Chapitre 17 : Souvenirs douloureux

A présent éclairés, ses yeux me dévisageaient d'une lueur démentielle. Le piège s'était refermé sur la proie.

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Sans me répondre, il approcha encore plus son visage du mien. Je me reculai du mieux que je pouvais, mais j'étais malheureusement déjà acculée. Son sourire de véritable prédateur me répugnait. Il leva lentement la main, et du dos de son index, entreprit de me caresser la joue.

Je ne le laissai cette fois-ci pas faire et repoussai violemment son bras.

- A quoi tu joues exactement ? Ne me touche pas, crachai-je d'une voix venimeuse, qui trahissait cependant mon angoisse.

Il gloussa.

- Tu sais, Tahlia, tu es très intriguante... murmura-t-il, d'un air contemplatif malsain.

Je tentai de le faire reculer en plaquant mes mains sur son torse et en poussant de toutes mes forces. Il vacilla à peine. Moi qui pensais avoir mes chances si un combat physique s'imposait, je m'étais lourdement trompée. Je pouvais, au mieux, gagner du temps. Mais dans quel but ?

J'avais beau être entraînée, avoir su tenir tête à Derek, qui s'était toutefois à l'évidence retenu, la situation ici était radicalement différente. Elijea avait non seulement l'avantage physique et spatial, en m'ayant pris au dépourvu et immédiatement acculé, mais également l'ascendant psychologique. Il était le maître incontestable des lieux, je n'avais pas la moindre chance.

- Je suis parfaitement banale, va trouver une autre victime plus intéressante, grognai-je, maintenant mes bras tendus pour garder un espace entre nous.

Il s'esclaffa cette fois pour de bon, la tête en arrière, avant de se concentrer à nouveau sur moi. Il ne m'avait bien évidemment laissé aucune ouverture pendant ce cours instant.

- Tu es bien plus spéciale que tu ne le penses, mais chaque chose en son temps, chuchota-t-il en se léchant les lèvres.

Je ne pus retenir une moue dégoutée. Sentant qu'il était sur le point de passer à l'action, je saisis ma chance. Rompant le contact physique, je bondis d'un seul coup sur le côté, et m'élançai vers la porte battante, mon seul échappatoire. 

Je hoquetai de surprise en sentant mes jambes se dérober sous moi. Il avait tout de même eu le temps de me faucher. Je heurtai brutalement le sol, m'étalant de tout mon long, et il ne perdit pas plus de temps. Il me bloqua instantanément en s'allongeant sur moi.

N'ayant plus aucune autre solution, je me débattis de toutes mes forces, lançant mes poings dans toutes les directions, puisque son poids bloquait presque tous mes mouvements. 

Un sentiment d'impuissance me gagna. Ce foutu bâtiment était désert, les personnes les plus proches se trouvaient dans leurs chambres, autrement dit, bien trop loin pour nous entendre. 

Il me gifla soudainement. La surprise, ainsi que la douleur, me laissèrent immobile quelques secondes. C'était largement assez pour lui. Il me saisit tout à coup par la gorge. Son autre main vint palper mon corps, passant de mes seins à mon ventre, puis de mon ventre à mes cuisses.

Je me mis à trembler. Son toucher répugnant réveillait en moi des souvenirs enfouis au plus profond de ma mémoire. Lorsqu'il effleura mon entrejambe, avec comme seule barrière le léger tissu de mon pantalon, un sanglot de terreur m'échappa.

Je ne m'étais même pas rendu compte que des larmes dévalaient mes joues, dont l'une encore meurtrie par sa paume. Je tentais du mieux que je pouvais de me contorsionner afin de l'empêcher d'atteindre mes points sensibles, mais j'étais à présent parcourue de spasmes incontrôlés.

Des images refaisaient surface dans mon esprit tandis que j'essayais à tout prix de les refouler. Ce sentiment de désespoir et de résignation était le même que celui que j'avais ressenti il y a cinq ans. A cet instant, je me sentais aussi impuissante face à ce monstre que lorsque je n'étais encore qu'une enfant à la merci d'hommes matures. Toutes ces mains indésirables sur moi, ces sensations du passé me laissaient des brulures dont la douleur insoutenable marquait mon corps tout entier.

J'étais à nouveau un objet dont le seul usage était de satisfaire les besoins sexuels d'un homme. Revivant ces souvenirs douloureux, je me mis à crier d'une voix éraillée à cause des larmes, les yeux fermés, jetant mes mains devant moi, comme pour chasser mes démons.

- Putain mais ferme-là, rugit Elijea, levant sa main pour me frapper une nouvelle fois.

Il fut cependant coupé en plein élan par un bruit. Figé, la tête orientée de sorte à ce que son oreille intercepte le moindre son, il attendit. Je retenais mon souffle, ne cherchant même pas à m'enfuir, trop galvanisée par l'espoir d'un intervenant. Le fait qu'il s'agissait forcément d'un autre Chasseur ne m'effleurait même pas l'esprit.

