Chapitre I
Le 3 novembre 1735 à 11h 11 exactement, un carillon retentit dans Paris. Le bruit de cloches se répercuta sur les murs des édifices, jusque dans les tréfonds de l'immense ville. À ce moment même, une diligence tournait le coin de l'Avenue principale, tout près de la cathédrale Notre-Dame. Elle s'arrêta juste devant une boutique d'antiquaire, la porte s'ouvrit, et dans le vent de fin d'automne qui annonçait l'hiver, quelqu'un en descendit.
C'était un homme de grande taille. Deux yeux verts perçants d'acuité et d'intelligence détonnaient de la pâleur de son teint. Ses cheveux blonds étaient nouée en une tresse lâche, il semblait d'âge moyen et une étincelle malicieuse allumait son regard. Ses traits étaient graves, creusés, et on comprenait en le voyant qu'il n'était pas n'importe qui. Il ne vous regardait pas, son regard vous transperçait.
Cet homme entra dans la boutique d'antiquité, observant autour de lui avec curiosité. Des fioles s'entassaient sur des étagères poussiéreuses, des livres en latin décrépis et aux pages toutes noircies étaient empilés dans un coin. La pénombre régnait dans la pièce, et un seul rayon de lumière filtrait par la vitrine encrassée. L'ombre des barreaux se projetait contre les murs, formant des croix à la grandeur démesurée. Des croix pointues et aiguisées, qui ressemblaient à des épées...
-Bonjour. Vous cherchez quelque chose en particulier?
Il se retourna lentement. Ses yeux aiguisés jaugèrent celui qui l'avait interpellé. C'était très probablement le propriétaire de la boutique... Un vieillard courbé et trapu, vêtu d'habits sales et mal assemblés. Mais les verres de ses lunettes étaient clairs, et son regard perçant.
L'homme à l'allure noble répondit calmement, une main posée sur la table ébréchée:
-Non, rien. Cet endroit vous appartient?
-Absolument, monsieur. Dîtes-moi... Êtes-vous un connaisseur?
Le vieil homme avait baissé la voix légèrement en posant cette question, et son interlocuteur esquissa un sourire ironique.
-Précisément.
-Bien, suivez-moi.
«Eh bien, l'Ordre a des contacts partout dans le pays,» se dit-il en suivant l'antiquaire. «Je ne serais pas étonné si cet endroit recelait des trésors. Après tout, il ne faut jamais se fier aux apparences...»
-Ici, monsieur. Dans cette caisse.
Le vieil homme ouvrit un coffre d'allure ancienne, aux poignées d'or et aux filigranes de bronze. Le tout était rouillé et mal entretenu, mais la malle devait avoir été splendide un jour. L'homme blond en inspecta le contenu avec minutie, manipulant délicatement les objets.
La boîte contenait des feuillets fragiles aux pages couvertes d'une fine écriture très droite et très ornées de fioritures dans sa calligraphie. Ils étaient reliés avec des cordons qui tombaient en poussière, et les armoiries de Versailles y étaient imprimées. Le coffret contenait aussi un flacon d'huile essentielle rouge sang, des lunettes de cristal, et une montre très particulière: Elle était en argent fin, très méticuleusement ouvragée, paraissant avoir été assemblée à la main. Les aiguilles, bleues et incrustées de minuscules saphirs, tournaient dans le sens inverse, dans un doux cliquetis régulier.
-Cette montre est singulière.
-Oui, n'est-ce pas? Elle compte le temps à rebours... Son ancien propriétaire la fabriqua entièrement à l'envers, en installant le verre avant le mécanisme... Fascinant, vous ne trouvez pas?
-Bien évidemment. Et les documents... Des traités d'alchimie de Versailles, si je ne me trompe point?
Le vieillard hocha la tête d'un air circonspect.
