Chapitre III

Le fermoir du coffret s'ouvrit dans un claquement sec, révélant les précieux instruments qu'il contenait. Une étrange lueur émanait de la montre d'argent, et Victor Frankenstein la saisit précautionneusement, la manipulant avec délicatesse et expertise. Un doux cliquetis se fit entendre alors que les aiguilles tournaient dans le sens inverse, comme pour remonter le temps... Il la rangea dans la poche de sa veste, et observa la fiole à la clarté.

Les sédiments du fond, rouge ocre, se mêlaient au liquide alors qu'il la retournait et il était évident que le philtre contenu n'était pas banal. L'homme ne l'ouvrit pas, et la remis à sa place dans le couffin de velours.

Les feuillets semblaient si fragiles et prêts à partir en poussières au moindre souffle d'air qu'il ne les toucha pas pour l'instant. Il referma le coffret sans que rien ne transparaisse, aucun tremblement dans son regard, aucun étonnement. Rien.

Le salon était silencieux, excepté les quelques rumeurs et les pas qui provenaient de l'étage. La pièce toute entière était sombre et vaste, et des jeux d'ombre et de lumière rompaient le motif régulier de la tapisserie des murs, créés par la lueur mouvante des bougies. Frankenstein resta immobile, les mains croisés, la tête baissée. Des souvenirs maraudeurs tournaient en boucle dans son esprit, et impossible de les chasser. La noirceur de son âme était encore plus insupportable dans cet endroit désolé et austère et il avait l'impression que ses démons intérieurs n'attendaient que le bon moment pour se réveiller.

Bien. Il s'amuserait avec eux comme auparavant. Cela ne devrait pas poser de problèmes cette fois encore, si?

Frankenstein rit légèrement, se moquant de ses propres préoccupations. L'esprit humain était si faible que c'en était ridicule... Même lui, il ne pouvait pas s'y soustraire. Pas plus qu'il ne pouvait éviter la menace qui  lui planait au-dessus de la tête.

Cela faisait plus de dix ans que toute la France était contrôlée par l'Ordre des Alchimistes, qui se faisait également appeler «Guilde sacrée». Ces individus avaient pour vocation de maîtriser cette nouvelle profession, et d'en interdire la pratique en dehors de leur cercle, qui d'ailleurs était très mal vu du clergé et de la population parisienne.

Malgré tout, les faits et la terreur demeuraient. L'Ordre interdisait aux médecins fiables de pratiquer et semait la peur dans  la capitale, des bas-fonds jusqu'au centre-ville.Le nom de code des alchimistes était «connaisseurs», en référence à leur savoir immense. Victor Frankenstein était l'une de leur principale cible. Connu pour être le plus grand scientifique et médecin de l'histoire  de l'humanité, il avait en outre créé une véritable commotion au sein du monde alchimique: il avait fabriqué la vie dans son état pur.

Toute cette histoire était méconnue du public, mais autant l'Église que la Guilde Sacrée avaient horreur et fascination pour cet homme, qui se trouvait présentement assis dans un fauteuil du manoir d'Arenberg, en train de méditer sur sa situation.

Clac... Clac.

Victor se retourna lentement. Le bruit de talon qu'il avait entendu en entrant se répétait encore, et comme de fait, une silhouette longiligne et mince s'approchait du salon d'une démarche gracieuse, ne cherchant pas à dissimuler sa venue.

Elle posa délicatement un pied sur la moquette, sa longue robe noire s'éclairant sous le feu des chandelles jusqu'à sa taille. Puis son visage surgit de l'ombre, sa tête inclinée royalement et sa cascade de cheveux sombres, luisants et bouclés. Elle releva le menton en entrant, et se tourna vers Victor Frankenstein.

Son regard de braise rencontra les yeux verts et perçants de l'homme avec l'intensité de la foudre. Elle ne parla pas. Quand les grands esprits se rencontrent, les mots sont futiles et déplacés. Elle leva sa main blanche vers lui dans un signe de salut respectueux et provocant à la fois, le dévisageant de haut.

Frankenstein eut un sourire en coin, et se leva, la jaugeant du coin de l'œil. Il avait une tête de plus qu'elle, et ses manières distinguées déconcertèrent la nouvelle venue, qui ne laissa tout de fois pas paraître son trouble.

Lentement, elle murmura quelques mots, ses yeux ardents ne quittant pas ceux de l'homme:

-Quelle  est la raison de votre présence en ces lieux?

Il pencha légèrement la tête, impressionné par autant d'audace. Les femmes qu'il avaient connues n'étaient certainement pas de cette trempe... Elle ne faiblissait pas devant son allure imposante, et continuait son observation avec tranquillité.

