Chapitre VIII : Bienvenue au Nocturnal
Trois semaines étaient passées depuis notre rentrée, l'habitude des cours s'était déjà installée dans l'esprit de chacun, aussi bien les élèves que les professeurs. Les transitions ne sont jamais éternelles, et la quantité d'informations à intégrer la première année était phénoménale. Toutefois, la pression redescendit cette semaine, où les activités de notre intégration eurent lieu.
Opposant trois équipes – Jehaï, Sacha et moi séparés, nous sommes allés à un stade de la ville avec des brassards de la couleur adéquate. Là-bas, les affrontements se sont succédés sur des épreuves physiques telles que la course de relai, le lancer de vieux écrans de pc inutilisables. Aussi des épreuves d'agilité comme du tir à l'arc et les jeux d'anneaux. La dernière des quêtes était une course d'orientation, qui s'est d'ailleurs passé cet après-midi. Grandeur nature, ennui assuré. Heureusement, notre trio s'est retrouvé sur une des routes et nous nous sommes évadés ensemble vers le parc Vauban à quelques minutes. Une longue plaine verte et humide nous attendait, il ne faisait pas beau mais cela n'eut aucun effet sur le délicieux paquet de frites qu'on s'était partagé. Notre retour s'est fait avec un peu de retard sans autant éveiller les soupçons.
Après l'effort, le réconfort. La nuit était tombée sur Lille, une grande partie des élèves se retrouva dans un bar étrangement appelé « Dernier pub avant la fin du monde ». J'étais à deux pas de l'entrée, hésitant. Soudain, un groupe de fêtards se mêlait à moi, et inversement, me faisant passer sans même une vérification de mon identité par le vigile. Si Dieu existe, il voulait que j'aille dans ce bar ce soir.
— Bienvenue à vous ! nous accueillit Augustin tenant la porte, le sourire étendu sur le visage comme du linge propre.
J'avançai d'un pas branlant à l'intérieur du bar, surpris par sa structure. Se passant sur deux étages ouverts, en longueur, et bondé à chacun des coins. Des lumières d'ambiance se mêlaient aux panneaux rétros mal éclairés, et au tas de bouteilles brillantes derrière le comptoir.
De l'extérieur, l'endroit paraissait moins étroit, pourtant ça ajoutait une part à son charme particulier. Certains jouaient aux cartes, d'autres descendaient des pintes de bières brunes et blondes, vociférant au stand de fléchettes. Tous les tabourets de l'entrée et du comptoir étaient occupés. Deux tables rondes sur ma gauche servaient de support pour toutes les consommations de la soirée. Une piste de danse s'était formée en plein milieu du bar, partiellement éclairée par un stroboscope. La soirée avait déjà bien commencé, les étudiants semblaient tous amusés. C'était le grand soir après tout, nous allions apprendre l'identité de nos parrains/marraines... Mystérieusement pour ma part, je n'étais vraiment pas pressé.
Pour changer mon état d'esprit pas aussi relaxé que les autres, mon chemin croisa miraculeusement celui de Sacha avec qui on commanda des bières, le coréen du groupe était entré avant nous. D'ailleurs, il nous avait promis quelque chose tout à l'heure, il fallait qu'on le retrouve.
— Ah, il y a Jehaï là-bas, m'indiqua Sacha en pointant le garçon du doigt. Il cause avec Jean-Baptiste je crois, viens on va le voir.
— Ça marche, je te suis.
On se faufila entre les personnes avec qui on était censé faire connaissance, c'est vrai qu'on était là pour s'intégrer à l'école. Le plus important à mes yeux était de protéger mon breuvage, et par politesse, je serrais la main des élèves que j'avais croisé plus tôt dans la journée. Mes pensées rivées sur l'action double de mes bras, je ne prêtais pas vraiment intérêt aux gens que je saluais. Les prénoms prenaient un moment avant d'intégrer ma cervelle. Enfin, à part les trois derniers qui étaient aussi dans l'équipe rouge. Maxence, peut-être Nicolas, puis oh... Donnie, le fameux intellectuel à la gueule d'ange.
