Chapitre 21-1


Sans réfléchir je me laissai entraîner, encore abasourdie par ce que je venais de voir. D'un seul mouvement, Worth souleva le regard de fonte d'une main et se glissa dans la bouche d'égout d'un mouvement fluide, que j'imitai, à peine une seconde plus tard. Je me laissai glisser sur la courte distance me séparant du sol, grimaçant lorsque mes vêtements d'emprunts trop grands se soulevèrent, offrant mon dos à l'abrasion douloureuse du béton. Mes pieds heurtèrent le sol dans un bruit d'éclaboussure et un remugle atroce d'eau croupie. L'inspecteur m'attrapa aussitôt le bras, certainement pour m'aider et me soutenir, mais par réflexe je me dégageai aussitôt d'un mouvement agacé. Allistaire et Monroe nous attendaient, anxieux, dans la pénombre.

— Ils nous ont vu entrer, il faut bouger... tout de suite ! leur ordonna Worth d'un ton sans appel alors qu'il se tournait vers moi. Gauche ou droite ?

— Droite, lui répondis-je sans hésiter en commençant à m'engager dans le boyau nauséabond, aussi vite que mes jambes et ma fatigue me le permettait.

— En allant à droite, on se dirige tout droit dans leur direction !

— C'est l'idée justement ! Instinctivement, ils penseront que nous avons prit à gauche et le temps qu'ils se rendent compte de leur erreur, nous serons loin !

Du moins je l'espérais, terminai-je pour moi-même en accélérant encore le pas. Nous arrivâmes rapidement à une intersection, à l'instant où des bruits d'eau se firent entendre derrière nous, ils venaient de descendre à leur tour. Avisant un embranchement sec, je m'empressai de faire signes aux autres d'enlever les chaussures qu'ils avaient récupérés chez Monroe. D'une part, nous serions plus discrets, d'autre part, cela éviterait de laisser des empreintes humides permettant de nous suivre à la trace. Pour une fois tout le monde s'exécuta avec diligence, prenant bien garde de ne pas poser les pieds dans l'eau. Worth eut même la présence d'esprit de me tendre ses chaussettes avant que je n'aie le temps de les lui demander. Je les enfilai, savourant subrepticement la chaleur sur mes pieds glacés et endoloris. Puis sans attendre nous nous engageâmes dans le nouveau boyau, essayant d'être rapide et silencieux.

Nous dûmes parcourir environ une centaine de mètres comme des ombres, angoissés et le souffle court. Enchaînant les changements de directions aléatoires, histoire de brouiller les pistes au maximum. A mesure que les bruits de poursuite s'estompaient pour finir par disparaitre, l'adrénaline qui m'aidait encore à tenir debout commença à refluer. Ma tête tournait, mes jambes tremblaient me contraignant, au détour d'un énième tournant, à m'arrêter. Si je continuais comme cela, métamorphe ou pas, j'allais finir par tomber dans les pommes. Je m'adossais au mur crasseux, essayant de retrouver quelques forces et surtout de chasser les mouches dorées qui grignotaient mon champ de vision.

— On fait quoi maintenant ? chuchota Allistaire en regardant fébrilement autour de lui. Vous croyez qu'on les a semés ?

— Oui, lui répondis-je dans un souffle. Ces tunnels sont une vraie caisse de résonnance, s'ils nous avaient suivi, on le saurait.

Maladroitement, je tentai de sortir mon téléphone de ma poche mais mes doigts sans force le laissèrent échapper, heureusement Worth le rattrapa sans effort avant qu'il ne touche le sol.

— Merci, bredouillai-je alors qu'il me tendait le portable, un regard inquiet braqué sur moi.

— Hannah, tu es totalement épuisée, tu devrais t'asseoir.

— Si je fais ça, je ne me relèverai pas, lui avouai-je sans me soucier d'être entendu par les deux autres. Nous devons trouver un endroit sûr pour nous reposer.

— Tu as une idée de l'endroit où nous sommes ?

— Aucune. Mais ça n'a pas vraiment d'importance, tant que nous n'avons pas de point de chute fiable, expliquai-je en accédant à mes sms.

« Où êtes-vous ? Besoin d'un endroit de repli... Urgent » textai-je à Jude, avant de pousser un juron énervé.

— Que se passe-t-il encore ?

— Pas de réseau !

— Et ça vous étonne ? On est dans les égouts, je vous rappelle ! persiffla Monroe.

Son ton me hérissa, mais comme elle avait raison, je ne dis rien. J'étais tellement épuisée que mon cerveau ne tournait plus vraiment rond. Il fallait pourtant que je tienne le coup encore un peu, nous ne pouvions pas rester là. Ils avaient perdu notre trace, mais connaissant Kane, il n'en resterait pas là et bientôt tout un commando de métamorphes à sa botte, quadrilleraient le moindre centimètre carré de tunnel puant. Je me dégageai lentement et avec difficultés du mur de mes membres tremblants et en manque d'énergie, gourds et maladroits.