-Devrais-je vraiment préciser? Une enfant de ce manoir avait besoin de mes soins.

À ces mots, l'élégante inconnue cilla, un léger trouble apparaissant dans son regard de fer.

-Vous êtes médecin? Ou...

Elle s'avança de quelques pas, jusqu'à être côte à côte de Frankenstein, son épaule frôlant la sienne. Ses yeux noirs étaient toujours plongés dans les siens, et elle acheva sa phrase avec une  menace dans la voix.

-...Ou êtes-vous simplement un charlatan de l'Ordre, venu ici pour surveiller nos affaires?

-Charlatan? Vous appelez un alchimiste un charlatan? Très drôle... Mais, à ce que je vois, nous avons le même point de vue sur l'Ordre.

La jeune femme resta impassible, et hocha légèrement la tête. Son regard s'assombrit encore lorsqu'elle se plaça face à son interlocuteur, ses longs cheveux bruns encadrant son visage pâle. Frankenstein la fixait sans rien dire. La pièce restait silencieuse, aucune ombre ne se mouvait, et deux silhouettes, face à face, s'observaient avec défiance et intérêt.

-Quel est votre nom?

-Victor.

-Votre nom de famille?

Son visage sembla se fermer  un instant, puis ses lèvres minces se retroussèrent en un sourire ironique que la femme jugea offensant. Il soupira avec agacement. «-Je ne m'en sortirais jamais, alors... Pas question de donner un faux nom, les recherches sont faciles à faire et je me retrouverais dans le pétrin en deux temps, trois mouvements. »

Il garda le silence, ses yeux vifs et verts transperçant ceux de la femme d'un regard si confiant qu'elle voulu reculer, comme repoussée par l'aura de calme et de défiance de «Victor». Mais elle ne bougea pas et dit avec aplomb:

-Je suis Nora D'Arenberg, la belle-sœur de dame Élizabeth. Tout dans ce manoir est contrôlé par mes soins. Je ne sais pas qui vous êtes, mais  je me ferais un plaisir de vous chasser sans ménagement si votre conduite me semble irrespectueuse, monsieur Victor. Peu m'importe que vous soyez ici pour soigner l'enfant. À mes yeux, tous les médecins qui excellent un peu trop bien suivent les ordres du diable!

Sous ces paroles prononcées avec menace, elle s'éloigna, les pans de sa robe sombre voltigeant autour de sa fine taille et ses talons claquant sur la moquette. Juste avant qu'elle ne disparaisse à l'angle du couloir, Frankenstein lui lança:

-C'est décevant que vous entreteniez ce genre de croyances ridicules. Je croyais que vous seriez une connaisseuse...

Nora D'Arenberg se stoppa net. Elle tourna lentement la tête, et la furie qui embrasait ses yeux aurait dû faire reculer l'homme, mais il ne fit que sourire à nouveau.

-Vous savez très bien que l'Ordre est en train de prendre le contrôle du pays malgré l'opposition de l'Église. Chacun le sait, mais tous se taisent ou en parle du bout des lèvres, par peur de représailles... Et même les pratiquants qui ne font pas partie de cette organisation se cachent par peur d'être accusé de sorcellerie. Mais moi, mademoiselle Nora, je ne me cacherai pas. Si personne ne fait rien, toute la France sera dominée.

La femme le dévisagea en silence, les poings serrés, et pendant quelques instants, il cru qu'elle allait le frapper tant la rage dans son regard devenait virale. Puis elle hocha la tête, d'un mouvement sec, et murmura à voix basse:

-Ce soir, devant la bibliothèque du salon, à vingt-trois heures moins le quart. Soyez à l'heure et chaudement vêtu.

Puis, elle disparu pour de bon dans les ténèbres du couloir, la lueur rouge des dernières chandelles miroitant sur  ses cheveux satinés. Victor Frankenstein resta seul entre les murs recouverts de tableaux. Il resta pensif un moment, le regard amusé, puis eut un léger sourire.

-Quelle tigresse. Réellement, elle a tout du félin, cette allure, cette prestance incomparable... Quelle Élégance dans ses manières malgré la menace dans ses yeux!

Il s'éloigna à pas lent, son rire résonnant dans le corridor.

-Une jolie tigresse, tout de même.





***

Ouais, je sais, la photo de Nora est vraiment effrayante, son regard a l'air de celui d'une tueuse en série. Mais attendez de voir celle de Victor au chapitre suivant, je suis certaine que le cœur de certaines filles va s'arrêter de battre devant autant de beauté... d'Élégance. (Bon, ok, j'arrête les allusions à l'histoire. Excusez-moi, il est minuit pile et je suis épuisée...)

-Lou-Ana-


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