Chapitre 4
L'affrontement terrestre fut le plus rude entre les démons et les sorciers. À tel point que les autres espèces magiques voulurent fuir ce conflit. Pour cela, à l'aide de leurs pouvoirs respectifs, ils migrèrent dans le deuxième monde, Elfat ; là où les adversaires de la Terre étaient bien incapables de les suivre. C'est ainsi que les Elfes, Fées et la majorité des créatures magiques désertèrent la planète bleue.
Basil ZIAD, Encyclopédie des créatures magiques
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L'aube annonciatrice d'une nouvelle journée se leva sur l'académie. Les rayons du soleil, encore timides, réchauffaient la pierre des bâtisses. La chaleur naissante mettait en joie les oiseaux de passage, qui ne se retenaient pas de chanter leur bonheur. Après les précipitations de la veille, le temps était propice à une öiche estivale. Les premiers étudiants quittaient le quartier résidentiel, leurs têtes encore embrumées des rêves de la nuit. Au premier étage du dortoir des filles, une surveillante s'acharnait à réveiller une élève récalcitrante. Les coups sourds sur sa porte de chambre eurent raison de Maïa qui, à contrecœur, répondit à la malotrue. La surveillante se retint de passer un savon à la jeune femme en découvrant son visage enfariné, encadré par une chevelure blonde en pagaille.
— Dépêche-toi de te préparer ! À défaut de te rendre au réfectoire, qui est sur le point de fermer, arrive au moins à l'heure à ton cours, se contenta-t-elle de dire, blasée.
L'étudiante retardataire lui ferma la porte au nez après avoir baragouiné une phrase inintelligible. Elle ne prit pas la peine de faire son lit et se dirigea vers la salle d'eau en traînant des pieds. Le liquide chaud qui ruisselait sur son corps la fit sortir de sa léthargie. Ce fut alors qu'elle prit conscience de son retard au combien important. Maïa ferma le robinet et se précipita hors de la douche. Dans sa hâte, elle glissa sur le carrelage et se rattrapa de justesse à l'évier. Les divers cosmétiques qui y étaient entreposés chutèrent sur le sol sous les jurons de la jeune femme. Elle n'avait plus le temps de tergiverser, le rangement de sa chambre attendrait. Assise sur son lit, elle regarda rapidement son emploi du temps et enfila dans un même mouvement ses bottes.
Certains cours du tronc commun permettaient de réunir sa promotion au grand complet. C'étaient les rares moments où elle pouvait passer du temps avec Kalen. Ils avaient tous les deux choisi des spécialisations différentes. Lui étudiait pour intégrer la marine marchande. Les maîtres de l'eau étaient très utiles aux navires pour la navigation, mais aussi pour la sécurité des biens transportés.
Maïa, quant à elle, subissait un entraînement plus intense. Sport de combat, étude des créatures magiques, renforcement magique étaient les axes à prioriser pour toute personne voulant intégrer la section élémentaliste de la Garde de Wacil. L'Académie de Morvan fonctionnait selon trois niveaux distincts.
Le premier cycle était décisif pour l'avenir des élèves. Tout le monde était mis dans le même panier, cours identiques et mêmes examens. Les points cumulés lors des travaux pratiques tout au long de cette période et de l'évaluation finale permettaient aux enseignants d'établir un classement. En fonction du positionnement dans la liste, certaines formations étaient accessibles ou non. Plus haut se trouvait l'étudiant dans le classement, plus il serait dans les premiers à faire son choix. Les places pour la formation d'élémentalistes pour la Garde étaient les plus difficiles à obtenir et les plus prisées. À la suite de longues périodes d'acharnement, la jeune femme avait décroché les meilleurs résultats de l'académie.
Le deuxième cycle était dédié aux bases de la spécialisation et le dernier s'effectuait en alternance, entre école et futur milieu de travail, pour être validé.
Maïa ferma rapidement la porte de sa chambre et sortit de l'internat à toute vitesse. Elle slaloma dans la foule dense d'étudiants qui se dirigeaient vers les salles de classe. Si seulement elle pouvait arriver à temps. Son cours commun se déroulait dans l'aile ouest du bâtiment du côté opposé aux quartiers étudiants. La traversée fut laborieuse mais, à force de sprinter, elle arriva à destination juste à temps. À bout de souffle, elle reprit sa respiration dans la file d'attente auprès d'un charmant brun.
— Eh bien, dis-moi quel exploit ! Melle Ermalda serait-elle à l'heure, pour une fois ? ricana le jeune homme.
