Chapitre 39-2


Je l'attirai brusquement contre moi et d'une roulade l'entraînait à l'écart de la boule de feu qui le frôla en sifflant.

— Merde ! jura River à présent coincée sous moi et cherchant déjà à se dégager.

— Ne bouge pas ! lui ordonnai-je, tandis que je redressai la tête, essayant de capter le regard incandescent de Gabriel qui s'avançait vers nous d'une démarche lente et heurtée, paraissant lutter contre chaque pas supplémentaire.

— Gabriel, ce n'est qu'un test, ce n'est pas réel, lui dis-je en me redressant, prenant bien garde à maintenir River derrière moi.

— Je le sais mais... le feu me contrôle. Je n'arrive plus à... réfléchir.

— C'est parce que vous vous laisser dominer par votre don, intervint Waahana. Vous en avez peur, alors vous le bridez inconsciemment. A tel point qu'il faille un danger extrême, ou un stimulus puissant pour qu'il puisse s'exprimer et quand il le fait... c'est lui qui vous contrôle.

— Un peu comme nous, lors de nos premières métamorphoses ? murmurai-je, réfléchissant à haute voix.

— Exactement. Donc tu sais quoi faire pour l'aider ?

— En théorie, mais comment lui expliquer et parvenir à lui faire comprendre, il n'est pas métamorphe ?!

— Vous êtes liés, je peux le sentir d'ici. Alors ne lui explique pas, montre-lui ! me dit Waahana en rapprochant ses deux mains l'une de l'autre, avant d'entrelacer ses doigts en un geste simple mais très évocateur.

Worth s'était arrêté à quelques mètres de nous et semblait lutter pour se contrôler. Je profitai d'un moment où il ne regardait plus dans notre direction pour me relever et faire signe à River de disparaître. Ce dernier hésita une demi-seconde avant de se glisser à contrecœur derrière l'un des blocs de roches. Le connaissant, il resterait hors de vue, mais pas bien loin en cas de besoin et le savoir me rassurait. Même si j'étais absolument convaincue que Gabriel ne me ferait jamais de mal intentionnellement, un accident cela pouvait très vite arriver ! Autant avoir un atout dans sa manche en cas de besoin.

— Tu dois prendre le contrôle de l'énergie, commençai-je a expliquer à Gabriel.

— Je veux juste que ça s'arrête, que ça disparaisse... je ne veux blesser personne !

— Non ! Il n'y a plus que nous deux ici, tu ne blesseras personne, lui promis-je. Mais si tu parviens à éteindre une nouvelle fois ton pouvoir, tu n'apprendras jamais comment le faire tien et un jour ce que tu crains le plus se produira... tu feras du mal à quelqu'un. Alors arrête de lutter et laisse-moi entrer ! lui commandai-je en verrouillant mon regard au sien tandis que je projetais mon esprit à sa rencontre.

La chaleur, bien que présente uniquement dans mon esprit, faillit me griller les neurones. Tout chez Gabriel était saturés de chaleur et de feu. Il recouvrait et colonisait tout, de son corps à son esprit. Le choc initial passé, je dus lutter pour ne pas me faire éjecter par son subconscient, essayant de surnager dans ce maelstrom d'angoisses, de peurs et de douleurs. Car lutter contre son pouvoir était physiquement douloureux pour Worth, mais au vu de la puissance réprimée qui tourbillonnait en lui, je comprenais parfaitement qu'il ait peur de s'y abandonner. Et si, au lieu de lui donner le contrôle, nous libérions une force inconnu que nous ne serions plus en mesure de stopper ? Si, au final, le remède s'avérait pire que le mal ?

— Tu vois, toi aussi tu doutes, murmura-t-il d'une voix douloureuse, ses yeux écarlates toujours vrillés au miens.

Il avait raison, je doutais, et cela suffit presque à m'éjecter. Mais un souffle chaud et familier s'éleva soudain en moi, m'enveloppant dans son cocon protecteur. Ivy pointa le bout de son bec, apportant avec elle sa détermination. Il était à nous et contrairement à ce que mon cerveau étriqué d'humaine percevait en cet instant, il n'était pas que brasier, chaleur et destruction. Worth était un élémentaire complet et nous avions quelque chose en commun... l'air.

Ivy était un aigle et moi, j'étais Ivy. L'air était notre élément ! C'était grâce à lui que nous volions et que nous étions libres. Cette constatation me percuta et m'envahit tandis qu'un vortex d'air chaud tourbillonnant commençait à se former autour de mon corps. J'écartai les bras, enivrée par cette sensation nouvelle. C'était donc ça que ressentait Jude lorsqu'il se servait de son pouvoir ? Pas étonnant qu'il ait un tel égo, me dis-je en gloussant intérieurement, presque comme si j'étais saoule. Grisée par cette nouvelle puissance, je la projetai vers Worth, essayant de chasser les flammes et de les remplacer par un vent libérateur et purificateur.

— Hannah ! Arrêtez-ça ! s'écria Waahana dans un cri apeuré. Vous devez lui donner le contrôle, pas vous abandonner au pouvoir à votre tour !

