Chapitre 2-2
*Modifié le 24/03/22*
D'abord je crus qu'il plaisantait, mais quand il ouvrit la porte dans le même mouvement d'un geste brusque en m'invitant à sortir d'un signe du bras, j'eus un doute. Il ne pouvait pas m'inclure dans une affaire criminelle, je n'étais qu'une civile ! Il était certainement en train de bluffer, me dis-je en m'empressant néanmoins de sortir de cet endroit nauséabond, pour me retrouver nez-à-nez avec un homme visiblement à bout de nerf.
Sa chemise froissée était déboutonnée au col et des auréoles s'élargissaient sous ses bras. Ses cheveux bruns coupés court étaient ébouriffés à force qu'il ait passé ses mains dedans et des cernes sombres s'élargissaient sous ses yeux.
— Forester, je te présente...
— Hannah Moore ! s'exclama le dénommer Forester en me dévisageant les yeux écarquillés comme s'il venait de croiser le père Noel.
— Ta popularité te précède, commenta cyniquement Worth à mon intention avant de reporter son regard courroucé vers son collègue.
— Tu n'as pas de chemise de rechange ? aboya-t-il en jetant un regard dégouté sur sa mise.
— Heu si chef, mais c'est que... avec l'enquête, je n'ai pas eu le temps de...
— C'est vrai qu'avec cette histoire, soupira-t-il en se passant à son tour la main dans les cheveux. Prend une pause, Tom, tu l'as bien mérité, lui dit-il enfin d'une voix un peu radoucie.
— Merci, chef mais je préfère... rester avec vous, répondit-il de la voix hachée d'un fan énamouré, son regard braqué sur moi.
Chef ? m'étonnai-je pour moi-même alors que le bleu lui donnait ce titre pour la seconde fois. Aux dernières nouvelles Worth n'était qu'inspecteur !
— Vous devriez écouter l'inspecteur, lui répondis-je de ma plus belle voix glacée. J'allais m'en aller de toute façon.
— Pas tout de suite, j'ai quelque chose à te montrer tu te souviens ? me dit Worth avec un sourire retors tandis qu'il s'emparait de mon poignet et m'entraînait derrière lui sous le regard estomaqué de Forester.
— Lâche-moi, lui murmurai-je d'une voix excédée en le suivant malgré tout pour ne pas me donner en spectacle.
— Hé oui ma belle, si tu avais pris la peine de prendre de mes nouvelles et surtout si tu m'avais écouté il y a quelques minutes, tu saurais que j'ai eu une promotion. Je suis maintenant Capitaine, en charge de la nouvelle section des homicides surnaturels. J'ai donc tout pouvoir pour t'adjoindre à l'enquête, ajouta-t-il sur un ton suffisant et revanchard en lâchant enfin mon bras.
— Surprise ! me susurra-t-il en poussant une porte battante cradingue, avant de me faire signe de passer devant lui.
C'est d'une démarche raide que je m'exécutai, consciente d'avoir été prise à mon propre piège. J'avais fait montre de trop d'arrogance et je venais d'en payer le prix fort. J'aurais dû m'en douter, me tançai-je vertement. Face à ce mec, je perdais tous mes moyens. Foutu lien de sang ! Il avait raison, j'avais été idiote sur toute la ligne ! J'aurais dû répondre à ses coups de fils, j'aurais dû chercher comment me débarrasser de ce lien indésirable plutôt que de faire une nouvelle fois l'autruche ! Et surtout... mais pourquoi étais-je venue ici ? La panique, la peur... deux émotions que je n'avais plus ressenties depuis...
— Tu me suis, ou tu comptes rester là jusqu'à mourir d'ennui ? ironisa Worth, me sortant de mon auto-apitoiement.
Mais qu'est-ce qu'il m'arrivait bon sang ! Ce n'était tellement pas moi ! m'inquiétai-je tandis que je le suivais dans une succession de couloirs et de coursives miteuses, jusqu'à un grand plateau open-space.
On aurait dit une fourmilière géante ! Les dizaines de bureaux éparpillés aléatoirement sur le sol au lino usé étaient tous occupés et le brouhaha de conversations, de clavier d'ordinateurs et autres sons bureaucratiques flottant dans la pièce, était assourdissant.
J'entendis les conversations se tarirent et vis beaucoup de visages curieux se tourner vers nous lorsque nous traversâmes en louvoyant entre les bureaux trop serrés. Je poussais un soupir de soulagement lorsque je vis Worth pousser une nouvelle porte et sortir de cet endroit infernal. Croyant déboucher dans un nouveau couloir, je fus surprise de pénétrer dans un bureau et stoppait net, m'arrêtant à quelques centimètres du dos de l'inspecteur.