La porte battante fut poussée et une nouvelle silhouette s'avança.

- Il se passe quoi ici bord- Elijea ? s'exclama la voix grave de Derek, avant de s'immobiliser, interdit, devant le spectacle déplorable qui s'offrait à lui.

 Je laissai échapper un hoquet de sanglot incontrôlé. Je repoussai soudainement Elijea, profitant de son relâchement, et reculai à quatre pattes jusqu'à l'autre bout de la pièce. Mon pantalon était légèrement tombé de mes hanches. Elijea avait eu le temps de le déboutonner. 

Recroquevillée contre un mur, encore tremblante, je scrutai l'obscurité. Mon agresseur était encore à genoux, par terre. Derek le surplombait de toute sa hauteur, et c'est là que je vis le paquet de chips qu'il tenait dans sa main. Cela expliquait sa présence dans les parages, et probablement aussi son absence lorsque je toquais à sa fenêtre quelques minutes plus tôt. Mes cris avaient du l'alerter.

Lui qui dévisageait jusqu'à présent Elijea d'un air confus, se tourna vers moi. En voyant ma mine misérable et mon pantalon défait, les connections se firent rapidement dans son esprit. Son visage se ferma, et il reporta de nouveau son attention sur son coéquipier, qui s'était relevé.

Mes yeux s'écarquillèrent lorsqu'il frappa violemment Elijea à l'estomac, et que ce dernier se plia de douleur. Je ne m'attendais pas à une réaction de ce type, mais mon esprit était trop brumeux, je n'arrivais pas à aligner deux pensées cohérentes. 

- T'es allé trop loin, cette fois, siffla Derek en assenant un nouveau coup à celui que je croyais être son ami, ou tout du moins son acolyte.

Même si sa colère n'était pas dirigée contre moi, ma peur s'éveilla de nouveau, mais je ne préférai pas bouger, comme si j'avais l'espoir qu'ils oublient ma présence à quelques mètres d'eux.

Puisqu'Elijea ne répliquait quasiment pas, il le traina de force jusqu'à la porte et le jeta sans plus de cérémonie.

- Dégage de là, lui lança-t-il froidement, et sa victime ne se fit pas prier, arborant une expression contrariée.

Même en étant éloignée de la scène, je frissonnai à l'entente de son ton dénué d'émotion. Lorsque la porte se referma sur Elijea, le silence enveloppa à nouveau la pièce. Cela me calma légèrement, mais j'étais encore très agitée. Derek marcha lentement vers moi.

Il me regardait d'un air légèrement méprisant, mais je discernais tout de même une pointe de compassion.

- Qu'est-ce que tu fous ici ? me questionna-t-il, sans aucune délicatesse.

Je fermai les yeux, sentant la honte m'envahir, et mes tremblements revinrent. Voyant que je ne répondais pas, il s'accroupit à ma hauteur et posa doucement ses mains sur mes bras, en signe de paix. Je tressaillis tout de même à ce toucher. Il comprit aussitôt sa maladresse et les ôta.

- Eh... Tout va bien, il ne va pas revenir, essaya-t-il de me rassurer.

Je sentais son regard intrigué sur moi. Après notre combat dans le labyrinthe, il devait être sidéré de voir cette autre facette de moi. 

Je reniflai misérablement, et détournai le regard, n'osant même pas croiser le sien, à l'idée de la nouvelle humiliation que je m'apprêtais à subir. Sans un mot, je sortis le papier presque déchiré qui était resté dans ma poche pendant tout ce temps.

Je lui tendis d'un bras résigné, regardant toujours à ma gauche, la mâchoire serrée. Il se saisit du mot et entreprit de le lire.

- Mais... Je n'ai jamais écrit ça ? s'offusqua-t-il, au comble de l'incompréhension.

- Sans blague, soufflai-je dans un murmure imperceptible.

Il se gratta la tête, légèrement embarrassé.

- Je vois... murmura-t-il, saisissant peu à peu le piège qu'Elijea m'avait tendu.

Je soupirai, agacée par son manque de réaction. Comptait-il m'expliquer son comportement d'aujourd'hui ou non ?

- Qu'est-ce qui t'a pris d'obéir au message d'un inconnu ? me réprimanda-t-il avec une expression condescendante.

Ce fut les paroles de trop. Je me relevai avec rage tout en lui jetant un regard meurtrier.

- Pardon ? Tu me reproches vraiment d'avoir voulu entendre les explications de l'inconnu qui a épargné ma vie aujourd'hui ? Ne fais pas semblant, t'aurais fait exactement pareil à ma place, sifflai-je, les poings serrés de colère.

Il referma la bouche, à court de répartie. Il était hors de question que je me laisse marcher sur les pieds de la sorte. 

- J'imagine que je te dois au moins ça, maintenant que t'es là, soupira-t-il, les bras croisés.

