— Tu nous la refais là ? me demanda River, une dizaine de minutes plus tard.

J'étais à présent assise sur un banc dans l'une des cavernes aménagée, une couverture sur les épaules et un mug chaud et fumant dans les mains. Cela suite aux deux, ou trois, micros-absences qui avaient suivi mon réveil et faillis m'envoyer embrasser le sol de plus près. Malgré mes protestations, je n'avais pas eu gain de cause et m'était retrouvée dans les bras de Gabriel, transporté comme une damoiselle en détresse ! Rrrr... j'avais horreur de ça ! pensai-je en envoyant un regard noir à River pour me calmer les nerfs.

— Donc, pour résumer l'essentiel : Ce Kane a besoin de votre père, ou du moins de ses pouvoirs, dont vous ignoriez la nature et la portée exacte. Mais comme il ne peut pas l'atteindre il a besoin de vous pour faire pression sur un homme qui est... dans le coma ?! énuméra Patience d'un ton sceptique et ironique, en continuant de servir les boissons chaudes.

C'était sûr que vu comme ça ! Mais ils n'avaient pas toutes les informations et ces dernières se bousculaient tellement dans ma tête que j'avais du mal à réfléchir et faire la part des choses. Je devais leur dire, leur expliquer, mais tous les souvenirs que mon père venait de partager avec moi brouillaient mon jugement.

— C'est un peu confus et... ils tenteraient de déclencher une guerre entre les métamorphes et les humains, juste pour mettre la main sur vous et votre père ?! Il n'y a qu'à moi que ça parait un peu extrême ?

— On n'a sûrement pas tous les détails de l'histoire, Pat. Ne juge pas trop vite, l'averti gentiment River en l'aidant à distribuer les tasses.

Assaillie par tout un tas d'émotion, j'essayai de contenir mon irritation et l'animosité que je sentais grandir en moi, en gardant les yeux rivés à mon mug.

— Buvez, me dit Waahana en nous rejoignant. C'est un assemblage de plante que je réalise moi-même et qui devrait aider votre esprit à faire le tri. Cela va vous apaiser, me certifia-t-elle avec un petit sourire alors que je levai la tête vers elle. Et vous autres, cessez de la presser et de l'asticoter ! Elle nous expliquera tout lorsqu'elle sera prête.

Souriant sans le vouloir derrière mes cheveux, retombés devant mon visage, je pris une gorgé du breuvage fumant et faillit tout recracher sur mes genoux.

— J'ai dis que c'était efficace pour ce que vous aviez, pas que c'était bon ! Pour les autres, c'est du thé classique, pas de panique ! ajouta-t-elle devant les mines inquiètes de mes compagnons, qui continuèrent malgré tout à jauger leurs tasses d'un œil soupçonneux.

— Tu veux échanger ? me demanda doucement Gabriel dans un chuchotement de conspirateur.

— Non, c'est certainement bon pour ce que j'ai, lui répondis-je dans un soupir théâtral en reprenant une lampée de l'horrible tisane.

Je frissonnai et ne pus m'empêcher de grimacer lorsque le gout âpre et amer sembla se coller à ma langue. J'en avalai tout de même la moitié sans réfléchir et sans respirer, si Waahana me disait que ce serait bénéfique je la croyais. De plus je n'avais pas le temps de m'appesantir sur mes sentiments et sur l'horreur de ce que j'allais peut-être devoir faire. L'apitoiement et la déprime, ce serait pour plus tard !

— Pour ceux qui ne le connaissent pas, mon père, Charles Moore, est extrêmement âgé, même pour un métamorphe. A tel point que je pense que personne ne connaît son âge véritable. C'est quelqu'un de très secret, autoritaire et...

— C'est un dictateur ! Cet homme est plus froid qu'un reptile, balança quelqu'un que je ne connaissais pas.

— C'est un peu plus compliqué que ça, intervint Jude d'une voix neutre, en me fixant intensément durant quelques secondes.

Il était bien placé pour connaître la froideur et la cruauté de mon père. Mais il avait aussi appréhendé sa complexité bien avant moi.

— C'est vrai. En tout les cas c'est ce qu'il voulait que tout le monde croie ! Et ça a fonctionné à merveille, même sur moi. Il n'y a que mon frère qui l'a toujours supporté et soutenu, sans que je comprenne pourquoi. À présent je comprends, du moins en partie.

