Chapitre 4 : Le Centre
Et là, mon souffle se coupa. Ce que j'avais sous les yeux était à peine croyable.
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Je nageais en plein rêve. Depuis toute petite, je m'imaginais à quoi pouvait ressembler l'Autre Rive de près. L'environnement, les bâtiments, les rues. Tout. Et j'étais à présent dedans. Enfin, plus ou moins, puisque ce n'était pas l'Autre Rive, mais une reproduction miniature.
Néanmoins, cette dernière n'en était pas moins époustouflante. La verdure dominait l'espace. Des arbres s'élevaient jusqu'à perte de vue tout autour de nous. Sous mes pieds se trouvait une herbe fine, verdoyante. Les bâtiments que je voyais non loin de nous, sans doute le centre, resplendissaient eux aussi. Recouverts d'un matériau flambant neuf reflétant tel un miroir les rayons du soleil couchant, ils disposaient d'une architecture que je n'avais jamais vu auparavant, tout droit venue d'un autre monde.
J'étais tout bonnement émerveillée, les yeux brillant comme ceux d'une enfant de quatre ans. Je revins cependant vite à la réalité quand Kelyo me tira par le bras pour suivre le groupe à présent au complet, mené par la superviseure, s'engageant dans une grande allée qui conduisait certainement au centre. J'en profitai pour m'éclaircir les pensées en secouant énergiquement la tête.
Que me prenait-il ? J'étais en train de contempler béatement un endroit qui, certes, semblait paradisiaque, mais qui abritait toutefois le jeu le plus cruel jamais inventé.
- Plutôt pas mal ici, hein ? me lança Kelyo, amusée, qui m'avait sûrement surprise en pleine admiration.
Je souris ironiquement.
- Si on omet le fait que nous allons certainement mourir ici, oui, pas mal, répondis-je froidement.
Son sourire se fana. Je venais probablement de lui briser le moral, mais la vérité devait être dite. Elle ne devait pas tomber dans le piège de cristal qu'était Elevation. Tandis que nous marchions, un garçon du groupe accéléra la cadence pour se retrouver au niveau de la superviseure, qui l'observa avec étonnement.
- Est-ce qu'on prendra nos repas avec les Chasseurs ? J'aimerais bien faire un peu connaissance avec mes futurs assassins, demanda-t-il en ricanant bêtement.
Je levai les yeux au ciel pendant qu'un groupe le suivait en riant. La superviseure, elle, n'avait pas l'air de s'amuser, puisqu'elle le foudroya du regard.
- Vous n'aurez aucun contact avec eux, hormis pendant les épreuves, cracha-t-elle, agacée.
Il sourit mais ne répondit rien, comprenant que sa patience avait des limites. J'étais, de mon côté, de plus en plus intriguée. Au fond de moi, je voulais avoir la possibilité d'en apprendre plus sur ces chasseurs. Je haïssais l'idée d'affronter d'illustres inconnus. A quoi ressemblaient-ils ? Etaient-ils détestables, cruels, à l'image de leur profession ? Je ne pouvais m'empêcher de penser le contraire. Ils étaient jeunes, tout comme nous. Peut-être étaient-ils contraints de faire ce travail ? Je n'en savais rien, et cela m'horripilait.
Je relevai la tête à l'entente de la voix glaciale de la superviseure, au même moment où le groupe s'immobilisait.
- Voici le centre, où vous passerez les prochaines semaines. Vos numéros de chambre vous ont déjà été communiqués, vous pouvez donc vous y rendre. Bien que l'heure du dîner soit déjà passée, je suppose que vous n'avez pas grand-chose dans le ventre. Rendez-vous au réfectoire à vingt-deux heures, un buffet sera à votre disposition. Vous devez prendre des forces pour la première épreuve. Le réfectoire se trouve au rez-de-chaussée, vous ne pourrez pas le louper, expliqua-t-elle, un masque figé sur le visage.
