Chapitre 11-1

*Modifié le 04.05.22*


Environ un mètre quatre-vingt-dix, une carrure d'athlète dessinée à la perfection par son costume de créateur assortit à ses cheveux bruns tirant sur le roux et à ses yeux noirs hypnotiques. Comme à son habitude, Kane était à tomber. Mais pour moi qui connaissait sa nature profonde, l'emballage aussi plaisant soit-il, ne comptait plus. Au contraire des autres, je ne voyais que l'arrogance de son sourire, la cruauté implacable de son regard et les promesses douloureuses de ses mains. A l'instar de tous les métamorphes, il n'avait pas pris une ride et paraissait toujours avoir trente ans, même s'il avait largement dépassé le siècle et demi.

— Les magazines ne vous rendent pas justice, très chère. Vous êtes absolument magnifique, dit-il de sa voix grave et sensuel en s'avançant vers moi, main tendue.

Je restai un instant sans réaction, paralysée par la peur et les horribles souvenirs que ce beau visage suscitait. Une vague de colère, brute et dévastatrice m'envahit comme un flot de lave brulante, anéantissant momentanément toute frayeur... Worth. Perspicace comme il l'était, il avait parfaitement compris ce qui était en train de se passer et qui se trouvait en face de moi. Sa rage m'aida à reprendre le dessus sur mes émotions et à saisir la main de Kane sans trembler.

Son contact me révulsa, mais je tins bon, ne pouvant refuser de le saluer sans créer un incident politique et diplomatique désastreux. Sans surprise, il prolongea l'étreinte plus que nécessaire, son sourire s'élargissant à mesure que les secondes passaient, heureux de me faire vivre ce petit supplice.

— En vérité, tu es encore plus belle que dans mes souvenirs... Sweetie, me susurra-t-il dans un chuchotement à peine audible tandis qu'il lâchait enfin ma main et me frôlait volontairement pour aller rejoindre sa place.

Le plus logique aurait été de fuir, mais l'idée ne me traversa même pas l'esprit. Aussi ébranlée que je puisse l'être je devais faire face et profiter de cette rencontre dans un lieu public pour comprendre les raisons de son retour et cerner ses réelles intentions. En gros, retourner son plan pervers contre lui. Worth, qui n'avait toujours pas bougé d'un pouce, fixait le dos de Kane, une haine évidente transformant son visage et accentuant encore l'éclat exceptionnel de ses yeux. Sentant que je l'observai, il se tourna vers moi et combla aussitôt l'espace qui nous séparait.

— ça va ? me demanda-t-il simplement. Je suppose qu'il est inutile de te demander de partir ?

— Tu supposes bien.

— Mais qu'est-ce qu'il cherche, bon sang ? demanda-t-il tandis qu'il pianotait furieusement sur son portable.

— Tu fais quoi ?

— Je demande à Monroe et Alistair de faire des recherches sur ce Frye. S'il...

— Tais-toi ! l'interrompis-je abruptement d'une voix sifflante. Je te rappelle que nos ennemies peuvent entendre toutes nos conversations.

— Même avec ce brouhaha ?!

— En se concentrant, sans problème et tu peux être certain qu'il ne s'en prive pas, grinçai-je entre mes dents en jetant un coup d'œil à Kane.

De trois quart et le sourire en coin, il discutait avec un homme, debout à côté de sa chaise. Malgré sa décontraction et son indifférence étudiée je n'étais pas dupe, il n'en manquait pas une miette.

« Je cherche à savoir si Frye existe réellement ou si c'est une couverture depuis le début. », m'expliqua-t-il via l'écran de son smartphone, légèrement incliné dans ma direction.

Bien sûr ! pensai-je tandis que nous rejoignions nos places. Frye n'était apparu dans le paysage politique que très récemment et avant ce soir, peu de personne savait à quoi il ressemblait. Alors soit le vrai Frye était mort, soit il n'avait jamais existé. Connaissant Kane comme je le connaissais, c'était très certainement la première solution. Usurper l'identité d'une personne réelle était toujours plus facile et plus sûr que d'en créer une de toute pièce, moins de risque de failles et d'erreurs si sa vie devait être passée au crible. Mais sa couverture avait aussi un point faible et il était de taille ! Restait à savoir si j'aurais la force nécessaire pour en tirer profit. Rien que de devoir contempler son visage provocateur et satisfait, même en partie dissimulé par le centre de table alambiqué agrémenté de plumes qui nous séparait, me donnait des sueurs froides.

Lorsque tout le monde fut enfin installé, nous dûmes endurer un discours de bienvenue, insipide, long et inutile comme à l'accoutumé. Toute la salle applaudit mollement l'orateur bredouillant, qui aurait mieux fait de changer de métier et le brouhaha des conversations reprit doucement son court tandis que les musiciens entamaient une musique d'ambiance bluesy à donner le cafard.

Worth, toujours sur son téléphone, n'avait pas levé le nez de son écran depuis qu'il s'était assis, sûrement en communications direct avec ses lieutenants.