-Vous vous y connaissez. Il y eu effectivement une période où le Roi de France autorisa les pratiques alchimiques, malgré la désapprobation de l'Église. Cela ne dura pas bien longtemps... Mais les meilleurs s'y rencontraient, et ces feuillets sont tout ce qui reste de ces années de notre histoire.
Il se tut, et un profond silence, seulement rompu par le tic-tac de la montre, envahit la petite boutique. Le jeune étranger semblait en grande méditation, et contemplait d'un air rêveur et sombre les pages toutes jaunies.
-Combien pour l'ensemble du coffret?
-1660 francs, monsieur.
-Bien. J'emporte le tout.
Si l'antiquaire fut surpris par cette décision rapide, il n'en montra rien, et prit la bourse que lui présentait l'homme, puis il s'empara d'un livret de compte.
-Votre nom, monsieur?
Un silence de quelques secondes plana. La tension dans l'air était palpable, et les yeux pâles de l'inconnu vrillaient ceux du vieillard qui ne cilla pas.
-Je ne vois pas pourquoi je devrais vous le donner.
Le vieil homme se rapprocha, et chuchota à l'homme, en le pointant d'un doigt tremblant:
-Je ne tiens pas à avoir de problèmes avec l'Ordre, et avec l'Église encore moins. Vous savez ce que la majorité des gens pensent de l'alchimie... Et ce coffret contient des renseignements très particuliers. Je ne peux pas le céder à n'importe qui, comme ça, et le laisser repartir en emportant tout ce formidable savoir...
Il cessa de parler, et dévisagea l'étranger qui regardait au sol, les poings serrés. Puis il releva les yeux, et l'impassibilité dans son regard fit frémir l'antiquaire.
-Bien. Je me prénomme Victor. Cela vous est-il suffisant?
Le vieillard secoua la tête et s'apprêtait à répliquer, quand des cris se firent entendre au-dehors, si stridents et désespérés qu'ils arrivèrent aux oreilles des deux hommes.
-Qu'est-ce que c'est que cela, encore?
Le mystérieux inconnu ne fit ni une, ni deux, et se précipita à l'extérieur. Le ciel de Paris était sombre et la rue silencieuse, excepté ces hurlements... Une femme courait sur l'avenue, tenant dans ses bras ce qui semblait être une petite fille évanouie.
-À L'AIDE! Ma fille est blessée... Un médecin... QUELQU'UN, AIDEZ-MOI!
Elle s'écroula contre la chaussée, des larmes de panique rougissant ses paupières. Elle était belle et jeune, ses longs cheveux blonds rattachés en chignon par une précieuse broche, ses vêtements de dentelle fine salis par la poussière. Son chapeau était posé de travers et elle serrait dans ses bras une enfant qui semblait suffoquer.
-Q-Quelqu'un... N'importe qui... S'il vous plait...
Une main ferme se posa sur son épaule et elle frissonna violemment. L'homme avait traversé la rue d'un pas rapide et se tenait devant elle, elle ne comprenait pas qui il était et pourquoi elle avait l'impression que tout irait bien, tant qu'il serait là...Son aura de calme et de confiance était bouleversante.
-Je suis médecin. Je vais sauver votre enfant.
Il le disait comme cela, simplement, et la femme le crut sans poser de questions. Elle lui tendit sa fille, tremblante, et il l'installa contre le sol froid, inclinant sa tête vers l'arrière.
Sur le seuil de sa boutique, l'antiquaire observait, ses yeux perçants suivants les gestes de l'étranger. Il avait étalé sur le sol des outils médicaux et travaillait avec une précision effroyable, quasi inhumaine. La petite s'était apparemment étouffée avec quelque chose, et cet homme, sans la moindre hésitation, avait tout de suite procédé aux manipulations...
