Chapitre 23-2
Pour une fois, lorsque je demandai à Allistaire et Monroe de fermer les yeux, cette dernière obtempéra sans discuter, certainement pressée de quitter ce lieu qui, dans son esprit, se rapprochait le plus de sa conception personnelle de l'enfer. Je ne les autorisai à les rouvrir que lorsque nous fûmes à plus d'une dizaine de kilomètres de la communauté. Le soleil, bas sur l'horizon, nimbait l'habitacle de chaudes couleurs orangés dont j'aurais pu apprécier la chaleur et la beauté, si ces dernières n'avaient pas été estompées par l'horreur vers laquelle nous nous dirigions.
— Je suppose que tu n'as plus le badge provisoire que je t'avais donné ? me demanda Worth, son regard vigilant concentré sur la route.
— A ton avis ? lui répondis-je un peu sèchement. Il est resté chez moi. Tu compte te servir de ce prétexte pour me demander de rester dans la voiture ?
— Je ne suis même pas assez bête pour essayer ! me répondit-il dans un soupir tandis qu'Allistaire partait d'un petit rire nerveux depuis la banquette arrière.
— Nous n'avons pas nos badges non plus, chef. Ils sont restés dans la boîte à gant de la voiture banalisé.
— Et merde ! Si vous débarquez sur une scène de crimes sans vos badges, ni vos armes de services, vous allez vous prendre un blâme ! pesta-t-il en donnant un petit coup sur le volant. Le mieux, c'est que je vous largue au commissariat.
— Si c'est une façon subtile de se débarrasser des petits humains, c'est raté ! persifla Monroe de sa voix chargée de rancune.
— C'est juste une façon de vous éviter des emmerdes ! Je vous dépose, vous récupérez vos affaires réglementaires et vous nous rejoignez. Mais si tu préfères être consignée au bureau, ça peut s'arranger aussi !
— Eléa, t'es lourde, vraiment ! entendis-je Allistaire lui balancer d'un ton désapprobateur et déçu.
Une réplique de la colère de Worth, matérialisée par une bouffée de chaleur, m'envahit soudain par l'entremise de notre lien. Son énervement avait momentanément affaibli les barrières les barrières mentales dressées entre nous, me faisant entrapercevoir une vérité inquiétante. La douche froide avait peut-être apaisé le feu sur sa peau, mais le brasier était toujours là, présent au fond de lui, ne demandant qu'un déclencheur pour s'exprimer de nouveau.
Son regard quitta brièvement la route lorsque je posais la main sur son poignet pour éprouver la température de sa peau. Même si cette dernière était normale, l'éclat rouge qui traversa ses iris avant qu'il ne détourne le regard, me confirma mes pires craintes.
— Oui, je le sens aussi, m'avoua-t-il dans un murmure sourd, alors qu'une grimace de douleur raidissait momentanément les traits de son visage.
— Tu ne...
— On parlera de ça plus tard ! me coupa-t-il alors que nous dépassions les premiers immeubles de la ville.
Il tourna presque aussitôt à droite, nous entraînant dans les méandres et les difficultés de la circulation urbaine, alors que je rongeai mon frein. Il s'arrêta à peine quelques minutes plus tard, non loin du commissariat.
— Vous avez l'adresse ? demanda-t-il à Allistaire, au moment où il s'apprêtait à fermer la portière.
— Oui, c'est bon.
— Ne traînez pas, alors ! lui ordonna-t-il, alors qu'il redémarrait aussitôt.
— Tu as bien conscience que tu ne peux pas te pointer sur une scène de crime rempli d'humain avec des yeux rouges ! attaquai-je aussitôt, alors qu'il appuyait rageusement sur la pédale de frein, le feu devant nous semblant appuyer mes paroles de sa lueur écarlate.
— Je mettrais des lunettes de soleil ! me répondit-il, me collant au dossier lorsque le feu passa au vert.
— Des verres teintés en pleine nuit ? Super crédible ! Ils vont tous croire que tu es défoncé !
— Ce sera toujours mieux que la réalité ! me balança-t-il à son tour, nos ton respectifs devenant de plus en plus agressif à mesure à que nous nous échauffions.
— Mais merde, ouvre les yeux !
— Et toi arrête de chercher n'importe quelle excuse pour m'empêcher d'y aller ! Car c'est de ça qu'il s'agit au fond, avoue-le ? Tu es morte de trouille ! me balança-t-il en s'arrêtant soudain sur une voie de bus.
— Bien sûr que j'ai peur ! Mais surtout pour toi, crétin ! Tu es en train de tout risquer, ta vie, ta carrière, ta...
— Chuuut... ! Je vois très bien où tu veux en venir et tu sais que, avec ou sans ta venue, nous serions dans la même situation. L'affaire me serait revenue de toute façon. La seule différence c'est que je n'aurais pas les infos cruciales que j'ai aujourd'hui et surtout... tu ne serais pas à mes côtés.
