Prologue
Reiner fixait le Karabiner 98K qui reposait sur ses cuisses. Ce fusil faisait partie de sa vie depuis qu'il était enfant. Celui-ci avait observé ses chutes et ses pleurs, ses réussites et ses sourires, ses doutes et ses cauchemars. On lui avait donné cette arme à feu lorsqu'il avait été sélectionné pour être un aspirant guerrier, et il avait toujours refusé de l'échanger contre un modèle plus récent. Le Karabiner reflétait la lumière artificielle dégagée par les néons, sur le plafond de l'entrepôt. Le guerrier n'avait eu de cesse de le démonter, de le nettoyer, d'huiler les parties en cuivre. Il connaissait par cœur sa mécanique, si bien qu'il pouvait le remonter les yeux fermés. La crosse, le percuteur, l'anneau d'extracteur... S'il y avait bien une chose que le blond savait faire parfaitement en ce monde, c'était prendre soin de son arme.
Il avait passé pratiquement toute sa vie à s'occuper de cette machine, et il allait le faire une dernière fois. Le nettoyage final. L'homme saisit une cartouche qu'il avait dans sa poche, et appuya la pointe de celle-ci sur la rondelle d'acier située sur la crosse en bois. Le ressort comprimé, le vice-capitaine de l'armée des guerriers de Mahr put démonter l'arme. Ô misère, il aurait donné n'importe quoi pour faire de même avec son corps, afin de réparer ce myocarde défectueux.
Il plongea les pièces en métal dans un liquide aux flagrances amères. La poudre qui s'était incrustée dans les petits éléments teinta celui-ci d'effluves noires. Son esprit était-il si entaché par la guerre ? Si souillé par la trahison ? Il se retrouva devant le corps nu du fusil, la culasse étant totalement démontée sur la table en face de lui. Il prit des cotons tiges, et débuta cette dernière purification ; passant dans les trous de la culasse nue, longeant le corps d'éjecteur, caressant les différents ressorts. Il ressortit le manchon de la culasse, encore imprégné du liquide désinfectant, et débuta également son dernier nettoyage.
Tout était simple avec cette arme. Si quelque chose était endommagé, il le réparait. Si elle devenait imprécise à cause de la poudre qui s'infiltrait dans le mécanisme, il l'enlevait. Lorsqu'il s'ennuyait, il la nettoyait. Tout était logique : si quelque chose clochait, il pouvait trouver la cause du dysfonctionnement et le régler rapidement.
Pourquoi n'était-il pas capable de faire de même avec lui-même ?
Le Karabiner était tout ce qu'il n'était pas : logique, implacable, fiable. Il saisit la chaîne de nettoyage et la plongea dans le canon froid. D'un geste, les bouts d'acier ressortirent du trou en ferraille, et il remarqua que des taches d'ébène avaient recouvert la chaîne entière. Il dû réitérer la technique plusieurs fois, avant de jeter un œil dans le canon afin d'y voir les dernières traces de poudre. Cette position le fit frissonner. Avoir le canon de son arme, juste devant son cerveau...
Non. Pas maintenant.
Pourtant, Reiner était une arme. On le lui avait bien fait comprendre, lorsqu'il était devenu un guerrier : il était l'un des titans de Mahr. Il n'avait plus rien d'humain, s'il l'avait déjà été un jour. Par conséquent, pourquoi diable personne ne pouvait le réparer ?
Sa main se mit à trembler, pendant qu'il frottait les pièces nettoyées avec un chiffon délavé. Lorsqu'il n'avait pas de mission urgente, comme actuellement ; lorsque son esprit divaguait, comme toujours ; il nettoyait toujours son K98 K. Dans des endroits sombres, la plupart du temps... Non, toujours dans des endroits sombres. Les ténèbres l'avaient déjà englouti, à quoi bon lutter contre elles ? Le jeune homme soupira en emboîtant les ressorts de son arme dans le corps de la culasse.
Reiner Braun ne pouvait pas se souvenir d'un seul moment, dans sa pitoyable vie, où il eusse été pleinement heureux. Pas une seule putain de fois. Le seul épisode de sa vie où il avait presque frôlé le bonheur...
C'était lorsqu'il était un soldat.
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