— Hannah, tu n'es pas en état ! Tu as une tête à faire peur. Tu devrais...

— Je sais ce que j'ai à faire, le rabrouai-je, un peu plus sèchement que je ne l'aurais voulu.

Son inquiétude pour moi me touchait d'une certaine façon, mais elle m'énervait aussi. Depuis le temps qu'il évoluait à notre contact, il aurait dû savoir que nous n'avions pas de temps pour ce genre de considération.

— Kane n'en restera pas là, il va nous débusquer. Nous devons nous mettre à l'abri ! lui assénai-je en faisant quelques pas incertains en direction de l'échelle en fer située à quelques mètres sur ma droite.

— ça je le sais ! Mais si tu t'évanouies en plein milieu de la rue, on fera quoi ? me balança-t-il à son tour, alors qu'un petit rictus entendu étirait les lèvres de Monroe.

Un sentiment fort désagréable m'envahit. L'envie impérieuse de rabattre le caquet de cette rivale à coup de bec. Elle rigolerait moins lorsque mes serres lacéreraient son visage rigolard... je parvins à chasser ses pensées sauvages de mon esprit, remettant Ivy à sa place d'une décharge de contrôle mentale. Mais cet effort, que je n'aurais pas dû avoir à faire en temps normal, me couta une énergie précieuse. Alors que ma vision se brouillait et que je me sentais partir en arrière, des bras secourables me retinrent de justesse.

— Qu'est-ce qu'il lui arrive ? demanda Allistaire en m'aidant à m'assoir.

— Elle est épuisée. A tel point qu'elle à du mal à contrôler son côté animal. Monroe, ferme là et reste à distance tant qu'elle n'aura pas pu dormir quelques heures.

La justesse de l'analyse de l'inspecteur me laissa sans voix tandis que je retrouvais lentement mes esprits. Il me lança un regard par-dessus son épaule alors qu'il commençait à gravir les échelons rouillés. Un regard qui voulait dire, ne me prends pas pour plus bête que je ne suis ! Impuissante, je le regardai approcher de la surface, une angoisse sourde lovée dans ma poitrine. Nous retînmes tous trois notre souffle au moment où il souleva la plaque en fonte et risqua un coup d'œil prudent à l'extérieur. Mais au lieu de redescendre précipitamment ou nous faire signe de le rejoindre... il se coula à l'extérieur sans nous prévenir ! Sans réfléchir je voulu me lever pour le suivre, mais Allistaire me retint par l'épaule.

— Lâchez-moi ! m'énervai-je, avant de me relever avec précaution.

Pourquoi avait-il pris le risque de sortir tout seul sans nous attendre ? me demandai-je inquiète et excédée par son comportement en m'approchant à mon tour de l'échelle, vite suivie par les deux flics. J'avais péniblement grimpé deux barreaux, lorsque la tête de Worth apparue dans l'ouverture circulaire manquant me faire redescendre plus vite que prévu.

— Vous pouvez venir, la voie est libre ! me dit-il, alors qu'il tendait le bras vers moi pour accompagner mon ascension.

Je le laissai m'aider sans rien dire, pour une fois, et compris sa sortie inopinée à l'instant où ma tête émergea du sol. Pour une fois, la chance nous souriait ! La bouche d'égout débouchait en plein milieu d'un parking où Worth nous attendait, une voiture ronronante et toutes portières ouvertes derrière lui.

— Vite ! je ne pense pas qu'ils puissent nous voir ici, si tant est qu'ils nous observent, mais ne tentons pas le diable !

Nous ne nous le fîmes pas dire deux fois et nous empressâmes de grimper dans le véhicule cabossé et hors d'âge mais néanmoins fonctionnel.

— Quitte à voler une bagnole, vous auriez pu trouver mieux chef ! plaisanta Allistaire, lorsque ce dernier lui fit signe de prendre la place du conducteur. Je suis trop fatigué pour conduire, je risquerai de provoquer un accident, m'expliqua-t-il alors qu'il m'entraînait vers la banquette arrière.

Je m'installai sur le siège en velours délavé et sur l'insistance agaçante de l'inspecteur, bouclai ma ceinture. Nous n'avions pas fait deux mètres que je sentis la torpeur m'envahir. Sachant que cette fois-ci je ne pourrais pas la tenir à distance plus longtemps, je cessais de lutter. Alors que je me laissais enfin aller au sommeil, j'eus juste le temps d'entendre Allistaire demander où il devait aller.

— Roule, je te guiderai, lui répondit Worth, mon esprit me laissant juste le temps de me demander où il nous conduisait, avant que je ne sombre pour de bon. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top