.

— Je préférais être prudent. Je commence à avoir ma petite idée sur nos poursuivants. J'attends une confirmation, mais si c'est le cas, c'est peut-être l'équilibre de l'Europe qui est en péril.

L'Europe et sa géopolitique étaient un univers abstrait pour moi. Mme Smith m'avait certes appris à lire, mais pour le reste, je n'en savais pas plus que ce qui se racontait dans la rue. Je n'étais pas très intéressée par le sujet, néanmoins, je lui demandai de m'en dire davantage.

— Je vous ai déjà évoqué que les grandes familles royales possèderaient des cristaux de lumière, certains très puissants. Après quelques guerres et errances meurtrières au cours des siècles précédents, elles auraient conclu un pacte : les cristaux devaient demeurer secrets et ne pas être utilisés. Et tout particulièrement pour attaquer son voisin. Ils devaient rester une forme de dissuasion et apporter la paix.

— Mais ? l'encourageai-je.

— Connaissez-vous Napoléon Bonaparte ?

— Le nom me parle vaguement.

— Peu après la révolution, il a pris la tête de la France et s'est lancé dans la conquête de l'Europe. Aux yeux de tous, il doit la réussite de son entreprise à son génie militaire. La vérité, c'est qu'il aurait mis la main sur les cristaux du trône de France et s'en serait servi ses fins. Dans un sens, on ne peut pas vraiment dire qu'il a rompu le pacte, il n'en avait pas connaissance. Toujours est-il que ses troupes triomphaient à travers le continent. Le Tsar de Russie, craignant pour son empire, n'a vu aucun autre moyen de le stopper qu'une entorse au pacte. La situation s'est alors retournée et les Russes firent reculer les Français et avancèrent vers l'ouest.

— Ce n'était plus pour vaincre Napoléon ? Ils en profitaient, non ?

Fellow haussa les épaules.

— Nous ne serons jamais. Notre Roi Georges III pressent le danger et choisit d'envahir la France et ses alliés. Les deux fronts se rejoignent à Vienne. Les deux souverains signent alors un accord et c'est ainsi que l'Europe est divisée en trois : les Russes à l'Est, les Suédois au Nord et les Anglais à l'Ouest.

Les vibrations du train associées à cet ennuyeux cours d'histoire me donnèrent envie de bâiller. Tout cela était bien beau, mais être la première puissance mondiale n'avait pas rempli les assiettes de toute la population.

— Tant que vous me payez à la fin.

Il esquissa un sourire.

— Ne vous inquiétez pas pour ça, à mes côtés, l'argent ne sera plus un problème pour vous.

Sur ces paroles, il sortit un livre et se plongea dans ses pages, tandis que je profitai du voyage pour découvrir la verdoyante campagne anglaise. Non, Londres ne me manquerait pas.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top