— Hey ! me lança Donnie trop directement. Eren, Tu es venu ! J'pensais pas que tu viendrais !
Je répondis un rire gêné. Visiblement, certains avaient déjà bien forcé la consommation. La suite promettait bien de choses. Même s'il n'avait pas l'air sobre, et que sa tête se penchait comme portée par une vague de tout ce qu'il avait ingéré, il n'en restait pas moins attirant. Son poing vint à l'encontre de mon torse, une tape amicale et maladroite. Je souriais bêtement, soudain une fille me bouscula et, sans aucun scrupule, s'accrocha à la chemise de Donnie, feignant une chute pathétique. Ce n'était pas une fille de la promo, d'où sortait-elle ? Même Marion Cotillard joue mieux la mort que cette désespérée.
Je décidai de reprendre ma route, abandonnant la conversation avec le gars au très beau faciès, pour ne pas dire sexy. Je devais arrêter de me faire des idées. Puis Sacha m'attendait.
Arrivés près de Jehaï en pleine conversation avec Jean-Baptiste aka JB, je tapotai sur son épaule. Néanmoins, sa discussion semblait être trop importante pour être interrompue. La musique déchainée m'empêchait d'entendre un traitre mot de leur échange.
Je croisai le regard de Sacha et, mutuellement, on comprit qu'attendre ailleurs était la meilleure des solutions. J'en profitais pour inspecter les alentours. Sur la piste, je vis Bran avec des amis et la jeune serveuse les avait rejoint. Assis au comptoir, Augustin s'était entouré des personnes de sa classe, toujours à donner la messe. Donnie bécotait sa tendre cruche contre la porte fermée des toilettes. Carrie, la seule fille de notre promotion qui était venue, se faisait offrir des verres et services par tous les chiens de l'école, elle n'avait pas l'air de s'en plaindre. Elle avait bien raison.
— Allez ! m'interpella Sacha. Cul-sec !
Je ne m'y attendais pas, mais pourquoi pas. Aussitôt vidés, on prit le pari de se resservir. Finalement, Jehaï nous rejoignit au bar, laissant son destinataire seul derrière lui. Ni moi, ni Sacha osâmes lui demander le sujet de leur conversation.
— Ah, les gars ! s'écria Jehaï. Enfin je vous trouve ! Allez, on ne perd pas une minute de plus, suivez-moi dans les toilettes, j'ai ramené un petit truc !
En trio, on se dirigea vers la destination proposée. Le type 'le plus sexy de la promo' était toujours accolé à la fille au décolleté encourageant, cette fois-ci contre le mur à côté de la porte. Leurs mains parcouraient généreusement le corps de l'autre.
Sacha poussa la porte des toilettes et entra, Jehaï le suivit mais lorsque vint mon tour, quelqu'un m'empêcha d'aller plus loin.
— Par ici, petit.
La surprise soudaine comprima mes poumons et accéléra sauvagement mon rythme cardiaque, frôlant la tachycardie.
Augustin me retenait fermement, agrippant l'arrière de ma chemise, puis passa son bras autour de mon cou afin de me traîner à mon grand dam devant sa bande, jusqu'au comptoir. Mon visage tira au rouge pivoine, sentant la force de ses triceps sur ma peau. Sans mon approbation, il me plaça devant puis me tint contre lui, mon ventre rencontra son ventre. Visiblement, tout le monde avait commencé à boire tôt cette soirée. Je ne pouvais pas être plus gêné, l'impression que tout le monde me remarquait, même si je savais que nos corps ainsi proches passaient inaperçus avec autant de personnes autour. Dans le but de m'écarter je gigotai comme un ver, la seule action engendrée fut de sentir une légère bosse dans le bas de mon dos. Ma respiration se fit silencieuse, teintée d'excitation interdite. Impossible de montrer quoi que ce soit, il ne manquait plus qu'il se soit aperçu de ses effets. Je n'avais bu qu'une bière, pourtant la fièvre me montait déjà à la tête.
