Chapitre II : Invitation
Me voilà à nouveau en train de déambuler dans les couloirs, l'air de rien, si ce n'était d'être perdu.
Pour ceux qui se demandent ; oui, j'ai signé. Une petite rature en guise de signature sur le document qu'il m'a tendu et je me suis engagé à ses côtés. La surprise était telle que je n'avais aucune idée concrète des limites du poste que j'allais occuper. Ce n'était matière à débattre. Cependant, lorsque Augustin m'a proposé, ou plutôt m'a mis le stylo dans la main, j'ai eu le temps de lire que le premier paragraphe. Il faut dire que cela m'avait convaincu. Sans entrer dans les détails – parce que je ne me souviens pas, c'est une association qui mettait en avant les projets des étudiants tournés vers l'écologie, avec pour slogan « Passer d'une idée verte à du concret ». C'était là aussi un point qui méritait débat, au même titre que mon implication. Puis, quoi de mieux que supporter des actions positives, on dit qu'on récolte ce que l'on sème, alors j'essayais de semer de bonnes graines.
La conseillère était indirectement du même avis. Après une longue série de questions réponses sur mes attentes et mes ambitions, le sujet de mon intégration était venu sur la table. Et comme m'avait soufflé le barbu du couloir, tout nouvel étudiant devait rejoindre un club ou une association les trois premiers mois. Les propositions que la femme m'avait faites n'étaient pas glorieuses ; entre un club de bridge, un de football ou le bureau des élèves, j'avais finalement bonne conscience à propos de ma signature à la hâte.
En y repensant, c'était assez étrange que l'association d'Augustin ne fît pas partie des propositions de la conseillère. Electronicals... Avec un nom pareil, il y avait de grandes chances que ma décision finale ait été la même.
◊ ◊ ◊
Comme chaque année, j'appréhendais la reprise des cours. Le moment crucial où tous débarquent dans la salle à la recherche de leurs places m'incommodait. Comme si aucune chaise n'était faite pour moi, je ne savais jamais où me mettre. Le mal être est une chose bien vicieuse, qui s'installe sinueusement dans ta tête jusqu'à ce qu'elle se mêle à tes pensées et que tu ne parviennes plus à les différencier.
Les sentiments me font penser à des symboles en mathématiques ; le négatif transforme toute positivité en négatif. À part quand une paire de négatif se succède, une double peine qui pousse difficilement vers un avenir plus radieux. Un processus où l'on touche le fond ; le réconfort prime sur les autres images à l'évocation du toucher, comme une caresse affectueuse. Puis, s'ajoute ce fond intraitable, et toute la délicatesse s'effondre. Une fois cette limite franchie, on peut espérer remonter, s'aider du fond pour prendre appui et pousser de toutes ses forces pour rejoindre la surface. La vie, du moins l'état mental qu'on traine tous, se résume métaphoriquement à survivre dans une piscine.
— Tu as l'air perdu, l'es-tu ? m'aborda un étudiant relativement petit qui passait par là.
— Mon nom à moi, c'est salade, répondis-je du tac au tac.
L'étudiant s'arrêta à mon niveau et s'esclaffa. Sa chevelure rousse s'agitait à chaque mouvement de sa tête, touffue comme les poils d'une brosse. Ce n'était pas la blague du siècle non plus, mais ça semblait l'avoir convaincu.
— Eren, c'est ça ? C'est notre directeur d'étude qui m'envoie, et comme s'il lisait dans mes pensées, il ajouta : et tu es le seul que j'ai croisé dans les couloirs, tout le reste est déjà en salle pour la pré-rentrée.
◊ ◊ ◊
Nous voilà en cours, tristement ce moment redouté devait arriver. Et je vous épargne les détails de mon entrée aux côtés de Sacha, le garçon qui m'a accompagné jusque dans l'amphithéâtre. Tous les élèves se sont retournés au bruit de la porte, même le professeur a interrompu son discours pour nous dire d'aller rapidement nous asseoir, au premier rang bien sûr. Bavarder à cette place relève d'un niveau de discrétion élaborée, qui demande beaucoup de ressources et de stratégies pour ne pas se faire prendre. La tête lourde comme du plomb, j'avais vissé ma tête vers le vieil homme qui se tenait difficilement derrière son pupitre. Notre fameux directeur d'étude nous faisait un discours des plus communs sur la reprise des cours, les règles à suivre, les cours à venir, l'attitude à adopter... Sa bouche desséchée mâchait la fin des mots, sûrement pressé de finir la papote habituelle pour entamer sa matière. A sa tête, c'était soit physique-chimie, soit les maths – on ne se trompe jamais avec l'apparence des professeurs de science.