Elle avait tort, je ne m'y abandonnais pas, je l'autorisai enfin à s'exprimer ! Le pouvoir qui circulait dans mes veines était beau, sauvage et me remplissait d'une puissance...

— Hannah ! Arrête ! me hurla Worth à son tour, son corps à présent tellement recouvert de flammes, qu'il devenait difficile d'y déceler encore une forme humaine.

Le vent, au lieu de chasser les flammes, les avait tout au contraire attisé ! L'horreur incrédule qui se dessinait sur le visage presque inhumain de Gabriel, me sorti soudain de ma transe, me faisant prendre réellement conscience de ce qui était en train de se passer. Au prix d'un immense effort qui me paru déchirer mon âme et mon corps, je réprimai ma nouvelle puissance, la forçant à réintégrer le cœur de mon être. Puis, malgré mon épuisement, je me projetai de nouveau vers Worth, essayant cette fois de me blinder contre ses sensations pour ne pas me faire submerger.

— Utilisez l'énergie au lieu de lutter contre elle, cela ne fait que la renforcer ! cria Waahana. Canalisez-là et redirigez-là vers les torches.

C'était facile à dire, mais beaucoup moins à faire, surtout que Gabriel ne l'entendait plus, réalisai-je alors que nos esprits entraient de nouveau en contact. Sentant mes forces m'abandonner et sa panique s'amplifier, je projetai en lui mon essence de métamorphe. Cette unité et dualité unique qui me définissait. Ce que j'étais, en somme, et comment je pouvais être deux tout en étant qu'une. Il s'en empara, la disséqua et la digéra et je sentis l'acceptation et le déclic se faire en lui. Puisant dans mes dernières bribes d'énergies, je l'aidai à réprimer les flammes en un noyau compact au creux de son être, puis, par la seule force de nos esprits et de nos volontés, à les projeter vers les torches.

Ces dernières s'embrassèrent dans un souffle puissant. A tel point que les flammes se propagèrent aux supports, les embrasant jusqu'au sol. Au-delà de l'épuisement, je me sentis partir en arrière, tandis que Gabriel s'effondrait dans l'herbe tel un pantin désarticulé.

— Je te tiens, me murmura River en me réceptionnant doucement, avant de m'allonger sur le sol. Waouh ! finit-il par lâcher dans un sifflement stupéfait, tandis qu'il s'accroupissait à mes côtés. C'est toujours aussi Hot, entre vous ?!

Par réflexe je voulu lever le bras pour lui dire ce que je pensais de son commentaire débile, mais ma main sans force ne fit que retomber mollement, rebondissant sur l'herbe tendre, alors que je me mettais à rire.

— Depuis quand pouffes-tu comme une collégienne ?

— Elle est ivre, commenta Waahana avec un demi sourire, en me gratifiant d'un clin d'œil au passage. Le pouvoir peut saouler aussi facilement et complétement qu'une bonne bouteille de Rhum ! Et la gueule de bois est pire, ajouta-t-elle en s'approchant de Gabriel qui commençait à reprendre ses esprits.

— Aide-moi à m'assoir, demandai-je à River, grimaçant à l'entente de ma voix nasillarde. Doucement ! l'incendiai-je alors qu'il saisissait mes poignets et me tirait vers lui.

Tout le décor se mit instantanément à tourner, comme si je me trouvais au centre d'une immense centrifugeuse. Je gémis, comprimant mes tempes entre mes mains et tentant de réprimer un haut-le-cœur. Si c'était vraiment ce que l'on ressentait après une cuite... jamais je ne tenterai l'expérience ! me dis-je en fermant les yeux, ce qui ne fit qu'aggraver mon malaise.

— Les yeux ouverts, c'est moins pire ! me chuchota River à l'oreille, en se marrant franchement à présent.

— Tais-toi ! parvins-je à maugréer, en tentant de soulever mes paupières récalcitrantes.

Gabriel, désormais assis lui aussi, regardait dans ma direction d'un regard exténué, très raccord avec les cernes sombres qui s'étalaient sous ses yeux. Même s'il n'avait l'air bourré, lui ! Seulement totalement épuisé.

— Bon, cela fut très instructif ! conclu Waahana en se redressant. Tt, tt, tt... les explications plus tard ! dit-elle alors que Gabriel ouvrait la bouche. Allez vous reposer et retrouvez-moi ici à l'aube ! nous dit-elle en s'éloignant déjà. Et pour la jeune demoiselle, un tonneau de café ne sera pas de trop ! ajouta-t-elle dans un rire bref, qui finit de me mettre en boule.

— Allez debout ! enchaîna River, un peu trop enjoué à mon goût. Bougez vos carcasses jusqu'à votre chambre, je me charge du café ! Un petit croissant avec ça, ou vous serez trop occupés pour vous en souciez ?

— A ta place, j'arrêterai les vannes, lui balança Gabriel, tandis qu'il me rejoignait et m'aidait à me relever avec mille précautions. Je peux encore te changer en dindon grillé, n'oublie pas !

Le rire de River résonnait encore à mes oreilles lorsque nous atteignîmes, des heures plus tard me sembla-t-il, le bas de l'escalier que nous commençâmes à gravir comme deux octogénaires arthritiques. 

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