— Eren, prends-moi ça, me tendant un petit verre orangé, voilà ! On suit la tradition, avec moi, tu vas le boire cul-sec puisqu'après une longue concertation, nous avons décidé que je serais officiellement ton parrain. Ça fait de toi mon fillot !
Mes yeux s'écarquillèrent de surprise. Je pesai la portée de ses mots, ou j'avais disjoncté à l'image d'un appareil en surcharge.
Me voyant prendre mon temps, il saisit ma main contenant le verre et le porta à mes lèvres.
— Allez, bois ça à mon honneur, m'indiqua Augustin.
Je m'exécutai et avalai d'une traite la dose concentrée qui se présentait à moi. Une toux intervint par la suite, ce qui ne manqua pas de faire rire mon... 'parrain'.
— J'aurais dû te prendre un verre de lait ? s'amusa le plus âgé
— La ferme, rétorquais-je agacé d'être infantiliser, puis j'annonça en me décollant de lui pour de bon. Je vais me resservir !
— Arrête ça, ironisa-t-il visiblement plus joueur encore que d'habitude, je pourrais finir par te prendre au sérieux.
« Et toi arrête de flirter, ça crève les yeux » pensais-je en silence.
Je récupérais un autre shooter qui passait sur un plateau, cette fois violet, et le descendis aussi vite que le premier mais, sans l'aide de mon par... on va rester sur Augustin. J'essuyais mes lèvres du revers de ma manche, penchai ma tête en arrière pour reprendre ma respiration noyée dans ces deux verres sauf qu'elle rencontra son épaule. En dépit de la vodka, j'étais toujours devant Augustin et je ne l'avais pas remarqué mais, son bras gauche était encore posé sur mon épaule. Un appui, rien d'autre.
Je choisis de la retirer sans ménagement, redescendant par la même occasion sur la terre ferme.
— Attends une seconde, dit-il en me prenant la main dans la sienne. J'ai un petit truc pour toi.
Il accompagna ses mots d'un stylo noir, aussi épais que le brouillard dans lequel j'étais perdu, et dessina un triangle sur le dos de ma main. Comme son tatouage. Je n'en revenais pas, et lui semblait y tenir. Je partis sans me retourner vers les toilettes. Me mettre à l'abri. Et cela faisait quelques minutes que Sacha et Jehaï m'attendaient.
Quelques pas plus loin, j'entendis la voix grave d'Augustin m'adresser une phrase qui, malgré le vacarme, me parvint clairement :
— Je te surveille, fillot !
Quatre mots responsables d'un frisson instantané. Avec une pincée de regret, je décidai de ne pas me retourner vers le comptoir où il était.
C'était donc ainsi, Augustin était mon parrain. En plus d'être le président des Electronicals, c'était mon putain de parrain. Qu'est-ce que je pouvais faire avec un énergumène pareil ? Surtout, qu'est-ce que cet énergumène pouvait me faire ? Les milles et une question.
Sur mon chemin vers les toilettes, je croisai à nouveau Donnie toujours accroché à la fille de tout à l'heure. Certains ne s'imposaient aucune limite. J'envisageai cette attitude pour ma propre personne, m'évitant de ne pas avoir à pratiquer l'abstinence au long terme. Au moins, j'avais le mérite de me préserver. Je respectais mon corps sans jamais me donner à l'inconnu. Une façon comme une autre de se sentir bien. Et, en réalité, je ne connaissais pas moi-même ce propre corps et les plaisirs qui s'y cachaient.
Les mains de Donnie remontaient ses côtes et effleurèrent sa poitrine, mon regard planté dû à la surprise mit un bref instant avant de voir qu'il avait posé sa langue sur son cou. Il me scrutait avec ses yeux couverts de luxure alors qu'il léchait délicatement la peau de sa proie, descendit le long de l'omoplate découvert par une brassière légère. Cette soirée n'avait pas fini de me décrocher la mâchoire.