J'avalais de nouveau une nouvelle gorgée du breuvage, moins mauvais maintenant qu'il était un peu moins chaud, afin de me donner le temps d'organiser mes pensées.

— Tout ce qu'il se passe aujourd'hui n'est autre qu'une vengeance. Il y a environ cent cinquante ans, les loups-garous et les métamorphes cohabitaient, de manière houleuse et tendue, mais dans l'ensemble pacifique.

— C'est notre histoire, nous connaissons déjà tout ça ! lança de nouveau l'homme que je ne connaissais pas et qui commençait à m'irriter sérieusement.

— Peut-être, mais ce n'est pas le cas de tous le monde ici, me justifiai-je néanmoins en jetant un bref coup d'œil à Worth.

— T'embête pas pour moi, me dit-il avec un petit sourire.

— Si, tu as besoin de comprendre. Mais je vais essayer de faire une version courte. Un nouvel Alpha débarqua d'Europe et fit vite entendre sa voix, essayant de nous entraîner dans son plan pour renverser les humains. Mais à l'époque c'était mon père le chef des métamorphes et il s'y opposa, entraînant les nôtres derrière lui. L'alpha changea donc de stratégie et commença à monter les loups-garous contre nous, les métamorphes, qu'il jugeait inférieurs car mortels comme les humains et trop enclins à leurs apporter leur protection.

Des grondements sourds s'élevèrent autour de moi, montrant à quel point cette idée avait plu au dit métamorphes, à l'époque !

— Ils commencèrent à transformer des humains contre leur volonté, pour grossir les rangs de leur armée, mais Charles réussit à les contrer et vous connaissez la suite...

— Les métamorphes décimèrent intégralement les loups-garous, termina River ironiquement. Bien que l'on n'ait jamais su comment.

— Le pouvoir de mon père c'est la télépathie, entre autres. Il l'a tellement bien caché à tout le monde que quasiment personne n'était au courant, même pas moi. Il est capable de contacter les gens durant leur sommeil, mais aussi de lire dans certains esprits. C'est comme cela qu'il a deviner le plan des loup-garou et a pu les contrer à temps.

— Donc c'est quoi ? Le retour des loups-garous vengeurs ?

— ça va plus loin que ça. Maintenant c'est devenu une sorte de secte, dirigé par un fou furieux qui veut totalement éradiquer l'homme de la surface de la terre.

— Et qu'est-ce que ton père et toi venez faire là-dedans ?

— Charles n'est pas seulement capable de communiquer par la pensé, il est aussi capable d'influencer l'esprit des autres, en particulier des humains et de leur faire faire ce qu'il veut.

— Merde ! Ils veulent qu'il influence les humains et les conduisent à leur perte !

— Exactement, répondis-je d'une voix blanche en rebuvant une gorgée de tisane froide, tellement ma gorge était sèche d'avoir tant parlé. Le coma dans lequel il est plongé, c'est un sort.

— Car ils savaient que dès qu'il comprendrait leur plan, il préférerait encore se suicider plutôt que de les aider, analysa Jude d'une voix blanche. Et il avait peur pour toi, comprit-il aussitôt en me lançant un regard horrifié.

— Je suis peut-être lent à la comprenette, mais je ne vois toujours pas le rapport avec ce Kane ? me dit River.

— Kane est un psychopathe sadique. Ils l'ont laissé s'amuser un peu avec des humaines pour semer la peur et la confusion, créer le chaos. Leur plan initial était de mettre Kane en bonne place dans le système politique des humains, pour freiner le processus de paix et pouvoir m'approcher sans que je ne me méfie. Comme ça a foiré, ils sont passés au plan B, plus musclé.

— Ils veulent la capturer et la torturer devant Charles, pour le forcer à coopérer, expliqua Gabriel d'une voix atone qui montrait à quel point il était en rage.

— Ah... d'accord ! Là ça craint, constata River, alors que tout le monde se mettait à me jeter des regards horrifiés ou pire, emplis de pitié.

— Bon, à présent que nous y voyons plus clair, quel est le plan ? Parce que je suis persuadé que Charles en a un ? demanda Gabriel, essayant de me cacher sa peur et sa rage derrière un sourire qui ne me trompa pas.

— Pour avoir un plan, il en a un ! répondis-je d'une voix aigre et cynique tandis que je me levais. Il veut que je le tue.