Je levai les yeux au ciel. Quel enthousiasme. Il s'apprêtait à continuer lorsque des bruits de pas retentirent dans le couloir menant à cette salle. Nous échangeâmes un regard entendu et je plongeai derrière la table tandis qu'il récupéra son paquet de chips par terre. Qu'il s'agisse d'un Chasseur ou d'un employé, je n'avais pas intérêt à me faire repérer ici.

La personne pénétra dans la salle.

- Derek ? T'es avec quelqu'un ici ? s'enquit une voix que je reconnus comme étant celle d'un des gardes de tout à l'heure.

Je retins mon souffle. 

- Non, pas du tout, répondit Derek avec nonchalance.

S'ensuivit un silence suspicieux.

- Ah bon, on a pourtant cru entendre quelqu'un s'introduire dans le bâtiment tout à l'heure. Qu'est-ce que tu fiches ici alors ? le questionna de nouveau le garde.

Derek rit légèrement. J'étais impressionnée par ses talents d'acteur. Je vis sa main se lever et brandir le paquet de chips.

- J'étais venu grignoter quelque chose, et je me suis assis quelques secondes. Le calme ici est vraiment apaisant, déclara-t-il d'une voix extrêmement sérieuse.

Même moi, j'y croyais presque. 

- Haha, je te comprends, il faut s'accorder un petit plaisir de temps en temps ! rigola le garde, à présent détendu. Bon, ça devait être une fausse alerte, je retourne voir Matt, il m'attend dehors. Tu me suis ? s'enquit joyeusement le garde.

- Oui, je vais me coucher, répondis gentiment Derek. 

Je laissai un soupir m'échapper en voyant les deux paires de jambes franchir la porte. J'étais à présent seule dans la pièce. Ne voulant pas me faire à nouveau surprendre par un Elijea encore plus en colère qu'avant, je ne traînai pas et me dirigeai vers la fenêtre par laquelle j'étais entrée.

Je devais accélérer pour être revenue dans notre bâtiment avant que les gardes repassent devant l'allée. Je passai timidement la tête dans l'encadrement de la fenêtre afin de vérifier que le fameux Matt n'attendait pas au mauvais endroit. Je ne vis personne. Il devait être derrière le mur, devant l'entrée du bâtiment des Chasseurs.

C'était le moment. Je sautai agilement par dessus le rebord et courrai de toutes mes forces jusqu'à la fenêtre des douches. Toujours ouverte, c'était une chance que les gardes n'y aient pas prêté attention.

Je ne perdis pas de temps et plongeai à l'intérieur, atterrissant sur le carrelage dur. Je refermai aussitôt la fenêtre derrière moi. J'étais en sécurité, et pour de bon cette fois.

Toujours boostée par l'adrénaline, je filai rapidement vers ma chambre. Une fois arrivée, je me laissai tomber sur mon lit. J'étais complètement lessivée. Je jetai un coup d'oeil à mes mains, encore tremblantes. Les dernières minutes m'avaient complètement fait oublier l'agression d'Elijea.

Rien qu'en y repensant, un frisson me parcourut l'échine et fit se dresser mes poils. Je me rendais compte à présent de la surprenante vitesse à laquelle ma conversation avec Derek m'avait calmé. J'étais à la limite de la crise de panique et quelques minutes plus tard, nous nous parlions presque posément. Cependant, maintenant seule avec moi-même, un sentiment de dégoût me submergeait peu à peu. J'aurais peut-être du profiter de passer par les douches pour me débarbouiller un peu.

Je revoyais les mains d'Elijea sur mon corps, ses gestes dénués de délicatesse, ses coups, sa brutalité. Cela me donnait la nausée. J'étais également enragée contre moi-même. Même si je n'avais pas apprécié que Derek me réprimande comme une enfant, il avait totalement raison. Quelle idiote j'avais été. J'aurais du écouter Edan. 

Toutefois, c'était la première fois que je discutais réellement avec Derek, et même si je n'avais finalement pas eu de réponse à mes interrogations, notre échange m'avait beaucoup perturbé. Ce Chasseur me paraissait beaucoup plus... humain que je ne le pensais ? En dépit de son arrogance évidente, j'avais eu l'impression de parler à un simple garçon de mon âge, comme si nous n'étions pas radicalement opposés par tout ce qui nous définissait. 

Je m'endormis avec cette image utopiste en tête d'une rencontre entre lui et moi, dans des circonstances où un monde entier ne nous séparerait pas.

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Deuxième fois en une journée que Derek sauve Tahlia, cette fois-ci des griffes d'un autre Chasseur. Enfin un peu de repos pour notre héroïne après une soirée très agitée ! Que pensez-vous de cette première confrontation Derek-Tahlia hors épreuve ? Sans mentionner bien sur le bestial Elijea...

Prochain chapitre ce week-end probablement !

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