— Tu as vu ça ? Tu devrais me féliciter Kalen, répondit-elle toute sourire.
— C'est dommage que le professeur Myläs soit absent...
La jeune femme en resta bouche bée. Néanmoins, un détail la perturba malgré la déclaration de son ami. La file d'élèves ne s'était pas dispersée et tous attendaient, sagement rangés contre le mur.
— Et bien pourquoi tout le monde reste ici dans ce cas ?
— Le proviseur a une annonce à nous faire par rapport à l'excursion annuelle, avoua Kalen en lui décochant un clin d'œil.
— Ah ! se lamenta la blondinette. Dans quel coin vont-ils nous envoyer cette fois-ci ?
— Qui sait ! Nous aurons peut-être le droit à une belle surprise pour une fois.
— Mais oui... l'espoir fait vivre !
Sur ces belles paroles, Maïa suivit le flux qui se mit en mouvement pour entrer dans la salle. Avec Kalen, elle alla se placer dans la dernière rangée tandis que le proviseur rejoignait l'estrade. Le jeune homme avait raison, ce cycle promettait d'être exceptionnel. L'Académie de Morvan les envoyait en excursion au Lac de Punarau. La jeune femme se réjouissait déjà, ce lieu magnifique ne cessait de l'émerveiller depuis sa tendre enfance. Un maître de l'eau digne de ce nom se devait de manipuler son fluide si spécifique au moins une fois dans sa vie. Cette célèbre étendue abritait différentes créatures magiques, et rares étaient les personnes qui pouvaient se vanter d'en avoir rencontré une. Du fait de leur présence, l'eau du lac était chargée de magie élémentaire. Le vieil homme avait passé toute la matinée à leur exposer le déroulement de cette fameuse sortie. Lorsque au zénith la sonnerie retentit, la salle se vida en un temps record. Contrairement aux autres élèves, Maïa ne prit pas la direction du réfectoire pour se restaurer. Voyant son amie partir dans le sens opposé au sien, Kalen s'interrogea.
— Maïa, s'écria-t-il, tu ne viens pas manger ?
— Désolé j'ai un rendez-vous et je ne peux pas me permettre d'arriver en retard !
— Sans blague ! l'imita Kalen sous son regard courroucé. Fais-moi signe quand tu pourras m'accorder un peu de ton temps, princesse.
— Je n'y manquerais pas ! À plus, Kalen !
Elle se rendit dans la zone administrative. C'est dans ces locaux que se trouvaient les bureaux des enseignants. Après le proviseur, le professeur Ziad était le mieux loti parmi le corps enseignant. Éminent spécialiste des créatures magiques, il avait pendant longtemps voyagé à travers les royaumes d'Elfat. Le gouverneur lui-même avait insisté pour qu'il vienne enseigner aux jeunes élémentalistes de l'eau.
Maïa avait à peine fini de toquer à la porte que celle-ci s'ouvrit à la volée. Le professeur Ziad en sortit en trombe en lui lançant un sac qu'elle rattrapa de justesse.
— Tenez ! Cela vous sera utile, lui dit-il.
Figée sur place, elle ne comprit pas ce qui était en train de se passer. Elle sortit de son état d'ébahissement au moment où le professeur Ziad disparut dans le couloir principal. Maïa mit le sac sur son dos et courut rattraper son enseignant. Au bout de quelques minutes à le suivre dans les dédales de l'établissement, elle se montra plus curieuse.
— Euh ! Excusez-moi, professeur ? Où allons-nous ?
— Aux écuries. Dépêchons-nous !
— Nous allons écouter les indications de cette étrange femme ?
— Exactement ! Même si je ne peux pas faire confiance comme cela à une inconnue, il y a quelque chose d'important à voir là-bas, donc nous y serons à l'heure indiquée.
Lors de leur entrée dans les écuries de l'école, un palefrenier montra un box à l'étudiante. Maïa observa son professeur disparaître dans une alcôve et s'empressa de faire de même avec celle qui lui était attribuée. Elle y trouva un hongre alezan qui mâchouillait la paille fraîchement apportée par le palefrenier. L'homme s'arrêta à son niveau et déposa en équilibre sur la porte en bois la selle et son tapis.
— J'ai déjà installé la bride et fait les sabots, lui annonça-t-il. Je te laisse t'occuper du reste.