Plus la fin approchait, plus les mots sortaient rapidement, et d'après le flux actuel de phrases, c'était sur le point de se terminer. Toutefois, la personne qui débarqua en trombe dans la salle ne se fit pas à la mine dégonflée du professeur. Le barbu de tout à l'heure était dans la place, et ne comptait pas partir avant d'avoir dit ce qu'il avait à dire.
— Excusez-moi M. Sythron, je dois faire passer une information pour tous les nouveaux de l'école.
Pris au dépourvu, le prof s'arrêta de parler et, résigné, fit un geste de la main pour lui donner la parole. Ne perdant pas un instant, Augustin se lança à la manière d'un évêque qui requiert l'attention de la bassecour :
— Bonjour à tous, et bienvenue dans notre école ! Comme vous le savez, ce n'est pas facile de s'acclimater à un nouvel environnement sans un coup de pouce. C'est pourquoi, le samedi de cette semaine vous sera spécialement réservé. Dès 16h, vous participerez au Marathon des jeunes ingénieurs, des épreuves en équipe vous attendront dans la cour de l'école et vous serez répartis en trois groupes distincts. La couleur de votre équipe se trouve sous vos trousses, prenez-en connaissance.
Les oreilles de l'amphi se tendaient comme s'il venait de parler une autre langue, ou qu'un élément manquait à l'appel dans sa phrase. Je compris de suite son intention, Augustin avait l'âme d'un joueur et n'aimait pas apporter les réponses sur un plateau. Il préférait observer la réaction de l'autre et jauger son action. Sa préposition « sous vos trousses » ne définissait pas à quelle distance la couleur se trouvait de la trousse, et aucun message n'avait pu être caché juste en-dessous de chacune des trousses sans être remarqué. Je tâtonnai rapidement la surface sous ma table, réprimai un sursaut en touchant une matière collante et attrapa finalement un bout de papier coincé sur un côté. La satisfaction d'avoir compris et élucidé sa première épreuve me traversa de toute part, et je brandis fièrement mon bout de papier comme s'il s'agissait d'un trophée personnellement adressé.
Ce à quoi je n'avais pas pensé, c'est que je serais le premier à avoir trouvé son papier, qui plus est, le bras levé, avec encore la moitié des gens de l'amphi vérifiant sous leurs trousses. Cela n'échappa pas à Augustin qui se mit à farfouiller dans sa poche arrière, tout en me fixant descendre timidement mon papier rouge. Rouge comme mes joues.
Rouge comme le brassard qu'Augustin montra à la classe, ou juste à moi.
— Vous l'aurez compris, votre couleur se trouve sous vos pupitres. Chacun a sa couleur ? Personnellement, je me chargerai donc de l'équipe rouge. Bran s'occupe des jaunes, Gaspar les bleus. Ils vous attendront au début des épreuves. Ah, et bien sûr, vous êtes tous conviés au dernier pub avant la fin du monde pour conclure la journée de votre intégration, le bar sponsor du BDE !
Le silence planait dans la classe, les élèves s'étaient retournés sur leurs chaises pour regarder l'orateur s'exprimer, tous un papier coloré dans les mains. Augustin faisait preuve d'une confiance sans défaut, sa gestuelle engageait les gens à l'écouter, son regard les rendait presque fidèles. J'avais quelques doutes au moment où on s'était rencontré, maintenant je savais à coup sûr qu'une aura émanait de son corps. Personne n'échappait à son coup d'œil, comme s'il vérifiait que toute l'attention lui était accordé. Quant à moi, je me concentrais sur ma trousse, tout en continuant à tendre l'oreille.
— Ce sera le moment d'officialiser les résultats, remettre les récompenses du Marathon des juniors et apprendre à se connaître autour d'un remontant. Ah, et si vous ratez cette soirée, vous n'aurez pas de parrain attitré pour les années à suivre, alors je vous conseille de venir. On espère vous voir nombreux !
Les portes de l'amphi claquèrent après son départ. Pourtant, j'étais toujours tourné sur ma chaise comme s'il allait réapparaître, ce fut à cet instant que je vis pour la première fois les visages qui composaient ma classe. Quand tous me regardaient comme un aliéné, c'était impossible de s'intéresser à leurs apparences de près. Là, je m'aperçus qu'il y avait seulement deux filles dans toute la classe, puis que des gars. Les clichés des écoles ingénieurs avaient toujours la côte.
