6 - Mensonges

Le seul que j'aurais pu appeler « ami » dans cette farce misérable qu'a été ma vie, c'est bien Berthold. J'ai cru, pendant longtemps, que Marcel était mon ami le plus proche, mais je me trompais... À la première occasion, il a sacrifié ma vie pour sauver son frère. Après tout, comment pourrais-je le blâmer ? Je suppose que c'est dans l'ordre des choses... Comme c'est ironique. Marcel est mort, et Porco se retrouve à présent à sa place. Tout ce qu'il souhaitait pour son cadet s'est envolé à partir de ce moment.

Ô destin, cesseras-tu un jour de jouer ainsi avec nos vies ?

Berthold mettait sa vie en jeu continuellement pour moi, encore et encore, jusqu'à ce que le destin ne gagne. J'aurais donné n'importe quoi, pour rentrer avec lui... N'importe quoi.

Dans la pénombre de la nuit, il était le seul à me tenir la main. Le seul à me rassurer, à me faire revenir à la réalité. Je sais que mes absences le faisaient souffrir... Ma personnalité de soldat le rendait terriblement seul. Il était mon geôlier, mon gardien, et il est mort... J'ai voulu accepter ce fait. Qu'il ne restait rien de lui, pas même un grain de poussière survolant le monde grâce au vent, pas même une goutte de pluie qui se mélange avec mes larmes. Pas même un cadavre sur lequel pleurer. Pas même une tombe sur laquelle déposer des chrysanthèmes.

Il ne reste rien de lui, rien de rien. Du noir. Du vide. Mes souvenirs sont tirés du néant... Je n'avais que lui. Berthold Hoover était mon quotidien, mes jours, mes nuits. Grâce à lui, j'arrivais difficilement à garder le cap. Je prenais les décisions difficiles, afin qu'il ne s'étouffe pas face à la culpabilité. Je tentais, à tort, de rendre notre mission plus facile pour lui ; plongeant ainsi mon esprit dans les hadales de l'enfer, le scindant en deux.

Berthold n'existe plus, et ma peine m'étouffe. Je la ressens encore, la douleur de Shiganshina. Toutes les nuits, je l'entends hurler mon prénom, et ses cordes vocales se déchirent sous son cri. Et je ne peux rien faire, même pas tendre la main vers lui, même pas ramper jusqu'à lui. Je suis impuissant face à sa douleur, face à sa terreur.

Berthold était la seule partie de ma vie qui n'était pas un mensonge... Les désirs de ma mère, ceux pour lesquels je me suis battu, sont basés sur un fantasme. Mon père ne veut ni de moi, ni de ma génitrice. Mon statut de guerrier, celui pour lequel j'ai tout sacrifié, jusqu'à ma propre vie, est une imposture. Je n'ai jamais été choisi pour être le héros qui débarrasserait le monde des démons. À partir de là, je me suis raccroché à la seule chose qui me semblait être vraie... Qu'il fallait se débarrasser de ces eldiens démoniaques. Quelle vie de merde, hein ? Puisque là encore, ce n'était qu'une illusion. Ce peuple n'a rien de démoniaque. Ces démons vivant sur cette île sont beaucoup plus humains que ceux du continent... Plus humains que moi.

Alors j'ai façonné un dernier mensonge. Pour pouvoir tenir. J'ai inventé le fait que j'étais un soldat loyal, qui souhaitait sauver l'humanité et protéger les murs. Derrière ces murailles, j'aurais pu vivre selon mes propres rêves... Cet endroit était si... paisible.

À présent, je répète ces mensonges dans lesquels j'ai grandi. Je propage cette gangrène, hurlant ainsi toutes ces histoires auxquelles je ne crois plus.

La seule vérité qui se dégage de ma vie, c'était l'amour que j'avais pour Berthold. Et ironiquement, c'était la seule chose dans laquelle je ne voulais pas croire... Car nous avions une date de péremption sur nos vies. Nous étions destinés à mourir dans d'atroces souffrances, et je ne voulais pas lui dire au revoir. Je voulais fuir sur une énième île qui aurait recueilli nos baisers, je voulais lui construire un monde sans mensonges. Sans peur. Sans souffrance. Mais ce monde, je ne le construisais que dans mes rêves...

Je ne me suis rendu compte que trop tard de ce que je ressentais. Je ne voulais pas l'accepter... Il était mon camarade, le seul ami que j'ai jamais eu. Je le considérais comme mon frère, mon propre sang. Malgré mes incertitudes, il acceptait tout. Mes baisers précipités, et mes remarques désagréables une fois nos étreintes achevées. Mes caresses, mes expressions perdues, et mes doutes. Je savais que je ressentais quelque chose de plus fort que de l'amitié, mais j'ignorais ce que c'était. Tout du moins, je voulais l'ignorer. 

Je n'ai même pas pu lui dire, avant sa fin. Je n'ai même pas été capable de le lui avouer.

Pourtant, j'ai eu l'occasion. Sur ce mur, en attendant leur venue. J'aurais pu le lui murmurer, devant le coucher de soleil qui annonçait sa fin. Ce "je t'aime" profane. J'aurais pu le lui susurrer, pendant qu'on fixait cet horizon incertain...

Mais je suis resté muet. Alors l'astre solaire a disparu, et mon soleil s'est éteint.

Je me souviens encore de la douleur de Shiganshina. Celle de perdre mon seul ami. Mon unique amour. À présent, la solitude est la seule capable de me rendre une étreinte.

Mon soleil s'est éteint, et depuis, ma vie est semblable à une terrible nuit. Une nuit éternelle, froide, remplie de monstres et de terreur. 

Je veux juste me réveiller. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top