Le lendemain matin, Eliott fit sa routine habituelle, enfila sa veste et parti une nouvelle fois pour le chemin de Traverse, avant de bifurquer dans l'Allée des Embrumes et de se diriger vers son nouveau travail. Le vieillard était déjà en train de travailler et ne répondit pas quand Eliott le salua. Le jeune homme posa sa veste sur un porte manteau poussiéreux derrière le comptoir avant de demander un peu timidement ce qu'il devait faire. Le vieillard lui pointa un parchemin sur une table dans l'arrière boutique avant de se remettre à remuer son mélange goudronneux. Eliott prit alors le papier et le lut, voyant qu'il s'agissait de son contrat. Comme évoqué la veille, il gagnerait bien six gallions par jour, avec un travail de neuf heure à dix-sept heure. Il découvrit par la même occasion le nom de son patron : Rolf Burke. Après avoir trouvé une plume et une petite bouteille d'encre, il signa en bas de la page et reposa le parchemin, retournant vers le comptoir pour demander ce qu'il devait faire.

《Y a des outils dans l'arrière boutique, les ingrédients sont dans le placard. On a les commandes affichées sur le tableau.》

Et sans en dire plus, Rolf saupoudra sa potion en laissant encore Eliott se débrouiller. Le nouvel employé haussa légèrement les sourcils puis alla observer les tâches à effectuer. La potion en cours allait nécessiter quelques ingrédients en plus, le prochain étant... des oeufs de doxxy. Après s'être figé un petit instant, Eliott souffla et alla vers le vieux placard, priant pour ne pas avoir à aller en chercher. Il ouvrit la petite porte grinçante et se trouva face à une pièce poussiéreuse et mal éclairée. Après une hésitation, il se baissa et entra à l'interieur, cherchant des yeux les oeufs. Un mélange de soulagement et de frustration le prit quand il en vit un plein bocal dont il se saisit, maudissant intérieurement Farel de ne pas avoir eu cette réserve.

Le reste de la journée s'écoula lentement, dans l'atmosphère pesante de la boutique, au silence troublé seulement par le bouillonement des mélanges, la découpe des ingrédients et les quelques clients venant passer discrètement une commande pour un philtre ou une substance ne pouvant récolter que peu d'approbation. Rolf lui remit les six gallions du jour et le laissa partir. Eliott alla alors au Chadron Baveur où il fut presque immédiatement rejoint par Emily. Ils échangèrent pendant une petite demi-heure sur leurs journées, le jeune homme étant au final plutôt satisfait de son travail malgré le cadre pas forcément très appréciable. Puis il demanda un peu timidement :

《Dis... est-ce que tu as eu des nouvelles de mon père ?

- Non, désolée. Je ne sais pas du tout ce qu'il fait. Tu as essayé de lui envoyer un hibou ?

- En fait je pensais peut-être aller le voir... mais je ne sais plus vraiment si je suis sûr de moi. Et si ça se passe mal... Après Martin, mon travail...

- Tu risques de te torturer avec pendant des semaines si tu n'es pas fixé, mais si tu as trop peur ce n'est pas grave. Je peux lui transmettre un message si tu veux ?

- Non, merci beaucoup c'est très gentil. Je... Tu sais quoi je vais aller le voir aujourd'hui. Même cinq minutes, j'ai besoin de savoir.

- D'accord. Tu veux que je t'accompagne ?

- Oh... je veux bien... ça ne te dérange pas ?

- Pas du tout, c'est moi qui te le propose.》

Elle lui sourit d'un air affectueux et il la remercia, puis ils se levèrent après un instant avant de se mettre à l'écart pour transplaner. Quelques secondes plus tard, le duo réapparut devant le portillon de la maisonnette campagnarde du père de Eliott. Après une hésitation, le jeune homme posa la main sur la poignée et l'ouvrit doucement avant de traverser le jardin, suivi par Emily. Il s'immobilisa ensuite devant la porte, hésitant à frapper, puis regarda son amie sans savoir quoi faire. Elle lui dit doucement :

《Je vais me mettre sur le côté, si tu as besoin de moi fais moi signe. Et si tu as vraiment trop peur, on peux repartir et revenir un autre jour.》

Elle accompagna sa proposition d'un sourire destiné à le rassurer, et Eliott reprit un peu d'assurance, la remercia gentiment puis frappa. Son anxiété monta lentement tandis que les secondes s'écoulaient, quand la porte s'ouvrit. Derrière, son père s'était figé en le voyant et bégaya en pâlissant :

《Eliott...Qu'est-ce que tu fais ici ?》

L'appréhension de Eliott enfla soudainement devant le visage angoissé de son père, et il répondit :

《Je suis venu prendre des nouvelles, ça fait quelques temps qu'on a pas parlé.》

Son père baissa légèrement les yeux, l'air prêt à fermer la porte, et dit piteusement :

《J'ai besoin de temps.》

Alors que Eliott allait demander des précisions, son aïeul poursuivit :

《Tu sais bien pourquoi. J'ai besoin de temps pour me faire à ça.》

Son fils baissa les épaules et répondit :

《Mais il n'y a rien à quoi s'habituer... je suis juste malade, je n'ai pas changé.》

Le sexagénaire secoua la tête :

《Tu es dangereux Eliott, tu es un loup. Tu crois que c'est facile pour moi de me dire que mon fils est un loup ?》

Eliott rétorqua alors que la colère venait s'ajouter à sa tristesse :

《Et tu crois que c'est facile pour moi ? D'autant plus quand je perd mes amis, mon travail et maintenant ma famille à cause de ça ?

- Je n'ai pas dit le contraire...

- J'ai dû aller me faire enregistrer dans le service des animaux, j'ai à peine quelques aides pour avoir des traitements même pas vraiment efficaces. C'est moi qui ai le droit de me plaindre !》

Le visage de son père se décomposait alors que Eliott lâchait ce qu'il avait sur le coeur dans un puissant besoin de se soulager du poid qui lui pesait :

《Je me fais refuser des emplois, on me traite de sale bête, de velu, je sert à faire peur dans les histoires pour enfant, mes amis me traitent de monstre et parlent de moi à leur collègues comme d'une bête de foire immonde comme un veracrasse, je dois prendre des potions immondes au risque de tuer ceux que j'aime ! Tu crois que c'est facile pour moi tout ça ? Il ne me reste personne à part Emily et toi, enfin je le pensais. Donc s'il te plaît papa, j'ai besoin de toi.》

Son père le regardait, les traits horrifiés, mutique. Après quelques secondes, il tressaillit et baragouina :

《Désolé, je ne peux pas》

Et se mit à refermer la porte. Emily se précipita alors pour la maintenir ouverte et l'implora :

《S'il vous plaît Arnold, Eliott a besoin de vous. Votre fils est toujours le même, je vous le jure.》

Mais il referma la porte en begayant une nouvelle excuse à peine compréhensible, les laissant sur le porche. Eliott sentit des larmes brûlantes couler sur ses joues et repartit brusquement du jardin avant de transplaner. Emily regarda une dernière fois la maison et transplana à sa suite. La soirée fut très longue pour elle comme pour lui, à tel point qu'elle finit par s'endormir sur le canapé de son salon après être resté éveillée longuement à ses côtés, tentant de le consoler et de le rassurer. Il avait fini par s'endormir quelques minutes avant elle, après l'avoir remerciée avec une gratitude plus grande que jamais d'être aussi patiente, culpabilisant de lui en faire faire autant.