— Qui a choisi la décoration des tables ? demanda d'une voix forte et hautaine la jeune femme maquillée à la truelle qui accompagnait Kane.

— C'est Madame Ikks, répondit dans un claquement de langue agacé, Georges Mossby, l'un des seuls hommes politiques présent ce soir qui soit vraiment de notre côté. Elle voulait rester dans le thème, d'après elle.

— Nous sommes donc à la table « volaille » ? Il y a plus classe ! ironisa miss pot de peinture en riant bruyamment.

Sa remarque jeta un froid autour de la table, figeant toutes les autres conversations.

— Je vous prierai de ne pas être volontairement désagréable avec notre deuxième invitée d'honneur, la reprit aussitôt Mossby, prenant ma défense.

— Ne vous donnez pas cette peine Georges, je ne me sentais pas visé, répondis-je tout sourire. Ce n'est pas moi qui glousse comme une dinde, ajoutai-je à l'intention de la brune qui prit un air outré et me foudroya du regard tandis que la table éclatait de rire.

L'incident ne dégénéra pas et les platitudes continuèrent tandis que l'on nous apportait les entrées, puis un plat minimaliste sensé être un feuilleté de St Jacques. Depuis l'entrée en matière désastreuse de la brune, tout le monde évitait soigneusement le sujet des Métamorphes. Ce qui était certainement le but recherché par cette dernière, qui n'était pas du tout ce qu'elle prétendait être. L'éclat dans son regard lorsque je l'avais mouché, ainsi qu'une petite fuite de son aura lorsqu'elle avait perdu momentanément sa concentration, l'avaient trahi. C'était une métamorphe et puissante avec ça. Son maquillage outrancier et ses manières de petite bourgeoise bêcheuse n'étaient là que pour donner le change.

— Mais nous manquons à tous nos devoirs ! s'exclama soudain Georges Mossby en se tournant vers nous. Hannah, ma chère, vous ne nous présentez pas votre compagnon ? me demanda-t-il croyant sans doute bien faire.

— Pourquoi ne le fait-il pas lui-même ? ça m'a l'air d'être un grand garçon, renchérit Kane d'un ton doucereux.

— Mais avec plaisir, lui répondit-il avec un sourire froid. Je suis l'inspecteur Gabriel Worth et j'enquête actuellement sur une série de crimes sordides impliquant des métamorphes, sortit-il d'une traite, laissant tout le monde bouche-bée. Cela vous convient-il ou préférez-vous plus de détails ? Monsieur... Frye, c'est ça ?

Je crus que Kane allait s'étouffer avec sa gorgée de vin, devant cette sortie inattendue, mais il se reprit aussitôt, contrattaquant à la vitesse de l'éclair.

— Voilà qui prouve de façon claire que cette idée de traité de paix est une gageure absolue !

— Pourquoi dites-vous ça, Monsieur Frye ? répondit Worth, hésitant une nouvelle fois volontairement sur son nom.

— Aussi belle et inoffensive soit leur porte-parole, sortit-il en me désignant d'un geste de la main, ces créatures sont dangereuses, vous venez de nous le dire vous-même.

— Ah bon ? J'ai juste dit que des métamorphes étaient impliqués, pas qu'ils étaient les auteurs des crimes. Ils pourraient tout aussi bien en être les victimes. Sauriez-vous des choses que j'ignore, Monsieur...

Le micro du présentateur qui déclarait le « bal ouvert » choisit ce moment précis pour faire un larsen strident qui nous explosa les tympans, donnant à Kane un répit inespéré pour trouver une parade au piège de l'inspecteur.

— Mademoiselle Moore, me ferez-vous l'honneur ? s'empressa-t-il de me demander en se levant, main élégamment tendue dans ma direction. C'est à notre table que revient l'insigne honneur d'ouvrir le bal, apparemment.

— Je passerai mon tour pour ce soir, lui répondis-je glaciale. Je ne voudrais pas priver votre amie de votre si galante compagnie.

— Un petit effort Hannah, juste une danse. Ce serait un symbole fort pour cette soirée sous le signe de la paix, me demanda Georges Mossby d'un ton suppliant, totalement inconscient du piège qui était en train de se refermer sur moi.

Observée par douze paires d'yeux inquisiteurs, je n'eus d'autre choix que de m'exécuter. Je me levai donc de ma chaise, ne cherchant pas à masquer l'aversion que cette perspective m'inspirait.

— Un seul mot de ta part et on s'en va, me murmura Worth en se levant à son tour.

— Je ne peux pas, lui répondis-je d'une voix frustrée tandis que je contournais lentement la table pour rejoindre Kane qui m'attendait, un sourire victorieux sur les lèvres.

« Tiens-toi prêt, ils vont tenter quelque chose », textai-je discrètement à Worth, avant que le bras de Kane ne m'enlace et qu'il ne m'entraîne sur la piste. 


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Je voulais vous dire une nouvelle fois un grand merci pour vos lectures vos votes et vos coms ^.^ Grâce à vous, "Elémental" est #12ème du classement Fantasy !!*o*!!

  Kisssssss <3 

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