A peine avait-elle terminé que des participants se ruaient à l'intérieur du bâtiment, impatients de découvrir leur chambre. Je les suivis plus calmement. Le soleil était à présent presque couché, baignant l'endroit d'une lumière rougeoyante. Lorsque je pénétrai dans le bâtiment, je me pris une seconde claque mentale. Sa propreté et sa modernité étaient un spectacle qui ne m'avait jamais été donné de voir auparavant. Il fallait dire que les seules véritables maisons que j'avais pu observer étaient des ruines.
Une douce moquette beige tapissait le sol du hall d'entrée. La porte battante à l'autre bout se balançait au rythme des participants effrénés qui la franchissaient. Sans perdre plus de temps, l'impatience me gagnant également, je m'avançai. De l'autre côté de la porte se trouvait un long couloir, décoré de la même manière, épuré.
A ma gauche, des baies vitrées se suivaient, laissant apercevoir le réfectoire. A ma droite, ces vitres transparentes, parfaitement propres, me séparaient d'une grande salle de musculation, remplie de toute sorte d'appareils qui m'étaient inconnus, et d'un ring de boxe. Je ne pus m'empêcher de sourire en me remémorant les après-midis que j'avais passé avec Tray dans un enclos vide, que nous utilisions comme ring, pour m'entraîner au combat.
Mon sourire se transforma rapidement en grimace. Je l'avais quitté il y a seulement quelques heures, pourtant il me manquait déjà affreusement. Le souvenir de ses lèvres contre les miennes était encore présent tel une empreinte sur mon corps. Je décidai de le sortir de ma tête pour me concentrer sur ma situation actuelle.
- T'attends quoi pour aller découvrir ta chambre ? retentit une voix derrière moi.
Je me retournai, surprise. Un garçon de mon âge se tenait face à moi, en plein milieu du couloir. Il me regardait, un sourcil relevé en souriant légèrement.
- Rien, je m'apprêtais à y aller, lui répondis-je d'un air neutre.
- Tu es à quel numéro ? continua-t-il tout en avançant pour me rejoindre, semblant ignorer mon air peu avenant.
- 34, lâchai-je tout en suivant attentivement ses mouvements du regard.
Son sourire s'agrandit.
- Je suis dans la chambre 36, ça fait de nous des voisins, rigola-t-il, tandis que je le fixai du regard, blasée.
- J'imagine, oui, me contentai-je de répondre.
J'étais très réservée dès que je me retrouvais en présence d'étranger. Et je détestais faire la conversation de manière aussi futile. Sans plus attendre, je me tournai de nouveau pour faire face au grand escalier en marbre qui se trouvait au bout du couloir. J'entrepris son ascension, tandis que l'inconnu me suivait silencieusement.
Je fronçai les sourcils. Pourquoi, quand je ne souhaitais parler à personne, tout le monde se sentait obligé de venir à moi ? Je soupirai, agacée. Après plusieurs minutes qui me parurent interminables, nous atteignîmes enfin le troisième étage. Quelques personnes arpentaient le couloir, cherchant tout comme nous leur chambre. Nous devions être les derniers.
Sans adresser le moindre regard à mon "voisin", je scrutai les numéros des portes tout en avançant. Je m'arrêtai devant le 34. Je posai ma main sur la poignée et l'abaissai.
- A bientôt, voisine, me lança le pot de colle à ma droite, qui ouvrait sa porte en même temps que moi.
Je ne pris pas la peine de répondre et pénétrai dans ma chambre. Je refermai aussitôt la porte puis soupirai d'aise. J'avais enfin droit à un peu de calme et de tranquillité. La chambre était, je devais l'avouer, magnifique. Très épurée comme le reste du bâtiment, ses couleurs dans les nuances de gris et de beige donnaient une impression d'harmonie et de modernité.
Au centre trônait un lit double, à baldaquin, aux draps somptueux. Le matelas semblait épais et moelleux. Je m'imaginais déjà m'allonger dessus et m'enfoncer dedans avec un plaisir non dissimulé. Je n'avais jamais été témoin d'un tel luxe, dont j'allais en plus pouvoir bénéficier.