Il versa quelques gouttes d'un flacon sur les lèvres de l'enfant, dont le teint pâle présageait la fin, puis il appuya sur son ventre une pression vigoureuse de la paume de la main. Aussitôt la fillette ouvrit les yeux dans un hoquet, des larmes ruisselants sur ses joues, toussant et crachant. Elle chercha des yeux sa mère, qui avait regardé toute la scène avec anxiété et désespoir.
-Merci... Merci, monsieur!
La femme, éperdue de reconnaissance, serra sa fille contre elle dans un sanglot convulsif, et attrapa la main du sauveur, la portant à ses lèvres. Il sembla un instant touché par cette effusion, mais cela ne dura qu'une fraction de seconde. Il la retira ensuite doucement, se relevant et faisant mine de s'éloigner.
-A-Attendez! Vous ne pouvez pas partir comme cela... Je dois vous récompenser pour votre geste.
-Je n'ai besoin de rien, madame. Ce n'est pas pour recevoir des félicitations que je vous ai aidée.
-Je sais... Je sais... mais venez, s'il vous plait. Les rues ne sont pas sûres à cette heure-ci. Mon mari et mes parents seraient si heureux de vous rencontrer...
Il sembla méditer sur la question quelques instants, puis acquiesça.
-Soit, madame. Je vais vous raccompagner, d'autant plus que l'état de l'enfant n'est peut-être pas tout à fait stable. Laissez-moi aller régler mes comptes, et je suis à vous.
Sur ces mots, et sans attendre la réponse de la jeune dame, il retourna à la boutique de l'antiquaire d'un pas lent. Le vieil homme le jaugea en silence, puis le fit entrer.
-C'était très imprudent, ce que vous avez fait, Docteur Frankenstein.
L'étranger se retourna, avec l'ombre d'un sourire ironique sur son visage.
-Oh, vous avez deviné? C'est mon prénom qui vous a mis sur la voie, je suppose. Je n'aurais sûrement pas dû vous le dire, mais prendre le risque est si divertissant...
L'antiquaire secoua la tête, et attrapa le bras de Victor Frankenstein avec force.
-Que faites-vous ici, pauvre malheureux? Vous ignorez donc que l'Ordre vous recherche, après le drame que vous avez causé en donnant vie à votre créature démoniaque?
À cette mention, l'homme s'assombrit, et un éclair de colère traversa ses yeux émeraude. Il se dégagea vivement de la poigne du vieil homme, et déclara avec assurance:
-L'Ordre ne m'éradiquera pas, c'est moi qui vais l'éradiquer.
-Vous êtes fou!
-Peut-être bien... Mais dans ce genre d'entreprise, la folie peut se révéler particulièrement utile.
Sans rien ajouter de plus, il attrapa le coffret, et quitta la boutique dans un claquement de porte qui fit trembler les fenêtres. Son rire résonna encore entre les quatre murs de la pièce, et le vieil homme secoua la tête en soupirant, exaspéré.
-Pas de doute, il est le même qu'avant. Entêté et arrogant... Je croyais qu'il se serait discipliné après l'échec de la création de son monstre diabolique, mais apparemment, il est de retour, encore plus le vent dans les voiles qu'avant. Ah, là là... Je me demande bien comment cette histoire va se terminer.
L'antiquaire ferma les rideaux de la vitrine et éteignit la lampe à l'huile, observant par les carreaux noircis la silhouette du docteur Frankenstein qui s'éloignait, rejoignant la femme et l'enfant.
***
Il y aura une image comme celle-ci à chaque chapitre, question de mettre un peu d'ambiance. Alors, comment avez-vous trouvé Victor Frankenstein? Je vous préviens, sa personnalité est hors du commun. Les choses sont mouvementées avec lui XD J'ai «emprunté» ce personnage à Mary Shelley, l'auteure bien connue du roman «Frankenstein». Sauf que, ha ha, je n'ai pas lu ce roman. Pas plus que je ne suis allée en France dans ma vie, d'ailleurs. Alors, pardonnez-moi les imperfections dans l'histoire^^
-Lou-Ana-
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