Son ton venait de passer de la colère à la douceur en une demi-seconde, tandis qu'il approchait sa main de ma joue.
— Non !
Ma voix claqua dans le silence feutré du S.U.V tandis que je me reculais, refusant son contact.
— Tu ne peux pas t'en prendre à moi comme ça et penser tout résoudre d'une simple caresse, c'est trop facile !
— Bordel Hannah ! Cette situation est impossible ! Mais, tu as raison, je n'aurais pas dû m'énerver, me dit-il dans un soupir tandis qu'il mettait son clignotant et réintégrait la circulation.
Je ne dis rien, me contentant d'observer les gens marchant sur les trottoirs en ce début de soirée. Des humains, des métamorphes, chacun ignorant de la nature de l'autre, vacant à ses occupations, ignorants des atrocités vers lesquelles nous nous dirigions. Qu'est-ce que j'aurais aimé être comme eux, rien qu'un moment, l'esprit vide de toute horreur.
— Je suis vraiment désolée Hannah, me murmura Gabriel, sa main se posant tendrement sur ma cuisse en un geste de paix.
N'ayant pas envie de lui répondre, je me contentai de poser ma main sur la sienne. Après tout, il avait le droit d'être en colère, tout comme j'avais le droit d'avoir peur. Ce n'était pas une raison pour que cela nous plaise et que nous ne fassions rien pour y remédier.
— On y est, me dit-il doucement en coupant le contact.
Ce n'est qu'à cet instant que je pris conscience des lueurs bleu et rouge des gyrophares qui éclairait à présent l'intérieur de la voiture. Le S.U.V appartenant à la flotte de véhicule de la communauté, je savais ce que j'allais trouver dans la boite à gant lorsque je l'ouvris.
— Planque ça quelque part, on ne sait jamais ! dis-je à Gabriel en lui tendant l'une des deux dagues. Tu veux toujours des lunettes de soleil ?
— ça va, le feu est sous contrôle, me répondit-il avec un petit sourire.
— Peut-être, mais va-t-il le rester ?
— De toute manière, je ne pourrais pas cacher indéfiniment qui je suis, alors... je prends le risque ! dit-il alors que l'un des agents de faction venait de nous repérer et s'avançait vers nous, la main sur son arme.
— Vous ne pouvez pas rester ici, c'est une scène de... Oh ! Capitaine Worth, désolé, je n'avais pas reconnu votre voiture ! s'exclama le bleu lorsque nous sortîmes du véhicule. Le chef vous attend et...
— Il n'est pas content ! Je me doute bien. Merci MacHoward. Dites, y-a-t-il un moyen de voir la scène de crime sans passer par le cerbère ? Histoire de gagner quelques points avant de me prendre un savon ?
Le jeune policier hésita, puis un sourire timide étira ses lèvres trop pleines.
— Je peux vous faire passer par derrière, mais il risque de s'en apercevoir.
— Si c'est le cas, j'en assumerai la responsabilité ! lui rétorqua-t-il aussitôt en faisant signe au gamin de nous montrer le chemin.
Nous longeâmes les rubans jaunes, partiellement dissimulés par toutes les camionnettes et divers mini-vans des équipes télé et de tout le personnel technique déjà présent sur les lieux.
— Oh, vraiment désolé Capitaine ! s'excusa MacHoward alors que nous arrivions sur la scène.
Une grande tente blanche, visiblement monté à la hâte, cachait tout ce que nous aurions pu apercevoir de là où nous nous trouvions.
— Elle n'était pas là, il y a une heure.
— Ce n'est rien. Merci quand-même ! lui répondit-il gentiment en soulevant le ruban jaune avant de me faire signe de le suivre.
Bien qu'il y ait peu de monde de ce côté de la tente, je fus surprise que personne ne nous arrête, ou ne nous demande au moins qui nous étions. Les rares policiers présents paraissaient choqués et effrayés. Un silence étrange et pesant régnait, créant une atmosphère malsaine et angoissante. N'étant pas coutumière des scènes de crime, cela était peut-être normal, mais le regard que me lança Gabriel m'apprit vite que non, alors que je le suivais à l'intérieur.
Des projecteurs disposés aux quatre coins de la pièce, éclairaient cette dernière comme en plein jour, tandis que les crépitements des flashs des appareils photos bourdonnaient en arrière-plan comme un essaim de mouche. La scène que nous avions devant les yeux était tellement cauchemardesque que mon cerveau mis quelques secondes à comprendre les images captées par mes rétines.
C'est alors que l'horreur se diffusa en moi, en même temps que les odeurs de sang et de charognes, tandis qu'une alarme s'allumait dans mon esprit, m'avertissant que nous avions grandement sous-estimé notre adversaire.
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