Je regardai l'horloge accrochée au mur. Il était vingt-et-une heures trente. Il restait une demi-heure avant que je doive descendre au réfectoire. Peut-être pouvais-je m'accorder un petit répit ?
Sans hésiter, je me jetai sur le lit avec un rire enfantin. J'enfouis la tête dans les multiples coussins le recouvrant. Une odeur enivrante m'enveloppait à présent. Je me retournai sur le dos, les bras écartés, le visage enfin détendu. Mes yeux se posèrent sur le plafond beige uni. Tout ici dans cette chambre était relaxant. J'aurais aimé que ma famille connaisse un jour ce confort.
J'imaginais la réaction de mon frère s'il voyait cet endroit. Il serait émerveillé, à coup sûr. Tout en songeant au bonheur fictif de ma famille, je sombrai dans un sommeil de courte durée.
J'émergeai peu à peu de ma sieste, l'esprit encore un peu embrumé. Je n'avais pas prévu de m'endormir à ce point. Je dirigeai avec anxiété mon regard vers l'horloge. 22h10. J'étais déjà en retard. Je me relevai en jurant. Je sortis avec précipitation de la chambre. Le couloir était cette fois-ci désert. Je marchai d'un pas pressé vers les escaliers avant de les dévaler. Arrivée en bas, je m'arrêtai devant les baies vitrées.
De l'autre côté, je pouvais voir mes quarante-neuf rivaux, assis autour des tables ou piochant avec empressement dans l'énorme buffet au fond de la salle. Derrière ce dernier, des employés étaient occupés à remplir les plats déjà vidés, servir les participants et nettoyer les miettes. J'étais encore une fois la dernière.
J'entrai avec discrétion dans la salle. Malheureusement, la plupart des têtes se tournèrent vers moi. Je les ignorai et me dirigeai la tête haute vers le buffet. Je saisis une assiette et me stoppai devant la multitude de mets, qui paraissaient tous délicieux, s'étalant de moi. Je n'avais probablement jamais vu autant de nourriture réunie en un seul endroit. Moi qui pensais avoir mangé à ma faim plus tôt, je me surpris à me servir de tout.
Après avoir terminé le remplissage de mon plateau, je pivotai et me retrouvai face à la grande salle remplie de jeunes. Un peu déboussolée, j'avançai parmi les nombreuses tables, ne sachant pas vraiment où m'asseoir. J'aperçus avec soulagement Kelyo, assise à l'une d'elles. J'observai rapidement qui l'entourait. Autour d'elle, cinq filles dévoraient leurs plats. J'hésitai quelques secondes puis m'assit finalement à côté de Kelyo.
Elle me fit un grand sourire, et les autres filles me saluèrent avec plus de retenue. Aucun visage ne m'était familier. A peine assise, je me jetai sur le contenu de mon assiette. Aussitôt, une explosion de saveurs naquit à l'intérieur de ma bouche. Je fermai les yeux. Ma mâchoire en était douloureuse.
- Mmm... J'espère survivre assez longtemps à ce stupide jeu pour profiter autant que possible de ces merveilles... articula difficilement Kelyo à ma droite, la bouche pleine.
En même temps que les autres filles, je ris légèrement. Je partageais son avis, bien que la nourriture n'était pas mon objectif premier.
- A quoi la première épreuve va ressembler, selon vous ? interrogea la fille en face de moi, soudainement nerveuse.
Un blanc se forma, avant que plusieurs filles prennent la parole pour formuler leurs hypothèses, toutes plus extravagantes les unes que les autres. J'avais déjà réfléchi à cette question, mais je n'en avais pas la moindre idée. Après tout, chaque année était différente.
Le regard dans le vide, je m'aperçus soudain que toute la table s'était tu et fixait désormais un point derrière moi. Le réfectoire entier s'était d'un seul coup plongé dans le silence.
Tandis que quelques murmures étouffés résonnaient dans la salle, je me tournai lentement, et me figeai lorsque mes yeux se posèrent sur l'objet de toute l'attention.
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