Chapitre 20 : Ciel étoilé
Toutefois, quel accueil allait-on nous réserver une fois les secours et la supérieure arrivés ? La peur me nouait de plus en plus l'estomac.
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Je sentais que la température de la pièce était dangereusement montée. Tandis que la plupart des participants s'empressaient d'enjamber la fenêtre, Edan m'interpella.
- Tahlia, les flammes sont quasiment dans la pièce, qu'est-ce que t'attends ? me cria-t-il de l'autre bout de la pièce, peinant à se faire entendre à cause du crépitement du feu.
Je clignai des yeux. La fumée commençait sérieusement à les bruler. Je ne perdis pas plus de temps et le rejoignis. Kelyo attendait déjà son tour près de notre sortie de fortune. Toujours un peu perplexe quant à son comportement étrange de tout à l'heure, je ne préférais pas lui parler.
A présent la moitié des participants avaient déjà sauté dehors. Je ne cessais de jeter des regards anxieux derrière nous. Dans moins d'une minute, la totalité de la salle était en feu. Lorsque vint mon tour, je n'hésitais pas une seule seconde, m'assis sur le rebord et me laissai tomber.
Je me réceptionnai accroupie, esquissant une petite grimace. Le combat avec Derek n'avait pas laissé de bons souvenirs à mon corps. Sans attendre, je regardai autour de moi.
La scène était surréaliste. Notre petit groupe était éparpillé sur la pelouse devant le Centre, dont les flammes s'élevaient jusqu'aux derniers étages. Je ne pensais pas qu'il s'écroulerait, ce n'était pas non plus une vulgaire cabane, mais il était certain que nous l'avions bien fragilisé.
De plus, nous n'allions bientôt plus être seuls. J'aperçus au loin une troupe de petits soldats d'Elevation arriver en courant, avec à leur tête la superviseure. Lorsqu'ils se rapprochèrent, je pus constater que cette dernière parlait frénétiquement, un doigt sur son oreillette.
Son visage crispé me fit presque frissonner de plaisir. Qu'elle admire le spectacle.
Un bruit venant d'au dessus attira mon attention. Un appareil venant déjà éteindre les flammes ? Non, le bruit n'était pas assez puissant. Je levai les yeux et vis avec stupéfaction une caméra-drone survoler la pelouse sur laquelle nous nous tenions.
Leur présence ici m'étonnait beaucoup, notamment pour filmer une scène pareille, qui était loin de faire resplendir Elevation. Je croyais également qu'elles n'étaient activées que pour les épreuves. Peut-être qu'ils faisaient exception pour les évènements inattendus. Alors que cette pensée me traversait l'esprit, la superviseure était déjà présente parmi nous.
Ses ordres fusaient, coordonnant avec autorité ceux qui l'accompagnaient. Ils s'affairaient à déployer leur matériel, qui n'avait pas l'air d'une grande utilité, mais qui devait seulement servir en attendant que les grands moyens arrivent. En même temps, elle se déchainait sur les personnes l'écoutant, surement terrorisés, à l'autre bout de la ligne.
Elle était tellement débordée par les évènements qu'elle ne remarqua pas immédiatement les caméras au-dessus d'elle, capturant chaque instant de ce moment inédit. Nous nous tenions tous en silence, les observant presque avec amusement. En tout cas, pour ma part, toute cette panique me régalait.
Le vrombissement des secours tant attendus finit par retentir. Un appareil identique à ceux qui nous avaient sorti de la forêt de la première épreuve approchait à vive allure. Une poche géante remplie d'eau était suspendue à son ventre.
Je soupirai. La fête était finie. Du moins, c'est ce que je croyais. Tout à coup, la superviseure haussa le ton, nous faisant tous sursauter.
- Qu'est-ce que font les drones ici ? Bandes d'incapables, éteignez-moi le direct immédiatement ! hurla-t-elle, enragée.
Je me tournai aussitôt vers Edan et Kelyo, qui arboraient la même expression que moi. Les yeux écarquillés, nous nous regardâmes en silence, un sourire se formant petit à petit sur nos lèvres. Ce qui était en train de se passer dépassait largement nos espérances.
Non seulement l'incendie avait été un franc succès, mais tout Ardysia venait également d'assister à cet exploit. A cause d'un malentendu ou d'une initiative douteuse, les images du Centre envahi par les flammes avaient été retransmises sur tous les écrans géants de notre rive, et probablement toutes les télés de l'autre.
Je ne pus m'empêcher de glousser, incrédule. Juste avant que les drones ne se retirent, je levai le visage vers eux et leur adressai mon plus grand sourire. De toute manière, cela ne pouvait pas m'incriminer, étant donné que tous les autres participants étaient également en train de se réjouir de ce fiasco monumental d'Elevation.
Cette organisation n'était pas intouchable, nous en avions à présent la preuve. Difficile à atteindre, certes, mais loin d'être infaillible.