Derrière moi, le claquement de la porte fit écho, et par magie, me ramena à la raison. Je terminai enfin mon trajet et me retrouvai dans le hall des toilettes. L'odeur moite des lieux agressa mon odorat. Jehaï était penché au-dessus d'un des trois lavabos. Visiblement, la chose qu'il dissimulait semblait nécessiter toute son attention. Derrière, Sacha faisait les quatre cents pas. Tête baissée et de dos, il ne fit pas attention à mon arrivée. Sa chevelure cuivrée était désordonnée, ses lacets défaits. Son manteau en cuir se trouvait sur le radiateur au fond de la pièce.
En m'approchant subtilement de lui, j'aperçus à travers le coton de son t-shirt une marque rougeâtre, à la frontière de sa nuque. Si je voyais juste, quelqu'un lui avait laissé un suçon. Je décidai de ne pas le déranger avec ça pour l'instant, préférant le faire sursauter. Il fit volte-face et me confronta d'un regard faussement assuré :
— T'as l'air fiévreux, ou content ! Dur à dire.
Moi, content, et l'air fiévreux, était-ce si improbable après ce que je venais de vivre ? Mon esprit somnolait dans un autre état d'âme mais, jetant un rapide coup d'œil à mon reflet, j'avais effectivement l'air partagé entre ces deux émotions. Voilà que mon intérieur et mon extérieur étaient opposés.
— Ça se passe bien avec Augustin, au moins ? m'interrogea Sacha. T'as l'air mal à l'aise après chacune de vos conversations.
— Hé, normal après tout, me défendis-je. Qui pourrait l'être avec quelqu'un qui parle de « brainstorming » ou sort des « en bonne et due forme » ?
Jehaï coupa court à notre échange :
— Messieurs, je vous prie. Heisenberg a besoin de concentration, et surtout de silence.
Amusé par son accent mafieux, je fus pris d'un fou rire libérateur, Sacha aussi rigola malgré sa nervosité. Puis, on se rapprocha derrière le coréen, essayant de comprendre par-dessus son épaule ce qu'il mijotait.
— Le calumet de la paix ! s'exclama Jehaï en se retournant vers nous avec un cône roulé dans les mains.
— Hum, s'interrogea Sacha toujours nerveux, où va-t-on le fumer ?
— Pourquoi pas dans ces toilettes-là, fis-je remarquer, il y a une fenêtre qui s'ouvre !
— Parfait, s'enquit Jehaï prêt à déclarer ce qu'il vient de modeler.
Il sortit un briquet de sa poche arrière, alluma le bout de son joint mal roulé, puis prit une profonde inspiration. Sacha suivit, puis vint mon tour. Après ça, tout est allé très vite, du moins ce dont je me rappelle.
◊ ◊ ◊
Je revins, partiellement, à moi alors que j'étais obnubilé par un panneau fixé au mur. En son centre se trouvait un énorme Koopa, cette fameuse tortue qu'on trouve dans les franchises Nintendo. Je savais au fond de moi qu'il s'agissait d'une affiche toute banale, pourtant elle me paraissait animée, mouvant de gauche à droite. Les lois universelles de la gravité m'avaient quitté, j'avais la sérieuse impression de planer, les pieds toujours au sol. Tout divaguait comme en pleine mer, la tête sous l'eau. Mon poids s'était clairement envolé avec la fumée du calumet. J'avais beau avoir un train de retard, ma tête bougeait à chacune des pulsions déclenchées par les grosses enceintes du bar.
