7 - Spectre
Il pouvait sentir la sueur couler le long de sa tempe. Sa main puissante inclina le fusil en direction de sa tête, et il ouvrit difficilement sa bouche tordue par ses sanglots. Le canon glissa aisément au sein de la cavité chaude, comme s'il y était destiné. Comme si la vie entière de Reiner Braun n'avait été construite que pour cet instant. Les prunelles dorées, dont les larmes s'écoulaient encore, dirigèrent leur attention vers le plafond humide qui camouflait son dernier acte. Son doigt caressa la queue de détente, réalisant une petite pression sur celle-ci.
Je vais bientôt te revoir, Berthold. Toi aussi, Marcel... Tous ceux que j'ai tués... Toutes les vies que j'ai détruites... Vengeance sera vôtre.
Quelques heures auparavant, le vice-capitaine était encore dans le bureau de Sieg Jäger, avec ses camarades. Il savait que son supérieur travaillait avec les officiers de Mahr. Le blond connaissait leurs méthodes : ils voulaient juger la loyauté des guerriers, juste avant une énième opération visant l'île du Paradis... Cette réunion n'avait été qu'une comédie. Ils allaient le renvoyer sur ce maudit bout de terre.
Il ne pouvait pas.
Reiner combattait chaque jour ses démons pour réussir à survivre, pour tenter d'inspirer sans que la culpabilité ne l'étouffe. Chaque respiration était un calvaire, tant elle était teintée de douleur et du goût amer du deuil. Et il devait retourner à l'endroit qui avait vu naître les monstres qui glissaient dans son ombre ? Revoir la ville qui avait avalé son amour ? Détruire le monde dans lequel il aurait tant voulu grandir ?
S'il revoyait ces murailles qui lui avaient tant arraché, le chagrin l'emporterait probablement dans sa tombe. Hier encore, le guerrier se répétait qu'il pouvait supporter la vie encore deux ans. Il se ferait dévorer par l'un des quatre guerriers aspirants. Sa cousine, probablement. Ou bien Falco, si cet enfant avait la chance de surpasser la petite brune ; et sa misérable vie prendrait fin. Mais Reiner n'avait pas prévu de retourner dans cet enfer.
Sa mort allait permettre, au moins, de sauver ces enfants de la vie merdique qu'il avait eu. Là était la maigre consolation du guerrier : par ce geste, il préserverait sa cousine et ses amis de l'enfer qu'il avait vécu.
Galliard, je te confie Gaby, Falco, Sophia, Udo, Kord... Essaie de rendre visite à ma mère, aussi. Cela lui ferait plaisir. Je sais que tu prendras soin d'eux aussi bien que je l'aurais fait.
Sa lourde respiration s'accélérait, pendant que ses souvenirs tournoyaient devant lui. Des pupilles vertes, bleues, brunes, noires ; des regards inquiets, assurés, bienveillants, agacés, haineux ; des sourires affectueux et des rictus détestables ; tout cela défilait devant lui. Des voix stridentes, rocailleuses, chevrotantes, bourrues, douces, berçaient ses oreilles confuses.
Un regard croisa le sien, et tout s'évanouit. Les prunelles sombres de Berthold Hoover sondaient la détresse de son âme, et son sourire accueillant fit couler un torrent de larmes sur les joues de Reiner. Son cœur entama sa dernière course amoureuse, et tout disparut.
Il n'y avait plus rien dans la salle. Plus personne. Les murmures avaient enfin fait place au silence. Les visages s'étaient effacés. Les fantômes s'étaient envolés.
Désolé, maman. Nous ne vivrons jamais tous les trois, avec mon père.
Désolé, Berthold. Les souvenirs de notre amour disparaîtront avec moi.
Désolé, Galliard. J'ai encore trouvé le moyen de t'enlever une connaissance, à défaut d'un être cher.
Désolé, Annie. Je ne reviendrai pas te chercher.
Désolé, Gaby. Tu ne verras jamais mes souvenirs. Je ne serai jamais éternellement avec toi.
Ses doigts tremblaient tant qu'il n'arrivait pas à garder une pression suffisante sur la queue de détente. Plus il attendait, plus il vacillait. Mais là était son dernier acte de bravoure. Là était son dernier geste héroïque. Sauver ces gamins, et achever son agonie. C'était une bonne action. Le guerrier doré savait que c'était la meilleure chose à faire. Ainsi, pourquoi tout son corps tremblait-il ?
Désolé, soldat. Notre guerre prend fin, maintenant.
Soudain, ses frissons quittèrent ses tristes veines. Le soldat exerça une légère contrainte sur la tige, provoquant la déflagration nécessaire à sa délivrance. Son angoisse perpétuelle libéra son cœur, le laissant plonger dans le vide de ce qu'il était. L'élégie du guerrier ne résonnait plus en lui telle une triste aubade. Reiner Braun n'était plus le vice-capitaine des guerriers de l'empire Mahr, ni même l'héritier du titan cuirassé. Il n'était plus un fier soldat du bataillon d'exploration, ni même le second major de la 104e brigade d'entraînement. Pour la première fois de sa vie, Reiner Braun n'était rien d'autre que lui-même.
Repose-toi, guerrier. Notre lutte est terminée.
Reiner Braun n'était plus.
***
Bonjour bonjour-
Voilà, c'est la fin de "élégie". Je tenais à remercier toutes mes fidèles lectrices, amies et commentatrices qui se reconnaîtront : je vous souhaite tout le bonheur du monde, ma fin n'est malheureusement pas à votre hauteur !
Je suis si triste que cette histoire se finisse ! Mais il fallait bien une fin ahah. En tout cas, j'espère que celle-ci vous aura plu ! Merci beaucoup pour tous vos votes, commentaires et lectures ! Merci également aux lecteurs et lectrices fantômes dont j'ignore l'existence !
Reiner est de loin mon personnage favori, et j'espère avoir réussi à lui rendre hommage à travers cette oeuvre ! Je vous souhaite une bonne continuation, et peut-être à bientôt !
Hydratez-vous,
Acclys (alias Mamie Watty).
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