Parmi les garçons dans la salle, on retrouvait tous les stéréotypes de la décennie, en allant du look informaticien introverti aux belles-gueules décérébrés. Puis, l'exception qui confirmait la règle ; au fond à droite, à côté de la fille aux nattes tressées, se trouvait Donnie. Drôle de prénom vous me direz, mais ce n'est pas le prénom qui fait la personne, c'est l'inverse. En plus d'être physiquement avantagé, il avait l'air calé intellectuellement parlant. Faut dire qu'il monopolisait les réponses des questions de chimie du professeur, qui s'inquiétait de notre niveau initial. Ce gars relevait bien la barre, si vous voyez où je veux en venir. Le voilà qu'il portait un biscuit à ses lèvres, et semblait le savourer. Quelques miettes échappèrent à sa bouche dévoreuse et s'accrochèrent sur l'une de ses commissures, mais d'un coup de langue habile il les remit là où elles appartenaient. Ses pommettes s'accentuaient à chaque mastication, ces joues glabres donnaient l'impression de devenir saillantes comme des lames. Sans parler des noisettes qui lui servaient d'yeux, et dont on voudrait bien croire entendre leurs roulements lorsqu'il bougeait. Il me regardait et... Putain il me regardait !
Je me retournai sèchement vers le tableau, avec l'espoir que personne ne remarquait ma mine troublée, et mon visage certainement cramoisi. Eh ben, je me surprendrai toujours ; je n'avais pas eu si grand appétit depuis des lustres. Ou depuis mon premier, et unique petit-ami. Quant à cet élève, certes très attirant, il était possible qu'il mît notre contact visuel sur le compte des bizarreries de la reprise scolaire. Qui sait, ça nous arrive à tous ces moments gênants, où le silence est roi.
— Quoi, s'étonnait le professeur qui n'avait plus l'intérêt de la classe. Qu'est-ce que vous attendez, c'est votre premier jour, allez manger, visiter, ce que vous voulez ! Tant que vous ne restez pas dans cette classe.
Surpris, mais aussi convaincu, l'ensemble des élèves abandonna leur place et se rua vers les sorties. Entre bousculades et esquives, les fins de cours ressemblaient à deux gouttes à un champ de bataille, où cependant, le seul objectif était de fuir. Voilà qui serait bien risible pour une armée.
Avec Sacha et sa chevelure de feu, nous nous étions forcés un passage parmi la masse jusqu'au restaurant universitaire, qui se trouvait au centre de la cour.
Une fois sur place, Sacha me pointa difficilement une table de libre dans un coin de la cafétéria. Le restaurant universitaire était déjà plein à notre arrivée. Nous nous dépêchâmes, sans renverser le contenu de nos plateaux, ni faire tomber les bretelles de sac de nos épaules. Le claquement de nos plats sur la table était presque satisfaisant, vu l'attente que l'on venait d'essuyer. Toutefois, ni moi, ni Sacha n'avions remarqué le troisième garçon qui s'était assis à la table au même moment. Ses yeux noirs nous observèrent à tour de rôle, puis d'un timbre accentué, il prit la parole :
— Désolé, je pensais que cette table était libre.
— Pas de problèmes, exprima Sacha d'un air bienveillant.
— Tu peux manger avec nous, lui proposai-je à mon tour, si ça te va bien sûr !
Le hochement de sa tête donna son accord. Sa conscience se délaissait d'un poids, soufflant presque cette détresse qu'il paraissait, lui aussi, retenir.
— J'imagine que... hésitais-je, que tu es nouveau ici, dans la région. D'où viens-tu ?
— Je viens de Moscou.
Sacha et moi échangions un regard complice, tentés de faire une remarque mais respectueux de ne pas le faire.
— Mes parents sont nés à Séoul, si c'est ce que vous vous demandez.
— Oh non, c'est pas ce qu'on voulait dire, me rattrapa Sacha. Désolé si...
— C'est bon, lança le garçon maintenant hilare, je rigole ! Moi c'est Jehaï. Je vis sur Lille depuis quelques années mais je ne me suis jamais fait à votre accent non plus.
— Hehe, moi c'est Eren, ajoutais-je.
— Eren comme dans SNK ? m'interrogea Jehaï visiblement passionné. Ce qui ne manque de faire rire Sacha, qui a sûrement compris la référence.
— Je... peut-être ! annonçais-je de façon résolue, comme si ma supposition renfermait une affirmation.
— Et moi c'est Sacha... Sacha comme dans...
— Pokémon ! s'écria Jehaï en sortant sa trousse Pikachu de son sac. Ce qui ne manqua de nous faire rire, en tout cas pour ma part de pouffer. J'aurais dû vous prévenir, ajouta le coréen, j'adore les animés !
— Plus on est de fous, plus on rit !
Parmi la foule, une personne crut bon détourner ma dernière phrase, se l'approprier et la mettre en application, juste au moment où je tournais la tête pour observer la place voisine, qui était jusque-là inoccupée. Instinctivement, je m'écartai doucement du prédateur, comme un chat qui aurait atterrit par erreur dans un chenil avec un minimum d'instinct de survie. C'était là toute mon intention, mais pas sûr qu'on partageait le même espoir avec Augustin.
— Comme on se recroise, Eren.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top