Petite conscience inconsciente. Je m'esclaffai au ralenti, chaque son que j'émettais se transmettait de mes oreilles à mes pieds, sous la forme de vibrations que je n'avais jamais ressenti auparavant. Je balayai les alentours et découvris un lieu bien différent des toilettes dans lesquelles j'étais avec Jehaï et Sacha. En réalité je siégeais au comptoir du bar, seul, et j'attendais. La fête continuait sur la piste de danse où une danseuse montrait le haut de la salopette, attisant tous les regards des chacals. Certains ne se retenaient pas pour jeter quelques billets. Je vis même un papier de dix euros, putain... Toutes les choses qu'on peut faire avec dix euros ! Être payé pour exciter, sacré métier.
En face de moi, un plateau de petits verres, de toutes les couleurs des sirops disponibles. Un bref souvenir me rappela que j'avais payé cette tournée de shooter. Cependant, je n'avais aucun souvenir des personnes avec qui je comptais les partager, comme une absence temporaire. Je me demandai en même temps ce qu'il y avait dans le 'calumet' de Jehaï. Il fallait que je lui demande. Ainsi, je cherchai aux alentours et crus voir Sacha plus loin dans les bras de Carrie, l'image de son suçon me revint tel un flash qui venait de trouver un sens. Je sentis un relent monter et me repositionnai droit. Le plateau sur le comptoir était toujours là. La carte bleue dans ma poche faisait la tronche, sans parler de mon estomac. En m'appuyant sur le rebord du bar, je m'aperçus d'une chose surprenante ; j'avais sur l'avant-bras gauche un cœur dessiné au rouge à lèvres, bien visible. Gêné par ce marquage, je tirai le pan de ma manche jusqu'à recouvrir tout mon avant-bras.
— Ça va aller pour tout transporter ?
Le serveur au regard enjoué finissait de servir le dernier verre du plateau, d'une couleur quasi transparente, aux apparences trompeuses. Je saisis un verre dans chacune des mains et me tâtai assez vite à les laisser de côté. Boire, ne pas boire, telle était la question. Les godets aux airs inoffensifs, la même transparence que de l'eau, mais leurs odeurs... L'odeur de la vodka si vive agressait mes narines.
— Parfait, intervint Donnie dans mon dos, le plateau est servi. On va pouvoir continuer notre partie ! Maxence et les autres nous attendent en plus.
Il accompagna son commentaire d'une voix cassée. Son odeur transpirante atteignit mon odorat et m'excita étrangement. Son beau visage était bien proche pour quelqu'un de l'autre côté. Ses lèvres étaient un océan dans lequel je voulais me baigner. Toutefois, aussi chaud que brûlait mon esprit, mon corps n'était plus capable de suivre.
— Je te laisse prendre le plateau, lui expliquai-je, je viens juste après.
— Alors à tout de suite !
Je vis sur son bras tendu une trace de rouge à lèvres similaire à la mienne. Qu'était-ce donc ce jeu d'alcool et de dessin corporel... Je n'étais pas sûr de vouloir m'en souvenir. Il me fallait finir mes verres avant de le rejoindre. Le bras levé, j'hésitais. Puis, je tressaillis sur place, l'alcool coulant déjà à flot dans mes veines. Je ne parvins pas à me décider, et quelqu'un d'autre but à ma place.
— Bran, m'exclamai-je peu certain d'être encore conscient
— Merci bien, s'exprima Bran en s'essuyant le coin de la bouche, son épaule contre la mienne.
Il avait posé ses doigts sur ma main toujours levée, la tourna pour regarder la marque noire en forme de triangle dessiné par Augustin. Son toucher ne me dérangeait pas, au contraire. C'était agréable, mais dans un tel état, je n'avais pas remarqué le moindre désaveu dans le ton de sa voix.
— Et ouais, ce n'est pas moi ton parrain, il a réussi à convaincre tout le monde que tu sois son héritier. Avec l'histoire d'association, c'était déjà roulé d'avance. On peut toujours partager la route de l'école ensemble, ça t'éviterait le bus, n'est-ce pas ?