Le palefrenier délaissa la jeune femme pour accueillir les nouveaux arrivants à l'entrée de la bâtisse. Maïa se saisit du tapis et le positionna sur le dos de l'animal en s'assurant de recouvrir au mieux son garrot. Elle posa la selle par-dessus et s'appliqua à faire le dégarottage correctement. Après avoir tiré sur le haut du tapis qui dépassait vers l'avant, elle introduit les sangles dans les passants. Maïa régla les étriers de chaque côté de l'hongre et dénoua les reines de l'anneau fixé au mur. Son compagnon en main, elle rejoignit le professeur Ziad dans la cour. Avant de se mettre en selle, elle fit faire quelques pas à sa monture dans le carré d'herbe près de la sortie. Au bout de quelques minutes, Maïa passa le licol autour du cou du cheval. Elle s'installa sur le dos de l'animal, avec la facilité d'une cavalière chevronnée, et régla de nouveau les étriers pour se sentir à son aise. Le professeur Ziad approcha sa monture de la sienne et ils se mirent en route pour leur première étape, à plus de deux heures de trajet : le village de Tekirn.
— Il y a un sandwich pour votre déjeuner dans votre sac, déclara Basil après avoir entendu le ventre de son élève émettre des gargouillis.
Maïa s'empressa de s'emparer de son repas et y mordit à pleine dent. Tout en mastiquant son casse-croûte, elle détailla le contenu de la besace. Lorsqu'elle reconnut ses vêtements et son pyjama, elle faillit s'étouffer. Elle se tourna vers son enseignant pour réclamer des explications en se retenant d'exprimer son indignation.
— Le rendez-vous n'est que demain matin, nous allons passer la nuit chez un ami à Tekirn. J'ai demandé à une surveillante de prendre quelques-unes de vos affaires pour ce soir. Je ne vous cache pas qu'elle était très mécontente de la tenue de votre chambre. Si je me souviens bien, il était question de catastrophe naturelle.
Maïa ne sut quoi dire et décida de ne pas donner davantage de grains à moudre à son enseignant. La suite du trajet se réalisa dans le plus grand des silences. À l'approche des murs d'enceinte du village, le professeur fit accélérer leurs montures pour ne pas se retrouver bloqué dans les flux entrants et sortants de fin de journée. Tekirn était un village de commerçants, sédentaires et nomades se regroupaient toute l'année pour exposer leurs marchandises. Rendez-vous incontournable pour tous les chineurs du royaume et au-delà. Toutes ces richesses attiraient les badauds de tout milieu social et, inévitablement, les malfrats. Pour se prémunir d'un tel fléau, les habitations étaient entourées d'une muraille de pierre, l'entrée principale se voyait porte close à la tombée de la nuit et des gardes observaient une ronde stricte.
Le poste de contrôle passé, le duo prit le chemin de l'écurie du village pour y déposer les montures. Après avoir abandonné quelques pièces dans les mains du palefrenier, le professeur Ziad entraîna son élève dans les méandres du marché principal. Épuisée à forcer le passage dans la foule agitée, Maïa peinait à le suivre et manqua de se perdre au moment où il s'immobilisa devant un atelier de poterie. L'enseignant s'engouffra à l'intérieur et elle s'empressa de lui emboîter le pas.
Il s'approcha du comptoir désert et fit tinter la clochette pour prévenir de la présence d'un client. Le bruit d'outils que l'on délaisse sur l'établi résonna dans l'arrière-boutique et le potier fit son apparition en essuyant sur son tablier autrefois blanc ses mains recouvertes d'argile rouge.
— Basil ! s'exclama-t-il en faisant le tour du comptoir pour prendre le professeur dans ses bras. Je suis content de te revoir. Après avoir reçu ton message, je m'attendais à t'accueillir que dans la soirée.
— Je te remercie de bien vouloir nous héberger chez toi, mon ami. Je suis venu plus tôt pour que l'on se prépare tranquillement pour demain. La précipitation ne mène à rien.
Phoy se débarrassa de son tablier qu'il suspendit à un crochet sur la porte d'entrée, et retourna l'écriteau qui y pendait pour indiquer la fermeture du magasin.
— Ça tombe bien que vous ayez de l'avance, mon épouse sera ravie d'avoir de la compagnie pendant qu'elle concocte notre repas. J'ai également réfléchi à ton affaire et j'aurais une proposition à te faire concernant ton moyen de locomotion.