Je jetai de nouveau un oeil à mes deux acolytes, riant discrètement l'un contre l'autre. Je n'avais jamais ressenti cette euphorie auparavant. Celle de la fin des épreuves, lorsque je réalisais que j'avais une fois de plus survécu, n'était que la joie d'une victoire personnelle, et seulement temporaire.
Cette fois-ci, je n'étais pas toute seule. Nous avions accompli ça tous les trois, et ce n'était pas une fierté qu'on allait nous ôter dès la prochaine épreuve. Il ne s'agissait que du début, d'un premier avertissement.
Désormais, nous n'allions plus rester silencieux. Cet incendie était le symbole de ce qu'on ne pouvait pas encore qualifier de révolte, mais qui allait le devenir.
Et Elevation en serait le premier témoin.
- Rangez-vous ici, et attendez mes prochains ordres, nous lança sèchement la superviseure.
Nous nous exécutâmes, cachant tant bien que mal notre amusement. Le groupe était au complet, tous alignés sur le côté, tandis qu'un torrent d'eau se déversait sur les flammes qui diminuaient à vue d'oeil.
Cette vision me chagrina presque. Le spectacle était si jouissif, j'aurais souhaité qu'il ne se finisse jamais.
- Que vont-ils faire de nous maintenant ? s'enquit un participant, perplexe.
- Est-ce qu'ils vont chercher un coupable ? s'inquiéta soudain quelqu'un d'autre.
Je m'étais déjà faite cette réflexion. C'était d'ailleurs la raison pour laquelle j'avais tenu à être celle qui mettrait le feu au bâtiment. S'ils avaient de quoi accuser quelqu'un, il s'agirait forcément de moi, puisque j'étais la seule participante à m'être absentée juste avant que l'incendie ne se déclenche.
Il s'agissait de mon idée, et j'avais beau avoir entrainé Kelyo et Edan dans ce plan, je ne voulais pas qu'ils tombent avec moi. J'étais consciente qu'il y avait tout de même des risques. L'un d'entre eux pouvait tout de même finir par être accusé, ou bien, à défaut d'avoir démasqué les vrais coupables, ils décident de punir un participant aléatoire pour montrer l'exemple.
Je le savais, et la peur que l'une de ces possibilités se concrétisent grandissait chaque seconde qui passait.
Nous devions être plantés dehors depuis maintenant une demi-heure, et il ne restait de l'incendie que quelques petites flammes isolées. Bien qu'une épaisse fumée brouille notre vision, nous pouvions à présent voir l'étendue des dégâts. La charpente du bâtiment avait bien évidemment tenu, mais était totalement noircie, et l'intérieur que nous voyions des fenêtres était désolant.
La plupart des meubles avaient été réduits en cendre. Les murs étaient délabrés, certains s'étaient même à moitié écroulés. Des débris carbonisés jonchaient le sol à tous les étages.
Ce bâtiment n'était plus.
Pendant que les employés, y compris la superviseure, étaient occupés à sécuriser le périmètre, je songeais à la réaction du peuple devant cet évènement.
Qu'avaient-ils pensé devant ces images ? Etaient-ils choqués, inquiets, déçus, heureux ? Peut-être un peu de tout ça. La rive gauche était peut-être actuellement en train de célébrer ça. J'imaginais Tray et ses amis se moquer d'Elevation. Peut-être même avait-ce suscité une vague d'espoir, s'ils avaient interprété cela comme un incendie criminel.
Ma mère et Ash devaient être anxieux à l'idée que je sois là-dedans. Si seulement ils savaient que j'étais à l'origine de ce feu.
Nous attendîmes ainsi, pendant encore de longues minutes. Certains groupes s'étaient assis dans l'herbe, papotant tranquillement. D'autres personnes restaient encore debout, nerveux quant à la suite de l'aventure.
Notre trio resta un peu espacé, nous ne tenions pas à paraître trop complices. J'étais allongée dans l'herbe, regardant le ciel étoilé. Cela me rappelait la vie sur notre rive. Je fermai les yeux. Je m'imaginais me faufiler parmi les petites maisons de notre quartier, faire le trajet que je connaissais par coeur.
J'étais maintenant dans mon petit repère, sur le toit de ces ruines. Dans la même position, observant le même ciel. Excepté la sensation ainsi que l'odeur de l'herbe bien entretenue sous mon corps, c'était comme si j'y étais.
La nostalgie m'envahit. Je ne reverrai plus jamais cet endroit. Peut-être que d'autres adolescents le découvriraient, et en feraient leur propre repère, un jour. Ils y passeraient des soirées entières, discutant et riant, parfois avec amertume, de ce à quoi leur vie aurait pu ressembler s'ils étaient nés de l'autre côté du Fleuve.
Ils rêveraient, tout comme je l'ai fait, de mener une rébellion, allant jusqu'à renverser la dictature. Ils se moqueraient ensuite de l'absurdité de cette pensée, tout en ayant le minuscule espoir, au fond, que leurs idées folles se réalisent.