Il attendait définitivement une réponse rassurante pour sa part, toutefois ma bouche sèche ne s'articulait plus. Où voulait-il en venir, à me dire ces mots décousus de sens. Qui voudrait de moi à ce point, et lui ses envies, à jouer les amis proches alors qu'on n'avait fait le chemin qu'une seule fois. Dans sa super Citroën. Le reste du temps je prenais le bus, ma carte était déjà imprimée, autant l'utiliser. Cela ne l'avait pas empêché de venir régulièrement aux nouvelles dans la cour ou au restaurant, pour se renseigner sur les études et comment je les vivais, si je les suivais bien. Je ne comprenais pas où il voulait en venir, à tourner autour du pot, et là maintenant, une étrange sensation se manifestait au ventre. Celle qui tambourine la poitrine et t'annonce fièrement : Tu vas gerber mec.
— Tiens, lui tendais-je le deuxième contenant partiellement renversé. Fais-en bon usage, moi je vais prendre l'air.
Sans attendre sa réponse, je me levai et concentrai mes derniers efforts sur la marche jusqu'à la sortie du bar. Une bonne partie des élèves était partie, il ne restait plus que les gros fêtards, les bourrés comme moi et les couche-tard. Ça représentait quand même du monde. Peu importe je poussai la porte du bar et courus dehors, bousculant les quelques fumeurs au passage, me réfugiai dans un coin de la rue et laissai parler mon estomac avec le sol.
◊ ◊ ◊
Adossé contre la bâtisse de briques, je m'essuyais le coin des lèvres. Dans cette rue moins éclairée à côté du bar, la brise nocturne me glaçait le sang. Appuyé contre le mur, je me remis debout, avec l'espoir de récupérer mon manteau à l'intérieur du bar. Sans savoir combien de temps j'avais passé ici. Sur le chemin quelque chose attira mon attention. Des bruits suspects m'empêchaient d'aller plus loin. Je m'avançai vers l'origine de la discussion passionnée, en espérant être discret malgré mon ébriété. Je tombai sur le dos d'Augustin dangereusement penché sur une silhouette familière, un gars aux cheveux châtains et à la mèche aux tendances blondes. Ils étaient si proches que j'aurais pu croire à un baiser. Mais leur échange semblait bizarrement animé, mon cerveau me jouait peut-être des tours ; j'avais cru entendre mon prénom cité à plusieurs reprises. Comme si j'étais perdu. L'instant d'après, ils s'étaient poussés contre la porte de la maison avoisinant le bar, sans jamais faire attention à mon hoquet peu discret. Une tension passionnée, encore plus surprenante quand je reconnus Augustin et... Bran. Les mains de mon parrain étaient sauvagement agrippées à ses côtes, l'atmosphère était pesante et il m'était impossible de déterminer si c'était de l'amour ou de la haine qui les animait. Devais-je être témoin de cette scène, pas sûr.
Les deux plus âgés se détachèrent comme des aimants qui se seraient rendus compte qu'ils étaient tous les deux négatifs. Bran repartit à l'intérieur du bar alors qu'Augustin resta dehors. Prenant une grande inspiration. J'ai l'intention de ne pas être vu, mais mon foie en décida autrement. Aussi subitement que la première évacuation, mon foie entama la deuxième partie de son purgatoire, tout sur le sol, face au spectateur qui ne put me rater une seconde fois.
— Eren ! s'écria Augustin comme s'il me cherchait de longue date. C'est ici que t'es venu te cacher ? C'est pas la grande forme, hein ?
— Haaa, j'suis pas en bonne et due forme, ricanai-je. Ça n'va pas là.
— Je vais chercher ton manteau et je te raccompagne... Eren ? Eren !
Mes paupières lourdes recouvrèrent mes yeux comme de vieux rideaux, et ma conscience s'évapora. Je sentis mon corps me soulever puis transporter sur une courte distance, suivi de claquements de portières. Les yeux scellés, je quittai mon corps le temps qu'il s'en remette.
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