La femme de Phoy était une véritable tornade, rien que son accueil donna le tournis à Maïa. Celle-ci l'incita à aller déposer ses effets dans sa chambre d'un soir, ce qu'elle s'empressa de faire. Avant de retrouver ses hôtes dans le salon, elle prit le temps de se déchausser et de masser les zones qui la faisaient souffrir, suite à la chevauchée intensive du jour. Lorsqu'elle refit son apparition, le professeur l'invita à s'asseoir autour de la table sur laquelle Phoy avait déroulé une carte. L'homme pointait un endroit perdu dans un secteur boisé.
— Votre lieu de rendez-vous, se contenta-t-il d'annoncer. Pour arriver à temps, il faudrait quitter le village aux premières lueurs du jour.
Cette déclaration fit souffler la jeune femme de désespoir tandis que Basil leva les yeux au ciel. Celui-ci acquiesça et confirma que leur timing avait bien été calculé en prenant en compte cette donnée, ce qui fit grimacer le potier.
— Ce que tu n'as pas dû prévoir, c'est que suite à des actes de vandalisme, les consignes de sécurité se sont durcies. À tel point que seuls les professionnels ont l'autorisation de quitter le village avant les premiers rayons.
— Cela va poser problème, avoua le professeur. Et il est trop tard pour sortir passer la nuit à l'extérieur.
— N'aie pas d'inquiétude, Basil, le rassura la cuisinière en enroulant ses bras autour du cou de son homme. Mon Phoy a pensé à tout.
***
Un énième rebond, dû au passage de la charrette sur un tas de cailloux, vint à bout de la sérénité de la jeune blonde.
— J'en peux plus ! J'ai mal dans tout le corps. Ce moyen de transport n'est pas du tout confortable !
— C'est une charrette, petiote ! lui rappela Phoy. Veux-tu te calmer, je te prie ? Tu vas faire peur aux ânesses.
Afin de pouvoir quitter le village le plus tôt possible, le potier s'était proposé de leur servir de chauffeur. En utilisant la charrette de Phoy, nos comparses purent sortir de l'enceinte sans problème. Cela faisait pratiquement une heure qu'ils suivaient un sentier traversant la forêt qu'avait indiquée Phoy la veille sur sa carte. Les nerfs de la jeune femme étaient à cran, car le lieu spécifié par l'apparition venait d'être dépassé et qui plus est à l'heure prévue. Basil tentait d'apercevoir le moindre signe, mais rien du tout. Outre la déception, il se sentit honteux d'avoir cru à une possible révélation.
— Phoy, faisons demi-tour, se résigna-t-il.
— Comme tu veux, mon ami. Je suis désolé que tu n'aies pas trouvé ce que tu cherchais. En revanche, je vais devoir continuer un peu. Il y a une fontaine plus loin et mes bêtes ont besoin de se rafraîchir avant de reprendre la direction de Tekirn.
Déçue d'avoir enduré ce trajet chaotique, Maïa rumina à l'arrière de la charrette. Elle ne supportait plus ses sursauts maudits. Pourquoi cette femme leur avait-elle fait faire tout ce chemin pour rien ! Elle ne put contenir plus longtemps sa frustration et explosa sans prévenir.
— Nous sommes vraiment des idiots !
Maïa n'eut pas le temps d'enchaîner avec d'autres jurons qu'elle fut projetée au fond de la charrette. Son saut d'humeur, comme l'avait prévu Phoy, avait effrayé les deux ânesses. Elles s'étaient emballées et fonçaient droit devant à toute allure. Phoy tentait d'aboyer des ordres, mais rien ne fonctionnait. La jeune femme se demandait si sauter maintenant hors de la charrette, avant de se prendre un arbre, ne serait pas une mauvaise idée. Elle allait faire part de sa réflexion à ses compagnons lorsque le transport se figea subitement. À peine furent-ils remis de leurs émotions qu'une trombe d'eau fusa vers eux.
Complètement trempée, Maïa quitta la charrette en s'élançant sur le sentier. Prise par surprise, elle n'avait pas eu le temps de réagir, contrairement à son enseignant. Basil avait gelé le liquide projeté, sur Phoy et lui, pour les maintenir ainsi au sec. Ce qui n'avait pas été le cas de la jeune femme qui regardait, médusée, la glace s'évaporait selon la volonté du professeur Ziad. Elle se retourna donc vers le responsable de l'attaque. Une fille de son âge, aux cheveux ébène, se tenait hébétée devant les ânesses. Maïa allait lui adresser la parole quand celle-ci s'effondra inconsciente sur le sentier.
— Non, mais c'est une blague ! hurla la blondinette trempée jusqu'aux os en levant les mains au ciel.
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