Ou peut-être que tout cela n'aura jamais lieu. Peut-être qu'à la place de se lamenter sur leur sort, ces jeunes, vivant dans une toute nouvelle société, seraient en train de se remémorer cette époque révolue durant laquelle la population était scindée en deux. Qu'au lieu d'être un refuge de haine et de désespoir, ce repère ne serait plus que les restes d'un douloureux passé.
L'existence de ce futur prometteur était-elle à présent entre nos mains ? Allions-nous être ceux qui marqueraient la fin de cette ère ? La révolte tant désirée par toute une génération allait-elle se produire grâce à nos actes, aussi futiles paraissaient-ils pour le moment ?
Cette sensation me grisait au point de me sentir presque à l'aise en cet instant. Je pris une grande goulée d'air.
Les particules cendreuses soudain infiltrées dans mes poumons me firent avoir une violente quinte de toux. Cela me fit rapidement revenir à la réalité. Tout ce que nous avions accompli pour l'instant se résumait à ça.
- Ça t'apprendra à rêvasser à côté de la carcasse d'un bâtiment carbonisé, ironisa une voix.
Je tournai la tête. Kelyo se tenait au dessus moi, une expression moqueuse sur le visage. Je soupirai. Au moins, elle n'avait plus l'air contrariée.
- Excuse-moi de réfléchir à notre avenir, répliquai-je, excédée, tout en me redressant.
Elle s'assit à côté de moi. J'imaginais qu'il n'était plus question de se tenir à distance.
- Je voulais profiter encore un peu de ma chambre de luxe, moi, fit-elle mine de pleurnicher, tout en posant la tête sur mon épaule.
Je me surpris à être émue par ce geste, même si cela faisait partie de sa comédie.
- Si tout se passe bien, t'en auras une nouvelle encore mieux dans très peu de temps, lui soufflai-je en lançant un regard appuyé vers le bâtiment des Chasseurs.
- Je crois qu'on va vite le savoir, murmura-t-elle en se redressant.
La superviseure venait dans notre direction. Tout le monde se remit sur ses pieds, d'un seul coup très sérieux.
- L'incendie est définitivement éteint. Nous nous excusons de ce désagrément, heureusement nous ne déplorons aucun mort ni blessé. Bien évidemment, le jeu continue, et après avoir discuté avec la direction, nous allons vous loger jusqu'à nouvel ordre dans le bâtiment des Chasseurs. C'est très infortuné, mais nous n'avons pas d'autre bâtiment pouvant tous vous accueillir, et cela nous permet de ne pas trop chambouler toute l'organisation d'Elevation. Nous vous tiendrons informés pour l'heure de la prochaine épreuve, qui risque d'être décalée, déclara-t-elle d'une traite, le visage encore plus fermé que d'habitude.
Je déglutis. Son ton était presque menaçant, pourtant, elle n'avait aucunement évoqué les possibles causes de l'incendie. L'absence d'un quelconque sous-entendu me surpris légèrement. Je m'attendais à ce qu'elle soit plus suspicieuse.
Toutefois, nous devions rester sur nos gardes, il n'était pas exclu qu'ils tiennent à ne nous communiquer aucune information sur une possible enquête. Des exclamations se firent entendre parmi les participants.
- Donc on va devoir cohabiter avec nos assassins maintenant ? s'offusqua une participante, la panique s'entendant dans sa voix.
Je comprenais son indignation. Même si tous les Chasseurs n'étaient pas aussi intimidants que certains, l'idée de devoir vivre, même quelques jours, en compagnie d'un Elijea et d'une Lin me donnait froid dans le dos. De plus, je suspectais qu'il existait bel et bien d'autres bâtiments ayant la capacité de nous accueillir. Ils avaient surement été exclus car cela nous aurait peut-être trop rapprochés des organisateurs et de toutes les coulisses du jeu.
La superviseure fit taire toutes les plaintes.
- C'est soit ça, soit vous dormez ici même sur l'herbe. Faites votre choix, aboya-t-elle, à bout de nerfs. Des employés vont vous assigner vos nouvelles chambres dans quelques minutes, attendez-les dans le hall, nous ordonna-t-elle plus calmement ensuite.
Nous décidâmes alors d'un commun accord de nous diriger vers notre nouveau bâtiment. Alors que la tête du groupe franchissait déjà les portes, je jetai un coup d'oeil derrière mon épaule.
Mon coeur loupa un battement lorsque je croisai instantanément le regard de la superviseure. Elle me fixa longuement, arborant une expression qui me fit froid dans le dos. Je me sentis tout à coup oppressée, tandis qu'elle m'observait entrer dans ce qui me paraissait à présent être une véritable tanière de loup.
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Voilà un chapitre que je trouve légèrement différent des autres, j'ai eu un peu de mal à l'écrire au début, mais j'ai finalement beaucoup apprécié le terminer !
J'espère qu'il vous a plu, la suite arrive bientôt, probablement le weekend prochain mais je ne préfère rien promettre ^^
N'oubliez pas de voter et de commenter j'adore toujours lire vos avis :)
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