3 - Amertume
Oui. La seule période de sa vie où il avait failli frôler ce curieux personnage qu'était le bonheur, c'était sur cette île. Lorsqu'il avait des ailes brodées sur son veston, et des lames acérées à sa disposition. C'était lorsqu'une pléthore de gens comptait sur sa force, et que son esprit était inextricablement séparé en deux. C'était lorsqu'il était convaincu qu'il était l'un des leurs. Mais évidemment, toute cette partie de sa vie n'avait été qu'un mensonge.
Reiner songeait souvent que sa misérable vie n'était, en réalité, qu'un vaste mensonge. Une énorme et cruelle blague énoncée par le destin, pour son propre divertissement.
Est-ce encore drôle ? Quelle était la partie la plus hilarante ? Lorsque j'ai trahi toutes ces personnes qui croyaient en moi ? La partie où Berthold s'est fait dévorer vivant, pendant qu'il me hurlait de venir le sauver ? Lorsque mes anciens camarades ont fait exploser ma tête ? Ou lorsque j'ai appris que ma cousine suivait le chemin que j'ai emprunté, celui qui m'a laissé d'abjectes cicatrices ?
Ou peut-être était-ce le jour où je suis né. Cela n'était rien d'autre qu'une putain de blague, ça aussi, hein ?
Ses yeux dorés se noyaient sous l'océan de larmes qui l'assaillait, et son arme en fut encore engloutie. Le Karabiner serait le seul, dans cette pièce vide, à l'accompagner de l'autre côté. Aucun ami n'était là pour lui enlever ce fusil des mains, aucune amante ne lui suppliait d'arrêter, aucun père n'avait de larmes aux yeux. Il n'y avait que lui et cette chaise désuète, lui et ce bureau taché de poudre, lui et son seul véritable ami : son arme à feu. Reiner Braun était seul, désespérément seul. Ne l'avait-il pas toujours été ?
C''est peut-être ça le plus drôle, finalement ? Tous mes amis sont morts, ou veulent me voir mourir.
Il ne comptait plus les décevoir.
Un visage infantile prit place derrière ses paupières, et le vice-capitaine Braun se mit à songer à Christa Lenz... Ou plutôt Historia. Pendant longtemps, il avait craqué pour ses cheveux blonds et sa gentillesse à toute épreuve. Elle lui évoquait une personnalité vers laquelle il voulait tendre, lui aussi... Malgré le fait qu'il se savait davantage attiré par son meilleur ami, le guerrier ne pouvait jamais détourner les yeux d'elle. Peut-être était-ce sa personnalité de soldat qui avait pris le dessus, s'inventant un amour à sens unique. Même elle, il avait réussi à la décevoir, lui ôtant Ymir et ses bras protecteurs...
Par-dessus les traits glabres de la blonde, le visage ridé de sa mère se dessina. Ce même visage suppliant et désespéré qui se superposait au sien. Ô, qu'elle avait prié pour qu'il la rende fière ! Elle demeurait convaincue que les eldiens de Paradis étaient des monstres à éliminer. Reiner avait tant souhaité la rendre heureuse. Ainsi, il avait sacrifié toute sa vie pour détruire ces démons. Il avait signé pour avoir une date d'expiration sur sa vie... Et l'enfant était arrivé sur cette île. Cependant, ces personnes n'étaient pas des monstres... Ils n'étaient que des êtres humains... Tout comme lui. Tout comme elle. Tout comme le peuple Mahr... Peut-être qu'ils descendaient tous du mauvais ancêtre, mais cela ne suffisait pas à souhaiter un génocide. Les pêchés d'Ymir Fritz ne faisaient pas d'eux des monstres...
Le vrai monstre, c'était lui. Reiner avait causé la mort de tant de personnes, en forçant Berthold et Annie à continuer cette mission... Il avait laissé ses amis mourir. Il avait tué les parents de ses frères d'arme. Le guerrier était la source de cauchemars de tous les eldiens présents au sein des murs. Il avait remplacé l'innocence des enfants par de la terreur... Les eldiens méritaient-ils de mourir ?
Non. Il le méritait.
Le blond aimait sa mère, et l'aimerait toujours, mais ses désirs avaient brisé son propre fils. Reiner songea à Mikasa, Eren, Armin, Jean, Connie, Ymir, Christa, Sasha, Marco, et à tous ceux avec lesquels il avait vécu, pendant ces trois années d'entraînement. Il les avait tous trahis... La première fois qu'Eren avait mentionné la mort de sa mère, le soldat avait cru mourir. Son cœur s'était tant serré dans sa poitrine... Sa cage thoracique avait tellement écrasé ses poumons qu'il avait peiné à respirer. Puis, avec l'expérience, le guerrier avait appris à ne plus avoir les larmes aux yeux. À ne plus laisser la culpabilité l'étrangler. Finalement, il avait même oublié qu'il était la cause de toute cette tragédie.
Ces soldats lui avaient fait confiance, et savaient à présent quelle sorte de connard il était, pour ceux qui étaient encore vivants. Tout le monde le savait... Même Gaby, et le pire, était qu'elle le prenait pour un héros. Tous les aspirants guerriers le faisaient, ainsi qu'une myriade de citoyens de Mahr. Ils le glorifiaient, l'érigeaient sur l'étendoir de la Victoire, ignorant que ce n'était qu'un bûcher où le guerrier se consumait lentement.
À cette époque, ils n'étaient que des gamins... Ignorants, manipulés... Que ce soit Reiner, Berthold, Annie, ou Marcel...
Le blond était le seul responsable de la mort de Galliard. Dans sa main, la crosse du 98K semblait lourde. Son arme s'était peut-être gorgée de larmes, à défaut de son sang.
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