Les deux personnes présentes dans la pièce, se turent instantanément à notre entrée et après m'avoir jeté un coup d'œil surpris, interrogèrent leur chef du regard.
— Les gars, je ramène du renfort. Mademoiselle Moore a très gentiment accepté de nous apporter son aide sur cette enquête délicate, annonça-t-il en allant se placer derrière son bureau, tandis qu'il me faisait signe d'entrer.
Je fis deux pas dans la pièce étroite, ne sachant pas trop où me mettre et ne me sentant pas du tout à ma place. Encore moins lorsque l'agent Forester vint se placer à mes côtés, saturant mon nez délicat de son horrible odeur de transpiration.
— C'est LA mademoiselle Moore ? demanda le blondinet à-demi assis sur le coin du bureau, à Worth d'un ton étonné et sceptique en même temps, sans même avoir la politesse de me regarder.
— Pourquoi ne pas me le demander, puisque je me trouve dans la même pièce que vous ? ne pus-je m'empêcher de lui lancer.
Je vis Worth esquisser un sourire avant de me lancer un regard satisfait et légèrement moqueur, même si des traces de sa colère demeuraient dans la profondeur de ses iris.
— Je vous présente Hannah Moore, la vraie ! répondit-il, railleur, à la place de son homme devenu soudain muet. Hannah, je te présente l'inspecteur Lorcan Allistaire et l'inspectrice Eléa Monroe.
Allistaire me jeta un nouveau coup d'œil et me fit un bref signe de tête, signifiant je suis sceptique mais pourquoi pas ! Quant à l'inspecteur Monroe, ses yeux lançaient des éclairs lorsqu'elle daigna enfin lever son visage vers moi.
C'était une jolie jeune femme aux cheveux noirs coupé en un carré long qui durcissait encore ses traits. Pourtant son visage arrondi et ses yeux très légèrement bridés auraient été doux si ce n'était ses lèvres pincées en un rictus coléreux. Eléa semblait avoir du caractère à revendre et n'aimait de toute évidence pas que l'on empiète sur ses plates-bandes ! Je sentais qu'on allait bien s'entendre !
— Elle n'a pas de badge ! Tu as vraiment reçu l'aval du commandement ? demanda-t-elle à Worth d'une voix sèche.
— Pas encore, mais c'est juste l'histoire d'un coup de fil ! lui répondit-il en décrochant le combiné du poste se trouvant sur son bureau.
La conversation fut brève et laconique et un petit air satisfait étirait ses lèvres lorsqu'il raccrocha.
— Le commissaire est ravi de ce partenariat inespéré et inattendu et espère que nous résoudrons rapidement cette affaire. Son badge sera prêt à la réception dans moins d'une heure, rapporta Worth à ses collègues, comme si je n'étais pas là.
— Pourquoi tu ne t'adresses pas à elle, releva Eléa en une seconde chrono.
— Parce qu'Hannah a déjà entendu les deux côtés de la conversation, lui répondit-il ravi de son petit effet.
— Vous avez vraiment une ouïe surdéveloppée ? me demanda Allistaire, une pointe d'envie et de scepticisme transparaissant dans sa voix.
— Votre commandant a dit, très exactement « Ouais, pourquoi pas ! Mais elle est sous votre entière responsabilité, si ça dérape, tant pis pour vous. Et magnez-vous de me résoudre ce merdier, bordel ! », leur rapportai-je à mon tour de ma plus belle voix de robot, en fixant Worth d'un regard assassin, parce qu'il m'avait indirectement forcé à entrer dans son jeu.
— Ah, voilà qui lui ressemble déjà beaucoup plus, s'exclama Allistaire en me faisant un petit clin d'œil, aussitôt rappelé à l'ordre par un regard lapidaire de sa coéquipière.
Je voyais très bien où Worth voulait en venir. Il m'imposait de force et sans informations préalables dans son équipe où il savait que je serais mal accueillie. Il tentait donc de mettre mes atout « surnaturels » en avant avec son habileté et son intelligence coutumière, mais je n'avais ni l'envie ni la patience d'entrer dans son petit jeu. Je n'avais absolument pas le temps de jouer à l'apprentie détective. J'avais un boulot à plein temps, dont j'avais déjà raté une réunion très importante et un potentiel futur désastre personnel sur les bras. Amplement suffisant pour une seule personne, même métamorphe ! Il fallait que je me tire de là avant d'être définitivement prise au piège.
La vibration de mon portable qui se mit à s'agiter dans ma poche me sortit de mes réflexions et c'est machinalement que je me saisis de l'appareil, certaine d'y lire un SMS incendiaire de Jane, ma secrétaire, pour mon « inadmissible retard ».
Mais au lieu du texte lapidaire auquel je m'attendais, un seul mot s'étalait sur mon écran, paraissant clignoter sous mon regard étréci par la peur,
« Sweetie »
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